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MUTATION , ÉVOLUTION , ET SÉLECTION

 

Mutation, Evolution et Sélection.
Par Miroslav Radman

Texte de la 427e Conférence de l'Université de Tous les Savoirs donnée le 6 juillet 2002

De nouvelles perspectives d'application pour les sciences de l'évolution.
Depuis quelques années, la science de l'évolution, traditionnellement très théorique, abstraite, académique, donne lieu à de très grandes nouveautés expérimentales et a même des implications en biotechnologie et en biomédecine. On peut ainsi utiliser des méthodes directement inspirées de l'évolution naturelle pour faire évoluer des molécules d'intérêt industriel ou pharmaceutique. On est également aujourd'hui capable d'observer l'évolution de populations bactériennes en temps réel ou encore la dynamique des gènes dans des embryons. Dans une phrase célèbre, Dobzhansky explique que la biologie n'a de sens qu'à la lumière de l'évolution. L'idée est que le but unique de la vie c'est la vie elle-même, la survie et que la grande stratégie de la survie, c'est l'évolution. Nous aimerions donc apprendre de l'évolution cette stratégie, pour connaître mieux la vie mais aussi pour pouvoir mettre en place une évolution qui nous sera utile et bénéfique.

« Imperfection », efficacité et robustesse des stratégies évolutives.
Tout être vivant, de la bactérie jusqu'à l'homme doit, pour survivre, éviter de se faire manger de l'extérieur, par les prédateurs ; il doit également éviter de se faire manger de l'intérieur par les parasites, éviter de perdre la compétition avec ses congénères et, lorsqu'il a évité toutes ces sources de mort, développer une robustesse de l'organisme face à un environnement physique souvent très agressif. Cette robustesse constitue la clé de la survie à long terme. Les stratégies de l'évolution ont une origine moléculaire qui date de près de 4 milliards d'années. On trouve des séquences dans les génomes, des bactéries jusqu'à l'homme, qui sont des preuves très convaincantes d'une origine commune de tous les organismes vivants. En cherchant à savoir comment la simplicité originelle a pu donner naissance à des individus complexes comme l'homme, on ne trouvera toutefois pas la beauté, la perfection, la finesse que notre esprit pourrait être tenté d'anticiper mais plutôt l'efficacité.
Taux d'erreur lors de la synthèse de l'ADN, des ARN et des protéines.
Les protéines sont les macromolécules responsables de quasiment tout le travail cellulaire. Le taux d'erreur dans la synthèse des protéines est de l'ordre de 1-3 10-4. Dans l'espèce humaine, on a pu estimer expérimentalement que 30% des protéines sont dégradées après leur synthèse parce que le système de contrôle qualité les a détectées - à tort ou à raison - comme défectueuses. On imagine mal un tel taux d'erreur dans une chaîne de production automobile, mais on verra plus loin l'intérêt de cette imperfection naturelle. Le taux d'erreur dans la transcription synthèse d'ARN messager est cohérent avec ce taux d'erreur en aval dans la traduction, de l'ordre de 10-5. Le taux d'erreur dans la réplication de l'information génétique (copie d'ADN en ADN) est par contre de l'ordre de 10-10, ce qui en fait un processus 1 million de fois plus fidèle que la synthèse des protéines. On pourrait en fait faire mieux pour les protéines. Ainsi, les bactéries qui résistent à l'antibiotique streptomycine ont une mutation qui leur confère une fidélité plus haute dans la synthèse des protéines. Il y a cependant un coût à cette fidélité, ces bactéries poussant beaucoup moins vite. L'efficacité est donc privilégiée par rapport à la fidélité.

Stress prévisible et stress imprévisible.
Certains stress sont « prévisibles », par exemple, pour les bactéries, le choc osmotique, le choc thermique (chaud et froid), le choc oxydatif (créé par des macrophages, par exemple). Il y a dans le génome des bactéries des éléments de programme qui permettent de faire face à ces stress, qui ont été rencontrés à de nombreuses reprises au cours de l'histoire évolutive. Les bactéries qui ont survécu aux stress du passé sont aujourd'hui capables de détecter ces stress prévisibles : quand un stress prévisible apparaît, les bactéries activent un mécanisme de survie approprié. Le système d'évolution inductible, le système SOS est mis en action lorsque l'ADN ne peut pas se répliquer car il porte trop de lésions. Le système SOS déclenche la synthèse de polymérases peu fidèles qui sont capables de copier l'ADN défectueux et permettent de sortir du blocage initial, au prix de quelques mutations.
Pour survivre des milliards d'années, une adaptation à des stress imprévisibles est également nécessaire. Le futur est complètement imprévisible, surtout pour les bactéries. Du point de vue des stratégies moléculaires, à l'opposé des mécanismes très spécialisés, efficaces et fragiles (peu robustes) développés face au stress prévisible, les bactéries ont adopté des mécanismes généralistes, flexibles, qui permettent de faire face à l'incertitude inhérente au stress imprévisible. Concrètement, les bactéries créent alors de la diversité aveugle, gaspillent et payent ainsi une sorte d'assurance « tout risque ». On peut en déduire que dans ces conditions, s'il y a un « Grand Concepteur », ce n'est pas le concepteur des produits de l'évolution, c'est le concepteur de la méthode, de la stratégie de l'évolution. Le dernier retrait de Dieu !

Mutation, sélection et biodiversité.
La stratégie de base pour faire face à l'adversité inconnue, est représentée à la figure 1 Le schéma est général et s'applique à l'évolution des tumeurs, des bactéries, des immunoglobulines, des espèces. Dans une population de bactéries, avec un taux d'erreur de 10-10, une bactérie sur 300 environ porte une nouvelle mutation (le génome d'une bactérie typique fait environ 5 106 paires de bases). Normalement, lorsqu'on discute la biodiversité, il y a une connotation politiquement correcte, on respecte la biodiversité. Dans la vie, la biodiversité devient utile au moment où elle va être réduite à presque rien. Par exemple, si on part d'une population de un milliard de bactéries qui sont issues d'une seule bactérie et qu'on les frappe de sélection létale, avec un antibiotique comme l'ampicilline, si la population porte des mutations, un petit nombre de bactéries (1, 2 ... 10) résistantes seront sélectionnées parce qu'elles portaient par hasard une mutation qui leur confère la résistance à l'antibiotique et pourront survivre. Si on laisse pousser ces quelques bactéries, et qu'on frappe les milliards de bactéries qui en sont issues avec un autre antibiotique quelconque, une de ces bactéries aura, par hasard, reçu une mutation qui lui permettra de survivre et développé ainsi deux résistances. Les stratégies évolutives visent essentiellement à mettre en place des mécanismes adaptatifs de survie aux stress. Dans le cas des tumeurs, ce n'est pas une sélection létale, c'est plutôt une sélection compétitive (partie droite de la figure 1) : une cellule qui acquiert une mutation relâchant un des nombreux freins présents au cours du cycle cellulaire, se divise à chaque génération un peu plus vite que les autres et finit par s'imposer au sein de la tumeur. Ce type de sélection compétitive a aussi lieu chez les bactéries dans la nature, en l'absence d'antibiotiques. La biodiversité apparaît ainsi comme le substrat pour la sélection, les mutations sont comme une « assurance-Vie » qui permet de gagner la survie lorsque la population entière est frappée par une sélection létale. Les espèces évoluent de la même façon. La biodiversité permet ainsi à la vie de perdurer malgré de grandes catastrophes. La biodiversité est issue de l'imperfection des mécanismes de réplication de l'ADN, ainsi que des transferts génétiques horizontaux entre espèces proches (création d'individus mosaïques par ajout de blocs de gènes étrangers à l'espèce ayant évolué de manière indépendante des gènes existants). Le danger des monoclones est ainsi l'absence de robustesse liée à l'absence de biodiversité.


Paradigmes lamarckien, darwinien et bactérien.
Il y a deux grands paradigmes historiques dans l'évolution : le paradigme darwinien et le paradigme lamarckien. La figure 2 représente la biodiversité par une courbe en cloche. Le paradigme lamarckien dit que si l'environnement change et qu'une version (allèle) A d'un gène ne permet plus la survie, il y a une évolution intelligente : on construit à partir d'un allèle A un allèle B qui permet la survie. Le paradigme darwinien dit qu'il y a une grande diversité naturelle dans la population ; si B est préexistant dans cette diversité, les bactéries qui portent cet allèle survivent ; si B n'est pas préexistant dans la diversité, la population entière s'éteint simplement. Ainsi le paradigme darwinien exclut l'intelligence, le choix « à la carte ».
Le paradigme « bactérien », encore appelé néo-darwinien, que j'ai élaboré avec mes collègues François Taddei et Ivan Matic, est intermédiaire entre le paradigme lamarckien et le paradigme bactérien. Il n'inclut pas l'intelligence du lamarckisme, mais inclut le stress, qui active des gènes de sauvetage, de survie, jusque là éteints, silencieux. Grâce à ces gènes, le système commence à muter davantage : en cas de catastrophe, avant de mourir, on « essaye une dernière opération génétique désespérée » et on fait exploser la biodiversité : au lieu des taux d'erreurs de 10-10, on augmente le taux d'erreur de 1000 fois, à 10-7. Le résultat est plutôt bon : même si on n'a pas l'intelligence de pouvoir construire B sur mesure, cette évolution inductible multiplie par 1000 la probabilité que l'allèle B soit présent dans la population.


Les mutateurs.
La figure 3 illustre le phénomène de la sélection du deuxième ordre. Cette expérience démontre l'énorme adaptabilité génétique des bactéries : comme disait le célèbre évolutionniste Steven G Gould, les bactéries sont de loin les organismes ayant le plus de succès sur la terre, adaptées à tout, vivant dans toutes sortes de conditions horribles, jusqu'aux eaux bouillantes des geysers. Cette adaptabilité des bactéries à une énorme variété de milieu est précisément notre problème lorsque les bactéries sont pathogènes. On étale des bactéries sur une boîte de Pétri, un tapis qui en contient de l'ordre de 10 milliards. On transfère ces bactéries sur une boîte de gelose qui contient l'antibiotique ampicilline. Seule une bactérie sur 10 à 100 millions survivra. On laisse pousser ces bactéries survivantes 24 heures, chacune donne naissance à environ 10 millions de bactéries. On met ensuite la boîte en contact avec une deuxième boîte, qui contient un autre antibiotique, différent. On sélectionne ainsi une deuxième résistance. On itère l'opération pour sélectionner une troisième propriété : la capacité à se nourrir de lactose. On évalue ensuite le taux de mutation dans les clones bactériens à chaque étape. On observe alors qu'une bactérie sur 100 000 mute 100 à 1000 fois plus vite que les autres. On appelle ces bactéries des mutateurs. Après la première sélection, 1% des bactéries sont des mutateurs, après la deuxième sélection, 50% en sont et après la troisième sélection, toutes les bactéries sont des mutateurs. Ainsi par le biais de cette sélection qui visait trois capacités spécifiques (résistance à deux antibiotiques distincts, capacité de métaboliser le lactose) les bactéries n'ont pas seulement « appris » cette triple capacité, elles ont appris une méthode qui leur permet de muter plus vite, et donc les prépare à faire face beaucoup plus efficacement à des problèmes nouveaux.
Le défaut des bactéries mutateurs est expliqué à la figure 4 Il y a trois types de mécanismes pour maintenir la fidélité au cours de la réplication, chez les bactéries comme chez l'homme. Le premier est un nettoyage des lésions chimiques apparaissant naturellement dans l'ADN qui va être copié, à cause du métabolisme oxydatif ou des radiations par exemple. Les lésions chimiques sont réparées, coupées à gauche et à droite et remplacées, par l'activité d'une ADN polymérase. Un deuxième mécanisme s'occupe des nucléotides, A, T, G, C, substrats de base pour la synthèse de l'ADN ; il assure un taux d'erreur de l'ordre de 10-7 dans ces briques de base. Un dernier mécanisme est un système de contrôle qualité de ce qui vient d'être fabriqué. Ce système compare systématiquement la copie et l'original. A chaque fois que la copie n'est pas conforme à l'original, la copie est corrigée conformément à l'original. Ce système est efficace à 99.9%, et assure donc un taux d'erreur global de l'ordre de 10-10. La majorité des mutateurs perd ce mécanisme, ce qui explique qu'ils ont 1000 fois plus de mutations que la moyenne de la population. En outre, les mutateurs ont des taux de recombinaison plus élevé que la normale et sont donc plus susceptibles que les bactéries sauvages de donner lieu à des individus mosaïques. Avec Ivan Matic, nous avons analysé des bactéries issues d'environnements naturels (hôpitaux, etc.) et calculé que 1% des bactéries naturelles sont des mutateurs. La figure 5 montre une autre expérience. On prend une bactérie Escherichia coli cultivée depuis 1922 en laboratoire. Ces bactéries n'ont donc pas poussé depuis longtemps dans leur milieu naturel, l'intestin d'un mammifère. On introduit ces bactéries identiques dans des souris qui sont stériles, qui ne contiennent au départ aucune bactérie. Rapidement, il y a 20 % des souris ne contenant que les bactéries mutatrices.
Si on met en compétition des bactéries normales et des mutateurs dans ces souris, qui sont pour elles un milieu nouveau, on observe à chaque fois que ce sont les bactéries mutateurs qui s'imposent et s'adaptent le plus rapidement. Si on part d'un ratio mutateurs / sauvage de 1, au bout de quelques jours, il y a 100 000 fois plus de mutateurs que de sauvages. La figure 6 montre le résultat de simulations. En ordonnée, le fitness, la valeur sélective, concrètement la vitesse de survie. On voit qu'au cours du temps la vitesse de croissance augmente au gré de l'acquisition de mutations qui relâchent des freins, et atteint finalement une asymptote, fitness maximale du génome dans l'environnement. La simulation montre que les mutateurs atteignent cette vitesse de croissance maximale beaucoup plus vite que les autres. Ceci se fait au prix de quelques morts, mais n'affecte pas la mortalité générale. Etre un mutateur peut être un inconvénient pour l'individu, et un avantage pour la population. On peut à ce titre comparer les mutateurs à des « expériences pilotes ». A court terme, face à n'importe quel défi évolutif (antibiotiques...) on observe que les mutateurs gagnent face aux bactéries normales. Par exemple, des chercheurs madrilènes on observé que dans les poumons de patients atteints de mucoviscidose et traités en permanence avec des antibiotiques, la moitié de la population est constituée de mutateurs. A terme, les mutateurs paieront le prix des erreurs qui ont permis leur succès.
Nous avons cherché, dans le génome des bactéries, des traces qui prouveraient que dans le passé elles ont évolué à deux vitesses : quand la vie est dure, un taux de mutation élevé et quand la vie est facile, un taux de mutation faible. La figure 7 présente l'espace des séquences observé au gré des mutations. En l'absence de sélection létale, les bactéries vivent une marche sûre et lente vers un fitness amélioré. Les mutateurs au contraire accumulent les mutations beaucoup plus vite, s'adaptent vite, mais la létalité associée à l'érosion de leur génome les condamne à long terme. On a observé que la sexualité des bactéries, les échanges de gènes, permettent à des mutateurs de redevenir non mutateurs. Des mutateurs adaptés peuvent aussi transmettre le gène qui a permis leur succès à des non mutateurs. Disposer d'une fraction de mutateurs est alors un avantage pour la population toute entière.


Conclusion.
Du point de vue de la vitesse d'évolution, de mutation, la vie se passe entre deux extrêmes mortels. Le premier, un conservatif total, avec aucune mutation, condamne les bactéries dès qu'une série de stress importants apparaissent. Le second extrême - trop de mutation - a été fabriqué en laboratoire et ceci n'est pas viable même à court terme : des levures ou des bactéries mutatrices modifiées pour produire 100 000 fois plus de mutations que des cellules normales.
Ainsi le taux de mutation optimal est une fonction de l'environnement : si la vie est facile, le taux de mutation optimal est zéro : le génome est parfaitement adapté, l'environnement ne change pas et on ne change pas le génome ; si la vie est très difficile, le taux de mutation optimal peut devenir énorme (exemple du virus du SIDA).
On pense pour finir au principe de la Reine Rouge de Lewis Caroll : la Reine Rouge est en train de courir tout le temps. Lorsqu'elle arrive au pays de la Reine Rouge, pour pouvoir lui parler, Alice doit courir aussi. Au bout de vingt minutes Alice est épuisée par sa course et interpelle la Reine car elle se rend compte qu'elle est toujours en face du même arbre qu'au départ. La Reine lui explique alors que dans son pays, pour simplement rester sur place il faut courir. C'est en quelque sorte ce que font les bactéries depuis des milliards d'années : elles « courent » génétiquement tellement vite qu'elles réussissent à s'adapter à tout environnement et à tous les antibiotiques que nous avons fabriqués.

 

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UN NANOMÉDICAMENT

 

Paris, 1er décembre 2014


Un nanomédicament au rôle neuroprotecteur
Un nanomédicament au rôle neuroprotecteur vient d'être identifié par l'équipe de Patrick Couvreur à l'Institut Galien (Université Paris-Sud/CNRS), en collaboration avec une équipe de l'Université Hacettepe (Ankara, Turquie). Ce nanomédicament a été réalisé à partir du couplage de l'adénosine (molécule neurocompétente) au squalène (lipide naturel et biocompatible) permettant par assemblage supramoléculaire l'obtention de nanoparticules. Le rôle neuroprotecteur de ce nanomédicament a été démontré dans un modèle d'ischémie cérébrale1 chez la souris et de traumatisme de la moelle épinière chez le rat. Ces travaux viennent d'être mis en ligne sur le site de la revue Nature Nanotechnology.

 

DOCUMENT          CNRS             LIEN

 
 
 
 

ACTIVATION DE L'ACTIVATION DES PHOTORÉCEPTEURS CHEZ LES PLANTES

 

Jeudi 26 Juin 2014


Mécanismes intimes de l’activation des photorécepteurs chez les plantes
Sci. Rep. (2014), 4, 5175


CEA
Cette étude a établi le mécanisme complexe de la photoréduction de la flavine dans le photorécepteur cryptochrome et élucidé l’impact de l’ATP et du pH sur cette photoréaction.



Les cryptochromes (CRYs, du grec krypto chroma : couleur cachée) sont des flavoprotéines sensibles à la lumière bleue que l’on trouve chez les plantes et les animaux. Ils sont impliqués dans la régulation des rythmes circadiens (chez les animaux), dans diverses réponses de photomorphogenèse (chez les plantes), et pourraient être impliqués dans la détection des champs magnétiques par des oiseaux migrateurs. Les cryptochromes sont des photorécepteurs qui captent la lumière bleue grâce à un cofacteur flavine, induisant un transfert d’électrons intraprotéique entre une chaîne de trois tryptophanes et la flavine.
Un des enjeux importants des études actuelles des cryptochromes est la compréhension du mécanisme de réaction lors de la photoexcitation. Des travaux théoriques récents prédisent qu’une des étapes de la photoréaction, la protonation du FAD°Ÿ−, soit ultrarapide (de l’ordre de la picoseconde) alors que des études expérimentales sont plutôt en faveur de vitesses de l’ordre de la microseconde.
L’étude expérimentale de ces réactions ultrarapides nécessite des approches méthodologiques spécifiques disponibles au SB2SM. Une équipe de l’iBiTec-S en collaboration avec 4 autres équipes (deux françaises et deux américaines) a étudié l'effet du pH et de l'ATP sur la photoréduction de la flavine dans le CRY1 d’Arabidopsis en utilisant la spectroscopie d'absorption transitoire. Ces travaux suggèrent que l’ATP provoque le changement du mécanisme de la photoréaction en augmentant le pKa du résidu Asp396 (de 7.4 à >9) et la rigidité de la protéine dans son domaine photoactif. En conséquence, les réactions ultrarapides théoriquement prédites pourraient en effet se produire dans certaines conditions in vitro (en absence d’ATP), mais ne sont probablement pas importantes in vivo (~1 mM ATP, pH entre 7.0 et 7.5) où le transfert d'électrons ‘classique’ par la triade de tryptophanes et la protonation lente du FAD°Ÿ− devraient prévaloir. Finalement, l’hypothèse avancée par les chercheurs est que le changement de conformation du CRY végétal, important pour la signalisation par cette protéine, pourrait être déclenché par la charge anionique sur D396, qui est formée uniquement par le chemin classique de photoréduction.
Une étude théorique complexe des effets de l’ATP et de l’état de protonation du résidu Asp396 sur le transfert d’électrons et sur la dynamique conformationnelle est en cours en collaboration avec les collègues de l’Université Paris Sud.

Centre photoréactif du cryptochrome en présence d’ATP
Müller P, Bouly JP, Hitomi K, Balland V, Getzoff ED, Ritz T, Brettel K. (2014). ATP Binding Turns Plant Cryptochrome Into an Efficient Natural Photoswitch. Sci. Rep., 4, 5175.
http://dx.doi.org/doi:10.1038/srep05175

 

DOCUMENT     dsv.cea.fr     LIEN

 
 
 
 

LES ABEILLES

 

Paris, 4 décembre 2014


Perception visuelle : chez les abeilles l'arbre ne cache pas la forêt
L'arbre cache-t-il la forêt, ou la forêt cache-t-elle les arbres ? Analysons-nous d'abord une image dans sa globalité pour ensuite nous concentrer sur les détails, ou bien portons-nous, au contraire notre attention sur les détails pour ensuite reconstruire l'image dans son intégralité ? Les travaux d'Aurore Avarguès-Weber et de Martin Giurfa du Centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/Université Toulouse III - Paul Sabatier) montrent que, contrairement à la plupart des animaux étudiés, les abeilles préfèrent compter sur la forme générale. Tout comme les humains, elles utilisent en priorité l'image globale. Cette étude est publiée le 3 décembre dans Proceedings of the Royal Society Biological Sciences. Aurore Avarguès-Weber, premier auteur de l'article, va recevoir une des bourses françaises L'Oréal – UNESCO pour les Femmes et la science pour l'ensemble de ses travaux sur la cognition chez les abeilles.
La perception visuelle a été étudiée en profondeur chez l'Homme et chez divers animaux, notamment des primates, afin de déterminer comment la vision permet de traiter et d'appréhender les images du monde qui nous entoure. Jusqu'à présent, les études indiquaient une différence profonde entre l'Homme et l'animal dans la façon de traiter des images : alors que l'Homme priorise une perception visuelle globale avant les détails, ce qui lui permettrait une reconnaissance plus rapide et efficace des objets, les animaux étudiés suivent en général la stratégie opposée : le détail passe avant la perception globale.
L'abeille dépend fortement de la vision pour naviguer efficacement dans son environnement et pour repérer et reconnaitre aussi bien les fleurs exploitées que sa ruche et ses alentours. Il était donc logique de s'intéresser à la perception visuelle de ce petit insecte. Cette étude, réalisée en collaboration avec des chercheurs australiens, met en évidence une exception à la différence homme/animal généralement observée. Les résultats obtenus montrent que, lorsqu'elles doivent choisir entre utiliser les détails ou la forme globale d'une image pour reconnaître une source de nourriture, les abeilles préfèrent se servir de la forme globale.
Les chercheurs ont utilisé des stimuli dits hiérarchiques, c'est-à-dire des images comportant deux niveaux d'analyse : une forme géométrique globale constituée par plusieurs éléments plus petits ayant une forme différente. Les abeilles ont été entraînées à rentrer dans un labyrinthe en forme de Y où elles doivent choisir entre deux images situées à chacune des branches, comme par exemple un triangle (forme globale) construit avec des petits disques (détails) d'une part et un carré construit avec des losanges d'autre part. Le choix d'un des stimuli était récompensé avec une gouttelette de sucre et l'autre pas.
Une série de tests a tout d'abord montré que les abeilles ont appris à reconnaître l'image permettant d'obtenir le sucre (triangle fait de disques) et qu'elles sont capables de percevoir et d'utiliser aussi bien les formes globales que les détails. Elles ont ensuite été confrontées à un choix problématique entre un triangle (information correcte) construit avec des losanges (information incorrecte) et un carré (information incorrecte) construit de disques (information correcte). Dans les deux cas, il y a présence d'une information correcte et d'une information incorrecte en conflit avec la mémoire de l'abeille. Face à ce dilemme, les abeilles ont préféré choisir le triangle et donc se fier à l'information globale plutôt qu'aux détails, de la même façon que nous le ferions.
Encore plus intéressant, ces travaux montrent aussi que les abeilles ont la capacité de faire évoluer leur choix suivant leur expérience individuelle, montrant ainsi une étonnante faculté d'adaptation de leur vision. Ainsi, si les abeilles sont entrainées avec des images simples (par exemple un seul petit disque) et récompensées pour leur attention aux détails, elles inverseront par la suite leur préférence. Du fait de leur capacité d'apprentissage, ces abeilles-là choisiront de se fier plutôt aux détails qu'à une information globale : elles considèrent que les détails sont plus informatifs que la forme générale de l'image car ils ont été utilisés comme indicateur de la présence de sucre auparavant.
Analyse visuelle globale et contrôle de l'attention ne sont donc pas des prérogatives humaines mais existent bel et bien chez l'abeille. Le défi futur reste de comprendre les mécanismes neuronaux qui confèrent de telles facultés à cet insecte, là où des structures cérébrales infiniment plus complexes semblent requises chez les humains.

 

DOCUMENT           CNRS            LIEN

 

 

 
 
 
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