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IMAGES DE SCIENCES

 

IMAGES DE SCIENCES : DÉCRYPTAGE

 


La Cité des sciences et le CNRS Images ont édité un DVD qui contient 21 séquences de 1 min 30 s, chaque séquence présentant une image scientifique, fixe ou animée en la décryptant : conditions d'obtention, sens de l'image, intérêt pour le chercheur. On présente ici une sélection de 5 ces séquences.

Chambre à bulles, particules élémentaires : ce film aborde plusieurs techniques de détection et de visualisation des particules élémentaires. D'abord dans les chambres à bulles, puis, plus récemment, dans les chambres à fils. Il explique comment les physiciens interprètent ces images.

Appareil photographique, caméra, mouvements de l'air
Cette image, réalisée par Etienne-Jules Marey est le témoin du travail approfondi qu'il a mené sur les mouvements de l'air et la photographie. Les machines qu'il a construites à cet effet ont été reconstituées à l'occasion d'une exposition à Paris, au musée d'Orsay en 2005. L'étude des mouvements des fluides se poursuit toujours dans les laboratoires à l'aide de la photographie et du film.

Microscope optique, premier caryotype
Aujourd'hui, cette image est connue, elle représente un caryotype humain. C'est en 1955 que pour la première fois, on a pu voir distinctement l'ensemble des 46 chromosomes d'un individu. Cette image est maintenant devenue courante dans le cadre des diagnostics prénataux, mais on peut se demander pourquoi et comment elle a été réalisée lors de sa découverte.

Coronographe, soleil Masqué
Pour mieux voir ce qui se passe à la surface du soleil, le meilleur moyen est d'en cacher le centre ! C'est le rôle du coronographe. Les coronographes C2 et C3 LASCO du satellite SOHO nous permettent d'étudier ces éruptions solaires. Ce film explique comment ces images ont été obtenues et comment les interpréter.

IRM structurelle, le cerveau
Cette image obtenue par Résonance magnétique est une image du cerveau humain. Cette technique permet de voir les structures du cerveau en volume. Ce film est un décryptage rapide de cette image. Comment l'obtient-on, et que peut-elle nous apprendre ?

Générique
Réalisateur : COLOMBANI Hervé. Conseiller scientifique : GUYON Etienne. Production : Cité des sciences et de l'industrie/CNRS Images. Diffuseur : CNRS Images, http://videotheque.cnrs.fr/

 

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( si la vidéo n'est pas visible,inscrivez le titre dans le moteur de recherche de CANAL U )

 
 
 
 

FIBRES OPTIQUES

 

Paris, 24 octobre 2014


Un nouveau mode de diffusion de la lumière dans de minuscules fibres optiques


Des chercheurs de l'institut Femto-ST (CNRS/UFC/UTBM/ENSMM)1, en collaboration avec des collègues du Laboratoire Charles Fabry (CNRS/Institut d'Optique Graduate School) viennent de découvrir un nouveau mode de diffusion de la lumière dans de minuscules fibres optiques 50 fois plus fines qu'un cheveu ! Ce phénomène, qui varie selon l'environnement de la fibre, pourrait être exploité pour concevoir des capteurs innovants et ultra-sensibles. Ces travaux sont publiés le 24 octobre 2014 dans la revue Nature Communications.
Les microfibres optiques sont des fibres de verre effilées 50 fois plus fines qu'un cheveu, au diamètre proche voire inférieur au micromètre (un millième de millimètre). Pour produire ces minuscules objets, des chercheurs du Laboratoire Charles Fabry ont chauffé et étiré des fibres optiques utilisées pour les télécommunications et mesurant 125 micromètres de diamètre. La suite de l'étude s'est déroulée à l'institut Femto-ST, à Besançon. En injectant un faisceau laser dans ces fines mèches de verre, des chercheurs du CNRS ont observé, pour la première fois, un nouveau mode de diffusion Brillouin2 de la lumière, impliquant des ondes acoustiques3 de surface. Cette découverte a ensuite été confirmée par une simulation informatique, qui a permis de vérifier le mécanisme physique en jeu.

Comme le diamètre des fibres utilisées est inférieur à la longueur d'onde de la lumière utilisée (1,5 micromètre, dans l'infrarouge), celle-ci y est extrêmement confinée. Sur son trajet, la lumière fait vibrer de manière infime le matériau, déplaçant la matière de quelques nanomètres (ou millionièmes de millimètre). Cette déformation se manifeste par une onde acoustique qui se déplace à la surface de la fibre à 3 400 mètres par seconde, d'après les résultats des chercheurs. L'onde agit en retour sur la propagation de la lumière : une partie du rayonnement lumineux est renvoyée en sens inverse et avec une longueur d'onde différente.

Ce phénomène n'avait jamais été observé jusqu'ici, car il se produit uniquement lorsque la lumière est confinée dans une fibre plus fine que sa longueur d'onde. En effet, dans une fibre optique standard, la lumière se propage essentiellement dans le cœur de la fibre (d'un diamètre de 10 micromètres). Par conséquent, elle ne génère pas d'ondes de surface.

Comme elles se déplacent à la surface des microfibres, les ondes générées par le confinement de la lumière sont sensibles aux facteurs de l'environnement, tels que la température, la pression ou le gaz ambiant. Cela ouvre la voie à la conception de capteurs optiques4 très sensibles et très compacts pour l'industrie. Ces résultats contribuent également à approfondir nos connaissances sur les interactions fondamentales entre la lumière et le son, à l'échelle de l'infiniment petit.


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COUP DE FROID SUR LES TROPIQUES

 

Paris, 24 août 2014


Coup de froid sur les tropiques


Les glaciers tropicaux ont réagi aux coups de froid de l'Antarctique et du Groenland au cours des 20 000 dernières années, d'après des travaux menés principalement par des chercheurs du CNRS, de l'Université Joseph Fourier, d'Aix-Marseille Université et de l'IRD, en collaboration avec d'autres chercheurs français1 et des collègues des États-Unis, de Colombie et du Royaume-Uni. Leur étude, menée sur 21 glaciers andins, est publiée le 24 août 2014 sur le site de la revue Nature.
Comme ailleurs sur la planète, les glaciers des tropiques (situés de part et d'autre de l'équateur, entre 23°N et 23°S) sont en retrait depuis le dernier maximum glaciaire, il y a environ 20 000 ans. Un recul ponctué de pauses et de ré-avancées, mais dont la chronologie détaillée, dans les régions tropicales, restait floue. Les analyses réalisées par un groupe international de chercheurs dans les Andes (où se trouvent plus de 99% des glaciers tropicaux) montrent qu'ils ont avancé lors d'un refroidissement du Groenland (voici 12 000 ans) mais plus encore au cours d'une période de froid sur l'Antarctique (il y a 14 000 ans).

Les chercheurs se sont intéressés à ces époques car les hémisphères nord et sud ont alors connu des tendances climatiques contrastées. Il y a 14 500 à 12 900 ans, le réchauffement de l'Antarctique s'interrompt (« Antarctic Cold Reversal » ou ACR), alors que les températures du Groenland sont plutôt élevées. A l'inverse, la période suivante, le « Younger Dryas » (YD, voici 12 900 à 11 600 ans), est marquée par un refroidissement de l'hémisphère nord tandis que les températures de l'Antarctique repartent à la hausse. Les glaciers tropicaux étant situés à mi-distance, on pourrait s'attendre à les voir répondre indifféremment à chacun des coups de froid. Pourtant, jusqu'ici, les connaissances basées sur les datations des avancées glaciaires passées laissaient penser que ces glaciers étaient sous l'influence unique de l'hémisphère nord. S'assurer de la qualité de ces datations était donc crucial pour analyser la réponse passée du climat dans les Andes.

La datation des phases d'extension glaciaire repose sur l'analyse de moraines, débris rocheux charriés par le glacier. Lorsqu'il commence à reculer, les moraines frontales ne sont plus protégées par la glace et une sorte de « chronomètre géologique » se déclenche alors : les roches accumulent du béryllium 10 et de l'hélium 3 créés par les particules issues du rayonnement cosmique2.

Une vingtaine de glaciers du Venezuela, du Pérou, de Bolivie et du nord de l'Argentine avaient été datés de cette manière. Mais les incertitudes élevées et les différences de méthodes employées empêchaient toute comparaison précise. Après avoir amélioré la précision et la fiabilité des géochronomètres utilisés, l'équipe de chercheurs a ensuite recalculé les dates de manière homogène, et y a ajouté la datation de moraines du glacier Ritacuba negro, en Colombie (Andes tropicales nord).

Les scientifiques ont ainsi montré qu'à l'échelle du millier d'années, les glaciers tropicaux du nord et du sud de l'équateur ont évolué de la même manière. Le recul global de plusieurs kilomètres depuis 20 000 ans a notamment été interrompu par une pause ou une ré-avancée de quelques centaines d'années au début de l'ACR, puis par des épisodes glaciaires d'ampleur de plus en plus faible à la fin du YD, au début de l'Holocène (il y a environ 10 000 ans) et au petit âge glaciaire (13e-19e siècles).

Un modèle climatique a ensuite été utilisé pour comprendre l'origine de ces fluctuations. Il montre que les variations de température, et non de précipitations, sont responsables des principales fluctuations des glaciers lors de l'ACR et du YD. Ces variations de température locales sont elles-mêmes attribuées à l'augmentation globale du taux de CO2, combinée aux changements d'intensité de courants océaniques qui redistribuent la chaleur et homogénéisent les températures entre les pôles et les tropiques.

Ces recherches montrent que les glaciers tropicaux ont une dynamique propre (différente de celle des glaciers alpins, plus étudiés), qui intègre des influences climatiques des deux hémisphères (et non majoritairement de l'hémisphère nord, comme c'est le cas pour les glaciers alpins). Or, ces glaciers revêtent une importance cruciale pour les populations des Andes, qui en dépendent pour l'eau potable et l'électricité. Alors que les glaciers tropicaux des Andes ont déjà perdu 30 à 50 % de leur surface depuis quatre décennies, il importe donc de bien comprendre comment ils répondent aux variations climatiques. La connaissance tirée de ces glaciers permettra de mieux appréhender les impacts régionaux d'un changement climatique global sous influence du taux croissant de CO2 dans l'atmosphère et de la redistribution de l'énergie par les océans.

 

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LE ZÉRO ABSOLU

 

Texte de la 228e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 15 août 2000.


L'Univers étrange du froid : à la limite du zéro absolu
par Henri Godfrin


Température et intuition...
Qu'est-ce que le froid ? Nous avons tous une réponse à cette question, car nos sens nous permettent de déceler avec une précision remarquable de très faibles différences de température. Nous avons pris l'habitude d'utiliser des thermomètres, soigneusement gradués en degrés Celsius aussi bien vers les températures positives que vers les négatives. Bien que ceux-ci ne couvrent qu'une petite gamme, par exemple de -20 à +40°C, tout nous pousse à croire que l'on peut prolonger indéfiniment les graduations vers des températures infinies dans les deux sens. Pourtant, s'il est vrai que l'on peut chauffer un corps sans limitation en lui apportant une énergie aussi importante qu'il sera nécessaire, la Physique nous montre que la descente vers les basses températures bute contre un obstacle infranchissable : le Zéro Absolu.
Le premier qui semble avoir posé clairement la question de l'existence d'une limite inférieure à l'échelle de températures est un physicien français, Guillaume Amontons (1663-1705). Expérimentateur de génie, il arrive à une conclusion stupéfiante : la pression des gaz devient nulle à une température qu'il estime à une valeur correspondant à -240 de nos degrés Celsius. Une précision remarquable pour l'époque !
Ce n'est qu'au XIXe siècle que se dégagent les grandes lignes de la science de la chaleur, la Thermodynamique. Ses lois, appelés « principes », sont déduites de l'expérience. La Thermodynamique apporte aussi sa contribution au problème des très basses températures : Carnot, dans son ouvrage Réflexions sur la puissance motrice du feu et des machines propres à développer cette puissance publié en 1824, introduit la notion de température absolue T. Le zéro de cette échelle de température, le Zéro Absolu, est associé à l'efficacité maximale des machines thermiques : 100 % si la source froide est à T=0.
Température absolue et entropie
Les physiciens utilisent aujourd'hui l'échelle de températures absolues proposée en 1848 par William Thomson (Lord Kelvin). Celle-ci est définie par le Zéro Absolu (T=0) et la valeur 273,16 degrés attribuée au point triple de l'eau, la température unique où coexistent la glace, l'eau et sa vapeur, qui correspond à t=0,01 °C. Un degré de la nouvelle échelle (degré Kelvin) est identique à un degré Celsius, mais l'origine des deux échelles est décalée de 273,15 degrés : la température en Kelvins (T) s'exprime donc simplement en fonction de la température en degrés Celsius (t) par la formule T(K)=t(°C)+273,15.
Par ailleurs, la description des échanges de chaleur fait intervenir une nouvelle grandeur physique, introduite par Clausius en 1850 : l'entropie. Elle caractérise l'état de la matière ; fournir de la chaleur à un corps revient à augmenter son entropie. La Thermodynamique nous propose aussi le principe de l'entropie maximum : l'entropie d'un système isolé ne peut que croître ou rester constante, ce qui définit l'évolution d'un système physique hors équilibre ; on introduit ainsi une distinction entre les deux sens du temps : contrairement aux Lois de la Mécanique, passé et futur ne sont plus symétriques !
Cependant, la Physique Thermique ne fournit qu'une description macroscopique : nous sommes bien loin des « atomes » imaginés Démocrite...
Température et jeux de hasard : l'apport de la Statistique
Pourtant, grâce aux travaux de R. Clausius, J. Maxwell et L. Boltzmann, la Théorie Cinétique des gaz se met progressivement en place. Elle explique les propriétés des gaz par le mouvement désordonné de « molécules » : la pression exercée par un gaz sur un récipient est due aux très nombreuses collisions de ces molécules avec les parois. La température devient une mesure de l'énergie moyenne des molécules.
Le sort d'une molécule individuelle ne présente pas d'intérêt, lorsque l'on cherche à décrire les propriétés macroscopiques d'un corps. La Physique Statistique, développée dans l'incrédulité générale par L. Boltzmann, réussira l'exploit d'associer le comportement macroscopique d'un corps aux propriétés microscopiques sous-jacentes. Un exemple éclatant est l'obtention de l'équation d'état du gaz parfait, PV=NRT.
L'un des acquis fondamentaux de la Physique Statistique est la compréhension de l'origine de l'entropie. Du fait de la présence d'un grand nombre de molécules pouvant occuper un grand nombre d'états, il existe un très grand nombre de configurations possibles pour le système dans son ensemble, d'autant plus important que l'énergie totale à distribuer entre les molécules est élevée. Ce nombre de configurations est calculable par l'analyse combinatoire ; il est tellement grand que l'on est forcé de considérer son logarithme ! L'entropie est donc une mesure de la quantité d'états microscopiques accessibles au système : plus familièrement nous dirons qu'elle mesure le désordre !
La révolution de la Mécanique Quantique
L'avènement de la Mécanique Quantique, développée par M. Planck, N. Bohr, W. Heisenberg, P.A.M. Dirac et bien d'autres, allait permettre un nouveau progrès de la Physique Thermique, tout en s'appuyant fortement sur celle-ci. La Matière n'existe que dans des états « quantifiés », caractérisés par un nombre entier appelé nombre quantique, et par conséquent séparés en énergie. Ces états quantiques, similaires à ceux de l'électron autour d'un atome, fournissent l'outil idéal pour effectuer des calculs statistiques. En fait, ce que nous observons résulte d'une moyenne sur un nombre inimaginable de configurations (« états » ) microscopiques. La température est une grandeur associée au « peuplement » de ces états quantiques par les molécules. La probabilité de trouver une molécule dans un état d'énergie E est donnée par le facteur de Boltzmann exp[-E/kBT] : plus la température T est élevée, plus on aura des chances de trouver une molécule dans un état d'énergie E élevée. La constante de Boltzmann kB permet de comparer une température T à une énergie caractéristique du problème. Par exemple, la fusion d'un corps a lieu lorsque kBT est de l'ordre de E0, énergie de liaison des atomes de ce corps. À chaque domaine d'énergie est associé un domaine de température.
La Mécanique Quantique apporte un nouvel éclairage au problème du Zéro Absolu. En effet, parmi tous les états quantiques, il en existe un qui nous intéresse au plus haut degré : c'est l'état de plus basse énergie, appelé « état fondamental ». À ce stade, la matière ne peut plus céder d'énergie : il n'existe aucun état d'énergie inférieure ! Ce qui ne signifie aucunement que son énergie soit nulle. Les molécules continuent d'être animées de mouvement : il subsiste une énergie dite « de point zéro », que l'on peut associer au principe d'incertitude de Heisenberg de la Mécanique Quantique.
Zéro Absolu et excitations élémentaires
Le Zéro Absolu de température correspond donc à la situation où la Matière est dans l'état fondamental. Mais il n'y a plus aucun désordre quand il ne reste qu'un choix possible. Contrairement à ce que l'on pensait encore au début du siècle, ce n'est pas l'énergie qui devient nulle au Zéro Absolu, mais l'entropie.
La Physique des basses températures est ainsi, d'une certaine manière, la Physique de l'ordre. Elle permet également de comprendre toute la riche panoplie des effets thermiques. En effet, si l'on laisse de côté le cas un peu scolaire du gaz parfait, nous sommes immédiatement confrontés au problème complexe des atomes en interaction. Considérons par exemple le cas d'un corps solide simple. Le mouvement des atomes consiste en de petites oscillations autour de leur position d'équilibre. Mathématiquement, le problème est équivalent à celui d'une collection de pendules, ou « oscillateurs harmoniques ». Mais l'énergie de ces pendules est quantifiée ! A température nulle, ils seront soumis à une vibration de point zéro d'origine quantique. Quand on chauffe le système, on augmente le degré de vibration des atomes. En proposant un modèle des solides décrivant leurs propriétés thermiques au moyen d'une collection d'oscillateurs harmoniques quantifiés indépendants, Einstein faisait faire à la Physique un énorme progrès : pour la première fois on comprenait l'origine quantique de la décroissance de la capacité calorifique des corps à basse température. Cette grandeur, qui correspond à la quantité de chaleur que l'on doit fournir à un corps pour élever sa température d'un degré, nous renseigne sur l'énergie des états quantiques de la Matière. Elle doit tendre vers zéro à basse température, tout comme l'entropie, et c'est bien ce que l'on observe expérimentalement.
La Matière à basse température
Le modèle d'Einstein s'applique à des oscillateurs indépendants, alors que dans un très grand nombre de corps solides les vibrations des atomes sont fortement couplées. Tout se passe comme si les atomes étaient des petites masses reliées les unes aux autres par des « ressorts », ceux-ci symbolisant les forces atomiques. Debye a pu monter que des ondes sonores quantifiées, les « phonons », constituent les « excitations élémentaires » d'un solide.
Les propriétés électroniques de la matière sont également un domaine de recherches très fructueuses. L'un des effets les plus spectaculaires est l'apparition de la supraconductivité dans certains métaux[1]. À basse température, en effet, les électrons peuvent former des paires (paires de Cooper) et « condenser dans un état macroscopique cohérent » : tous les électrons de conduction du métal se comportent « en bloc », comme une molécule géante. Les impuretés et les défauts du métal qui donnaient lieu à une résistance électrique dans l'état « normal » ne peuvent plus arrêter cet « objet quantique » géant que sont devenus les électrons supraconducteurs : le courant circule sans dissipation. On a pu montrer que le courant piégé dans un anneau supraconducteur continuait de tourner sans faiblir pendant des années !
Les électrons d'un métal ou d'un semi-conducteur peuvent présenter bien d'autres propriétés très surprenantes à basse température comme, par exemple, l' Effet Hall Quantique Entier et l' Effet Hall Quantique Fractionnaire, la Transition Métal-Isolant, ou le Blocage de Coulomb.
Le froid est également intéressant pour étudier les phénomènes magnétiques. Ceux-ci sont dus à l'existence d'un « spin » associé à l'électron, c'est-à-dire une rotation de l'électron sur lui-même. De ce fait, l'électron se comporte comme un petit aimant élémentaire, qui aura tendance à s'aligner comme une boussole suivant un champ magnétique. Le désordre imposé par la température s'oppose à cet alignement. On voit alors évoluer les propriétés magnétiques des corps en fonction de la température et du champ magnétique. Au Zéro Absolu, les « spins » s'organisent pour former différentes structures magnétiques ordonnées : ferromagnétique, anti-ferromagnétique, hélicoïdale, etc.
Le domaine de prédilection des basses températures est l'étude des deux isotopes de l'hélium : 4He et 3He. L'4He est dépourvu de spin, et rentre de ce fait dans la catégorie des « bosons », regroupant toutes les particules de la Nature ayant un spin entier (0,1,2, etc.). L'3He, par contre, a un spin 1/2, et fait partie des « fermions ». La Mécanique Quantique est à nouveau mise à contribution lorsque l'on tente de décrire les propriétés d'une collection de ces atomes, réalisée en pratique par l'hélium liquide. En effet, l'état fondamental des bosons est obtenu en plaçant tous les atomes dans le même état quantique ; pour l'4He, on obtient un état macroscopique cohérent similaire à la supraconductivité des paires de Cooper électroniques. On observe la superfluidité de l'4He liquide en dessous de T=2.17 Kelvins : il s écoule alors sans aucun signe de frottement ou de viscosité, remontant même le long des parois du récipient qui le contient !
L'3He se comporte de manière très différente. Les fermions, en effet, ne peuvent se retrouver dans le même état (cette interdiction quantique reçoit le nom de « principe d'exclusion de Pauli »). Les nombreux atomes que comporte un volume donné d'3He liquide sont donc nécessairement dans des états quantiques différents ; si des atomes réussissent à se caser dans des états de basse énergie, les autres sont réduits à occuper des niveaux de plus en plus énergétiques : les états sont ainsi occupés jusqu'au « niveau de Fermi ». Cette physique se retrouve dans les métaux, car les électrons sont également des fermions. C'est pour cela que les études effectuées sur l'3He liquide ont permis de mieux comprendre la physique des métaux.
Il serait injuste de ne pas citer ici l'un des plus beaux effets de la physique des basses températures : la superfluidité de l'3He, observée par D.D. Osheroff, R.C. Richardson et D. Lee, Prix Nobel de Physique. Tout comme les électrons, les atomes d'3He forment des paires de Cooper qui condensent pour donner lieu à l'état superfluide. Les études conduites sur ce système ont permis de comprendre les propriétés observées 20 ans plus tard dans les « supraconducteurs à haute température critique ». D'autres analogies ont été développées, peut-être plus surprenantes comme, par exemple la description de la formation de cordes cosmiques dans l'Univers primordial à partir d'expériences réalisées dans l'3He superfluide à ultra-basse température. En fait, l'ordre de la matière de l'Univers après le big-bang est décrit par des symétries similaires à celles de l'3He superfluide !
Les fluides cryogéniques
Si l'hélium joue un rôle important pour la physique des basses températures, il en est de même en ce qui concerne la technologie qui lui est associée : la Cryogénie. Des réservoirs contenant de l'4He liquide sont présents dans tous les laboratoires de basses températures. Pourtant, la liquéfaction de l'hélium est relativement récente. Auparavant, des pionniers avaient ouvert la voie : Cailletet et Pictet, en liquéfiant l'oxygène (1877), Cailletet en obtenant de l'azote liquide la même année ; puis James Dewar, en 1898, en réussissant la liquéfaction de l'hydrogène. Finalement, en 1906 Heike Kammerlingh Onnes réussit à obtenir de l'hélium (4He) liquide, dont il observera la superfluidité.
Actuellement, l'azote liquide et l'hélium liquide constituent la source de froid préférée des cryogénistes. L'azote liquide, sous la pression atmosphérique, est en équilibre avec sa vapeur à une température de 77 Kelvins. Le liquide se manipule facilement, même si des précautions doivent être prises pour éviter les « brûlures cryogéniques ». Afin de limiter son évaporation, on le stocke dans des conteneurs isolés thermiquement à partir desquels il est transféré dans les dispositifs que l'on souhaite refroidir : vases d'azote liquide destinés à des expériences, pièges cryogéniques, etc. Parfois, le stockage cryogénique n'est motivé que par le gain de place, le liquide étant plus dense que le gaz.
Le stockage et la manipulation de l'hélium posent des problèmes plus sévères. En effet, l'hélium liquide n'est qu'à 4.2 Kelvins (en équilibre avec sa vapeur, sous la pression atmosphérique). De plus, sa chaleur latente d'évaporation est très faible, ce qui conduit à l'utilisation de vases très bien isolés thermiquement. Les vases de Dewar, du nom de leur inventeur, sont constitués d'une double enceinte sous vide. Les parois du vase sont réalisées avec des matériaux conduisant très mal la chaleur. Grâce aux progrès de la Cryogénie, on réussit actuellement à limiter l'évaporation des conteneurs d'hélium à quelques litres par mois.
Réfrigération au-dessous de 1 K
Kammerlingh Onnes ne s'était pas contenté des 4.2 Kelvins correspondant à la température de l'hélium liquide sous la pression atmosphérique. En utilisant des pompes très puissantes, il avait rapidement obtenu des températures de l'ordre de 0.8 Kelvins. À basse pression, en effet, l'équilibre liquide-gaz se trouve décalé vers les basses températures. Malheureusement, la pression décroît exponentiellement à basse température, et à ce stade même les pompes les plus puissantes ne réussiront à arracher au liquide que très peu d'atomes. Le processus de réfrigération par pompage de l'4He s'essouffle au voisinage de 1 Kelvin !
Les appareils de réfrigération (cryostats) utilisés dans les laboratoires comportent un vase de Dewar extérieur contenant de l'azote liquide (77 K) servant de première garde thermique et, à l'intérieur, un deuxième vase de Dewar contenant de l'hélium liquide (4,2 K). Au sein de l'hélium liquide se trouve un récipient étanche, sous vide, appelé « calorimètre ». C'est dans ce dernier, grâce à l'isolation thermique procurée par le vide et des écrans contre le rayonnement thermique, que l'on va pouvoir atteindre des températures encore plus basses. Pour refroidir un échantillon placé dans le calorimètre, on utilise une petite boîte « à 1 K », dans laquelle on laisse entrer par un tube capillaire un petit filet d'hélium liquide à partir du « bain » (c'est-à-dire du vase de Dewar contenant l'hélium). Un tuyau de grand diamètre permet de pomper efficacement cette boîte pour atteindre environ 1,4 K.
L'3He, particulièrement cher, peut être mis en Suvre grâce à une technique similaire. Le cryostat décrit ci-dessus permet en effet d'atteindre une température suffisamment basse pour condenser, sous une faible pression, de l'3He gazeux. Celui-ci est apporté dans le cryostat (circuit d'injection) par un tube capillaire passant dans l'hélium du « bain », puis rentrant dans le calorimètre où il est mis en contact thermique avec la boîte à 1 K afin de le condenser. L'3He devenu liquide est introduit dans un petit récipient où il est pompé. Ces « cryostats à 3He » opèrent « en mode continu » : en effet, le gaz pompé est réintroduit par le circuit d'injection, complétant le cycle. On atteint avec ces machines une température de l'ordre de 0,3 Kelvins !
La course vers le zéro absolu devait-elle s'arrêter là ? Il ne restait plus de candidats : l'hélium avait eu l'honneur d'être le dernier élément à subir la liquéfaction !
H. London proposa alors une idée séduisante : la dilution de 3He dans 4He liquide. Les premiers prototypes de réfrigérateurs à dilution atteignirent une température de 0,22 K, apportant la preuve que le principe fonctionnait. Plusieurs laboratoires, notamment à La Jolla et à Grenoble, ont développé des méthodes permettant de d'obtenir en mode continu des températures de l'ordre de 2 milliKelvins.
Si l'on ne connaît pas aujourd'hui d'autre méthode permettant de refroidir en continu, il existe un moyen d'atteindre de manière transitoire des températures encore plus basses. Le principe, énoncé par W.F. Giauque en 1926, est fondé sur les propriétés des substances paramagnétiques. En appliquant un champ élevé on peut aimanter les corps en question, ce qui produit un dégagement de chaleur, associé à la réduction de l'entropie : le système est « ordonné » par le champ. On isole ensuite le système en le découplant de son environnement au moyen d'un « interrupteur thermique ». L'entropie du système isolé reste constante si l'on procède à une réduction très lente du champ magnétique : il n'y a pas d'apport de chaleur, mais uniquement un « travail magnétique ». Cette « désaimantation adiabatique » permet de préserver le degré d'ordre des spins ; en réduisant progressivement le champ magnétique, l'agent extérieur qui avait induit cet ordre, on obtient donc une diminution de la température.
On peut atteindre des températures très inférieures à 1 milliKelvin en utilisant les spins nucléaires de certains atomes. Des fils de cuivre constituant l'étage à désaimantation nucléaire sont d'abord refroidis à moins de 10 milliKelvins au moyen d'un réfrigérateur à dilution sous un champ magnétique élevé (8 Teslas). On isole le système puis on le désaimante lentement. Cette méthode (« désaimantation adiabatique nucléaire ») permet d'atteindre des températures extrêmement basses : les spins nucléaires peuvent être refroidis à des nanoKelvins !
Les vibrations atomiques (« phonons ») et les électrons, par contre, resteront plus chauds, car le couplage thermique devient très faible à basse température et les entrées de chaleur parasites sont inévitables. Les difficultés deviennent rapidement très importantes lorsque l'on souhaite refroidir un échantillon à ultra-basse température ; par exemple, l'3He superfluide a été étudié à une centaine de microKelvins à Lancaster et à Grenoble en utilisant les dispositifs les plus performants.
Des méthodes très différentes, issues de l'optique et mettant en Suvre des lasers, ont permis récemment de refroidir à des températures de l'ordre des nanoKelvins des gaz très dilués d'atomes de Césium ou de Rubidium. Ce tour de force a montré de nombreux phénomènes analogues à ceux que nous avons évoqués pour l'hélium, comme la condensation de Bose, la cohérence quantique, la formation de tourbillons quantifiés, etc. Ce nouveau domaine de recherches est très riche et en fort développement[2].
Thermométrie à basse température
La mesure de la température est une entreprise délicate, car il n'existe aucun thermomètre susceptible de fournir la température absolue T dans toute la gamme de températures ! On a donc mis au point une série de dispositifs thermométriques. Ceux-ci sont appelés « primaires » lorsqu'ils fournissent la température à partir de grandeurs mesurées indépendamment. C'est le cas du thermomètre à gaz, malheureusement limité à des températures supérieures à 10 K, de certains thermomètres magnétiques permettant d'effectuer des cycles thermodynamiques entre deux températures, et des thermomètres à bruit Johnson, où la température est déduite du bruit électrique sur une résistance. Les thermomètres secondaires, par contre, doivent être étalonnés par rapport à des thermomètres primaires. Dans certains cas, il est possible d'établir des « tables » de propriétés mesurées permettant de reproduire facilement l'échelle thermométrique officielle. C'est le cas de la tension de vapeur de l'3He et l'4He : la mesure de la pression d'équilibre liquide-vapeur permet de déterminer la température aux alentours de 1 Kelvin à partir des valeurs tabulées. L'Echelle Internationale de Températures reconnue actuellement, ITS90, ne défint la température que jusqu'à 0,65 K. En octobre 2000 le Comité International des Poids et Mesures a adopté une échelle provisoire pour les bases températures, définie par la courbe de fusion de l'3He (PLTS2000). Elle couvre la gamme de températures allant de 0,9 milliKelvins à 1 Kelvin.
Applications des basses températures
Les techniques cryogéniques permettent d'obtenir des gaz très purs. De ce fait, l'activité industrielle dans le domaine des gaz liquéfiés est très importante, notamment en France. Elle concerne le gaz naturel, l'azote, l'oxygène, l'hydrogène, l'hélium, etc. Les fluides cryogéniques sont utilisés dans de nombreux secteurs : électronique, métallurgie, chimie, espace, etc. Par exemple, le combustible des fusées Ariane 5 est constitué d'oxygène et d'hydrogène liquides, et la fabrication de composants semi-conducteurs, comme les microprocesseurs de nos ordinateurs, exige l'utilisation d'azote très pur obtenu par évaporation du liquide.
Des applications médicales de pointe ont vu le jour récemment. Les scanners RMN utilisent le champ magnétique produit par des bobines supraconductrices placées dans un vase de Dewar contenant de l'hélium liquide. La cryopréservation d'organes ou de cellules (sang, sperme, etc...) fait intervenir de l'azote liquide et des réservoirs de stockage cryogénique. On utilise également l'azote liquide dans le domaine de la cryochirurgie.
Les grands instruments scientifiques comptent parmi les utilisateurs du froid. Le futur accélérateur de particules du CERN, le LHC, sera équipé d'aimants supraconducteurs situés dans de l'4He superfluide, sur un périmètre de 27 kilomètres. De nombreux laboratoires ont installé des aimants supraconducteurs destinés à fournir des champs très intenses. On les retrouve dans les installations d'expérimentation sur les plasmas (Tore Supra, par exemple), dont on espère obtenir une source d'énergie pour l'avenir.
A basse température, un très faible apport de chaleur provoque une augmentation de température perceptible, d'où l'idée d'utiliser les techniques cryogéniques pour détecter des particules cosmiques. Plusieurs instruments dits « bolométriques » existent actuellement dans les laboratoires d'Astrophysique.
Les propriétés quantiques de la matière permettent de concevoir de nouveaux étalons de grandeurs fondamentales ou appliquées : c'est le cas du Volt ou de l'Ohm, définis par l'effet Josephson et l'effet Hall Quantique et réalisés par des dispositifs à très basse température.
Les dispositifs électrotechniques supraconducteurs sont susceptibles d'autoriser un gain d'énergie important par rapport aux systèmes classiques. Dans le domaine de la forte puissance, transformateurs, alternateurs et limiteurs de courant sont progressivement installés sur les réseaux électriques. D'autre part, les applications dans le domaine des télécommunications se sont rapidement développées depuis quelques années, en particulier au niveau des filtres très sélectifs pour les téléphones mobiles, réalisés au moyen de supraconducteurs à « haute température critique » maintenus à la température de l'azote liquide.
D autres applications ont pour motivation la très grande sensibilité et le faible bruit électrique de certains dispositifs fonctionnant à basse température, comme les amplificateurs cryogéniques. Les SQUIDs, instruments révolutionnaires, constituent les magnétomètres les plus sensibles existant actuellement ; ils sont capables de mesurer des tensions de l'ordre du picoVolt !
Les circuits électroniques atteignent des tailles nanométriques, et de ce fait ils sont particulièrement sensibles aux perturbations thermiques. Les nano-objets actuellement étudiés dans les laboratoires au voisinage du Zéro Absolu de température sont la source de nombreuses découvertes fondamentales sur lesquelles se bâtit la technologie de demain.

 

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