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EVOLUTION, DÉVELOPPEMENT : LA SYSTÉMATIQUE GÉNÉTIQUE

 

Texte de la 431e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 10 juillet 2002

Sylvie Mazan, « Evolution et Développement : la rencontre de deux logiques pour le vivant »


Dans le domaine des sciences humaines, la compréhension d'une société et de son fonctionnement implique des approches multiples, visant par exemple à la replacer dans un contexte géographique, économique ou culturel et les contraintes qu'il implique. Mais ces analyses ne sauraient exclure une approche historique, retraçant à la fois son origine et les changements qui l'ont modelée au cours du temps. Il en est de même dans le cas du monde vivant. Ainsi, chez les animaux, la morphologie qui caractérise une espèce peut être comprise sous des aspects multiples (adaptation à un contexte écologique ou environnemental, résultat des processus génétiques et cellulaires complexes qui ont lieu au cours de l'embryogenèse). Mais elle est également le résultat d'une évolution, difficilement prévisible, dont il est particulièrement intéressant de retracer les étapes. Une telle approche s'inscrit donc dans une démarche de type historique. Au cours des vingt dernières années, la biologie moléculaire et la génétique du développement ont fourni, de façon inattendue, des outils nouveaux pour comprendre l'évolution des espèces. Elles ont conduit à l'émergence d'une nouvelle discipline, située à l'interface entre la génétique du développement et les sciences de l'évolution, et souvent appelée "Evo-Devo" par les spécialistes. Le but principal des recherches conduites dans ce domaine est de comprendre l'évolution des formes au sein du monde vivant, en retraçant l'histoire évolutive des gènes qui contrôlent la morphogenèse au cours du développement embryonnaire. Comme on le verra plus loin, ce type d'approche pourrait également permettre de relever d'autres enjeux, tout aussi importants.

Evolution et développement : un lien ancien longtemps oublié

L'idée de rapprocher les sciences de l'évolution et l'étude du développement embryonnaire n'est pas neuve. Elle trouve ses origines dès le début du XIXe siècle, alors que la théorie de l'évolution n'est pas encore publiée. Ainsi, le grand embryologiste Karl Ernst Von Baer, découvreur de l'Suf des mammifères mais également de la notochorde, structure embryonnaire qui caractérise un grand groupe de métazoaires incluant les vertébrés, propose à travers quatre grands principes, "Les Lois de Von Baer", une classification des espèces sur la base de leurs caractéristiques embryonnaires. Pour lui, les caractères généraux caractérisant un taxon donné apparaissent à des stades précoces du développement, alors que les caractères spécialisés d'un sous-groupe, voire d'une espèce, se mettent en place à des étapes tardives de l'embryogenèse. Ce scénario se traduit donc par des ressemblances entre embryons précoces, et cela même chez des espèces phylogénétiquement très éloignées comme l'ensemble des métazoaires, les différences s'accumulant ensuite au cours du développement pour aboutir à des morphologies potentiellement très divergentes. Dans cette vue, l'embryon d'une espèce donnée ne passe jamais par les stades adultes d'une espèce considérée comme "inférieure" (cette notion de hiérarchie entre espèces étant bien sûr aujourd'hui totalement abandonnée), mais en diverge de plus en plus au cours de son développement. La conception de Von Baer est assez proche de notre vision moderne en ce qu'elle n'implique pas de hiérarchie entre taxa au sein du monde vivant, mais plutôt une divergence à partir d'un "type" commun qui fonde l'unité du groupe. Sa faiblesse réside cependant en l'absence de mécanisme expliquant cette unité, dont nous savons aujourd'hui qu'elle est liée à une ascendance commune au cours de l'évolution. Par ailleurs, l'idée d'une conservation préférentielle des mécanismes mis en jeu précocement au cours du développement reste difficile à évaluer. Une conception radicalement différente est défendue dans la deuxième moitié du XIXe siècle par un courant de pensée dont le chef de file est Ernst Haeckel. Souvent résumée par la formule célèbre "l'ontogénie récapitule la phylogénie", cette conception intègre la notion d'évolution mais soutient l'idée selon laquelle ces organismes évoluent par l'addition de nouveaux stades de développement aux formes adultes d'espèces "inférieures". Elle aboutit ainsi à une vision hautement hiérarchisée du monde vivant qui rejoint finalement l'échelle aristotélicienne des êtres et une conception gradiste de l'évolution, qui modèlerait les espèces "supérieures" par complexification d'espèces inférieures. Ces vues sont aujourd'hui totalement abandonnées. En dépit de ces difficultés et des contradictions présentes dans ces visions du monde qui s'affrontent, l'idée d'un lien fort entre l'évolution et le développement embryonnaire est donc présente dès la fin du XIXe siècle. Charles Darwin l'exprime particulièrement clairement à travers les deux citations suivantes, extraites de L'origine des espèces "Embryology is to me by a the strongest class of facts in favor of change of forms" ou "Community of embryonic structures reveals community of descent"m.

Fondements techniques et conceptuels

Jusqu'aux années 1980, l'intérêt pour les relations entre évolution et développement va connaître une longue éclipse. C'est pourtant au cours de cette période que se mettent en place des outils techniques et conceptuels essentiels pour l'émergence de la discipline "Evolution -Développement". Ces avancées concernent trois domaines, bien séparés pendant la majeure

partie du XXe siècle, la génétique formelle, l'embryologie expérimentale et la cladistique. De façon indiscutable, l'essor récent de la génétique du développement a joué un rôle considérable dans l'intérêt renouvelé que suscitent aujourd'hui les relations entre évolution et développement. La caractérisation dans les années 1980 des gènes qui contrôlent la morphogenèse fournit en effet une base nouvelle pour des comparaisons à très grande échelle évolutive, entre taxa, mais aussi entre des espèces relativement proches, voire entre sous-populations d'une même espèce. Par ailleurs, à cette époque les outils conceptuels nécessaires à des comparaisons rigoureuses ont été mis en place, notamment sous l'impulsion de Willi Hennig. Les principes posés par ce dernier -base strictement généalogique pour les regroupements ; principe de parcimonie - restent aujourd'hui valides, même si les outils méthodologiques, mathématiques ou probabilistes, ont été considérablement améliorés. La rencontre entre évolution et développement n'aurait pu avoir lieu sans ces outils, indispensables aux analyses et aux comparaisons de séquences. Enfin, les progrès récents de la biologie moléculaire ont également constitué un facteur important dans l'essor de la discipline "Evolution-Développement". En particulier, l'utilisation de l'amplification génique ("Polymerase Chain Reaction") et la mise au point de techniques permettant de visualiser rapidement un domaine d'expression génique chez l'embryon ouvrent la possibilité d'étudier les "gènes de développement" chez un spectre très large d'espèces, choisies pour leur intérêt en termes évolutifs, et non chez les seuls organismes modèles, drosophile ou nématode chez les protostomiens, oursins, ascidies et vertébrés chez les deutérostomiens.

Des gènes conservés à très grande échelle évolutive : à la recherche des origines

Une des plus grandes surprises de la génétique du développement a émergé de la comparaison entre deux organismes dont les morphologies sont a priori fort distantes, la mouche et la souris. Très vite, il est en effet apparu que les acteurs moléculaires impliqués dans le contrôle du développement embryonnaire - facteurs de transcription, voies de signalisation, protéines de structure - sont conservés entre insectes et vertébrés. Bien plus, les gènes codant pour un grand nombre de facteurs de transcription interviennent dans des processus très similaires : morphogenèse de l'Sil dans le cas des gènes à homéodomaine Pax6 ; spécification de l'identité de segments dans le cas des gènes du complexe Hox ; régionalisation du cerveau dans le cas des gènes Otx ou Emx ; formation du cSur dans le cas du gène tinman. En accord avec la conservation en séquence primaire de ces protéines, les régions codantes sont même souvent très largement interchangeables entre des espèces très éloignées, comme la mouche, la drosophile et la souris. Ainsi, chez la drosophile, une des façons de mettre en évidence le rôle du gène Pax6 dans la morphogenèse de l'Sil est d'induire artificiellement son expression dans des populations cellulaires dans lesquelles il n'est normalement pas transcrit : on obtient alors l'apparition de structures visuelles -ou simplement - photoréceptrices - à des localisations surprenantes comme la patte ou l'extrémité des antennes. Or, il s'avère que le même effet est obtenu avec des séquences codantes de poulpe ou de souris ! Que signifient ces expériences ? Elles démontrent d'abord et avant tout que les protéines d'insectes et de mammifères possèdent des propriétés biochimiques très similaires, et que les interactions moléculaires nécessaires à la formation d'un organe visuel sont largement conservées à très grande échelle évolutive. Mais elles poussent aussi parfois à des interprétations plus poussées - et plus hypothétiques -, comme des homologies d'organes entre phylums éloignés. Ainsi, dans le cas du gène Pax6 précédemment évoqué, les résultats obtenus ont conduit une partie de la communauté scientifique à soutenir l'idée que des organes visuels élaborés, dont dériveraient les yeux des insectes et des mammifères actuels, étaient déjà présents chez le lointain ancêtre commun des protostomiens et des deutérostomiens. Le même type d'arguments, étendu à d'autres mécanismes génétiques impliqués dans la formation du cerveau, du cSur ou la segmentation, a également conduit à émettre l'idée que ce lointain ancêtre commun présentait déjà un grand nombre des caractéristiques retrouvées chez les métazoaires actuels. Cette vue reste cependant un sujet de controverses et il n'est pas exclu que les homologies dont témoignent les similitudes des systèmes génétiques caractérisés chez les métazoaires concernent des mécanismes de différenciation cellulaire plutôt que des organes proprement dits.

Quels rapports entre diversification morphologique et diversification génétique ?

Si les systèmes génétiques et les processus développementaux qu'ils contrôlent présentent de telles similitudes chez les métazoaires, comment expliquer la diversité fascinante de formes, qui est observée au sein d'un taxon ? Les données actuelles suggèrent de multiples mécanismes, dont les contributions relatives restent à évaluer. Il est tout d'abord très clair que les territoires, ou les chronologies, d'expression des facteurs de transcription qui contrôlent l'ontogenèse peuvent varier de façon substantielle même entre espèces proches, ce qui pourrait contribuer de façon importante à la diversité morphologique. Un tel scénario a été remarquablement mis en évidence par l'étude d'un petit poisson présent près des côtes du Mexique, Astyanax mexicanus. Cette espèce compte plusieurs sous-populations vivant dans des habitats différents. L'une d'entre elles, qui réside dans des grottes sous-marines, donc un environnement dépourvu de lumière, est caractérisée par une atrophie complète des organes visuels. Dans ce cas, cette évolution morphologique apparaît clairement liée à la perte du territoire d'expression embryonnaire d'un gène qui code pour une protéine de signalisation, sonic hedgehog et il est intéressant de noter que ce changement est lié non seulement à une perte de fonction (vision) mais également à une augmentation en taille des mâchoires, susceptible de conduire à un avantage sélectif. Cet exemple de micro-évolution est particulièrement intéressant en ce qu'il permet de retracer un scénario évolutif proprement dit. S'il est souvent difficile de retracer les événements de modification/sélection vraisemblablement complexes qui ont eu lieu au cours de l'évolution, on peut cependant noter que de telles variations dans les profils d'expression des gènes qui contrôlent le développement embryonnaire ne sont pas rares. Dans certains cas, elles peuvent être corrélées à des changements morphologiques. Les gènes du complexe Hox qui, chez les mammifères comme chez les arthropodes, sont impliqués dans le contrôle génétique de l'identité des segments du corps, ont fourni un modèle particulièrement riche à cet égard. Ainsi, chez les amniotes, la colonne vertébrale est une structure osseuse clairement segmentée et les gènes Hox jouent un rôle essentiel dans le contrôle génétique de l'identité des vertèbres, cervicales, thoraciques, lombaires ou sacrées, qui la composent. Il se trouve que chez le python, dont le squelette axial est formé de centaines de vertèbres, ces dernières portent pour la plupart des côtes, et présentent donc en cela une identité thoracique. Ce changement est corrélé à des variations très claires des territoires d'expression de plusieurs gènes Hox impliqués dans la spécification thoracique, suggérant ainsi un lien possible entre une évolution morphologique et une évolution génétique. D'autres exemples de tels liens impliquant ce système génétique ont été proposés chez les arthropodes, dont les segments, porteurs ou non d'organes aux fonctions variées, comme des ailes, des pattes articulées, des balanciers, ou des pinces, présentent des caractéristiques morphologiques bien différentes selon le sous-groupe considéré.

Les changements au niveau des régions codantes, et donc des protéines codées par les "gènes de développement " fournissent un autre mécanisme moléculaire majeur, susceptible de modifier les programmes génétiques de l'ontogenèse au cours de l'évolution, et de contribuer ainsi à la diversité morphologique. Là encore, des différences claires des propriétés biochimiques de certaines protéines Hox, liées à l'acquisition de domaines structuraux bien identifiés, ont été décrites entre certains taxons comme les arthropodes et les onychophores qui sont des petits vers au corps segmenté, quelquefois appelés péri-pattes. Ces différences semblent pouvoir déterminer le nombre de segments porteurs de pattes chez certaines espèces, trois strictement chez les insectes, mais plusieurs dizaines chez les onychophores.

Les cascades d'événements moléculaires responsables de ces changements, mutations ponctuelles ou réarrangements chromosomiques, sont généralement mal connus. On pense cependant que certains remaniements génomiques, comme les duplications géniques, pourraient favoriser l'acquisition de nouvelles fonctions par les gènes qui contrôlent le développement embryonnaire, et donc l'apparition d'innovations morphologiques ou physiologiques. De fait, plusieurs grandes transitions au sein du règne animal (transition des diploblastes aux triploblastes, caractérisés par l'apparition du troisième feuillet embryonnaire, le mésoderme ; émergence des vertébrés) pourraient être associées à des duplications géniques massives. Toutefois, l'évolution des familles multigéniques fait l'objet de modèles très différents dans leurs conséquences et reste actuellement mal connue.

Analyse comparative et génétique : deux outils complémentaires pour comprendre les génomes ?

Comme on l'a vu précédemment, l'étude des relations entre évolution et développement repose essentiellement sur les comparaisons des mécanismes génétiques qui contrôlent le développement embryonnaire. La comparaison d'organismes très éloignés, comme la drosophile et la souris, permettra sans doute de préciser encore les réseaux génétiques anciens, déjà présents chez le dernier ancêtre des bilatériens (espèces à symétrie bilatérale). Mais l'interprétation de ces résultats pourrait bien rester délicate et laisser totalement insatisfaite notre curiosité quant à la forme ou les fonctions physiologiques de ce parent éloigné. L'étude des variations génétiques qui se greffent sur ce réseau ancestral, et la recherche de leurs corrélations avec d'éventuels changements morphologiques, connaît actuellement un essor justifié. Là encore toutefois, les interprétations de ces travaux, qui en aucun cas ne permettent de reconstituer des scénarios évolutifs réels, restent limitées. Sans doute l'intégration plus systématique d'approches de micro-évolution et de la biologie des populations sera-t-elle un élément important pour comprendre l'évolution du monde vivant dans sa diversité dasn une synthèse encore plus large ?

Mais les approches et les outils développés par la communauté Evo-Devo pourraient aussi dépasser largement le cadre évidemment très fondamental de cette discipline toute récente. Les comparaisons entre espèces plus ou moins éloignées fournissent en effet un outil privilégié pour identifier les contraintes qui s'exercent sur les séquences des gènes impliqués dans le contrôle de notre développement embryonnaire, de nos processus physiologiques ou de nos comportements. A ce titre, elles pourraient éclairer de façon significative les masses de données, encore bien peu défrichées, que constituent les génomes et en tout premier lieu le génome humain. Il s'agirait dans ce cas d'un bel exemple des retombées que peut avoir la recherche fondamentale sur un domaine plus appliqué, dont les enjeux sociaux économiques et médicaux sont aujourd'hui évidents.

Bibliographie

Arthur,(W). " The emerging conceptual framework of evolutionary developmental biology ". Nature, 415, 757-764. (2002)

Cohn (M.J). and Tickle (C). " Developmental basis of limblessness and axial patterning in snakes ", . Nature, 399, 474-479. (1999)

John Murray Darwin, (C). On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life ( London, 1859).

Georg Reimer Haeckel (E) Generelle Morphologie der Organismen ( Berlin, 1866).

Hennig (W). Phylogenetic Systematics Urbana, Univ. Illinois Press 1966

Holland (P.W.H), " Gene duplications : past, present and future.", Sem. Cell. Dev. Biol. 10, 541-547.(1999)

Levine, ( M.) " How insects lose their limbs ", Nature 415, 848-849. (2002)

Pennisi,( E ), " Evo-Devo enthusiasts get down to details",. Science 298, 953-955. (2002)

Raff, ( R.A ) . The shape of life : genes, development and evolution of animal form,. Chicago ? University of Chicago Press, (1996)

Von Baer (K. E). Uber Entwicklungsgeschichte des Tiere : Beobachtung und Reflexion, Königsberg, Bornträger, 1828.

m "L'embryologie est pour moi de loin la classe de faits la plus forte en faveur du changement des formes". " La communauté de structures embryonnaires révèle la communauté de descendance"


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UN LIVRE ENTIER STOCKÉ DANS L'ADN

 

Un livre entier stocké dans l'ADN
Denis Delbecq dans mensuel 468


Le contenu d'un livre de 300 pages a été stocké sous forme de fragments d'ADN par une équipe américaine. La molécule support de l'hérédité remplacera-t-elle un jour les disques durs ?
Sa densité de stockage est très largement supérieure à ce qu'offrent les disques durs, les clés USB ou les DVD. Pas de trace de silicium, de magnétisme ou de laser, pourtant, dans ce dispositif. C'est dans une molécule d'ADN, support de l'hérédité, que pour la première fois une équipe américaine est parvenue à stocker le contenu d'un livre de 300 pages, illustrations comprises [1]. Le texte - un essai sur la biologie de synthèse écrit par le directeur de l'équipe lui-même - a une petite taille en regard de ce que l'on peut stocker dans un ordinateur : 650 kilo-octets, l'équivalent d'une dizaine de fichiers de traitement de texte.

Mais c'est un tour de force que viennent néanmoins de réaliser George Church et ses collaborateurs de l'université Harvard. Ces derniers ont traduit l'ouvrage en langage informatique, l'ont transposé en code génétique puis ont fabriqué des brins d'ADN correspondants. Une simple machine de séquençage, utilisée pour décrypter le génome humain, a alors suffi pour décoder le contenu... et reconstituer le livre [2].

Pionnier en génétique
George Church n'est pas un inconnu. Ce pionnier du séquençage automatique des gènes fut aussi l'un des artisans du Projet génome humain, la coopération internationale qui publia, en 2001, le premier décryptage d'un ADN humain entier. À l'époque, il avait fallu treize ans d'efforts et des centaines de millions de dollars pour décoder la molécule. Aujourd'hui, les machines de séquençage de dernière génération font la même chose en une journée pour un millier de dollars (800 euros). Et les techniques de synthèse de molécules d'ADN ont elles aussi fait des pas de géant. De là à envisager de stocker des données numériques dans l'ADN, il n'y avait donc qu'un pas. La chose, d'ailleurs, avait déjà été faite.

Dès 1994, le mathématicien américain Leonard Adleman avait démontré l'intérêt d'une analogie entre biologie et informatique en réalisant des calculs avec des brins d'ADN de synthèse [3]. Il avait été précédé, six ans plus tôt, par l'artiste américain Joe Davis, qui avait codé - avec la complicité d'une biologiste - les 35 bits* d'un petit dessin dans l'ADN de micro-organismes. En 2010, enfin, l'institut Craig Venter avait produit des bactéries dotées d'un génome fabriqué de toutes pièces, à partir des informations d'une banque génétique [4]. L'équipe avait signé son travail en insérant dans cet ADN de synthèse un code long de 7 920 bits, représentant notamment un numéro de série, une adresse Internet et la liste des auteurs. Cette fois, avec un texte qui « pèse » 5,2 millions de bits, George Church met la barre très haut... tout en assurant la promotion de la version papier de l'ouvrage qu'il vient de publier.

Pour parvenir à ce résultat, le groupe de Harvard a procédé par étapes. Les 53 426 mots et les 11 illustrations du livre ont d'abord été représentés sous une forme binaire, une succession de 0 et de 1 comme dans n'importe quelle mémoire informatique. Chaque lettre de l'alphabet était codée par une suite de 8 bits. Puis ces « mots » ont été traduits - virtuellement - selon le code de l'ADN. Ce dernier repose sur une suite de molécules, des « nucléotides » de quatre sortes nommés adénine (A), guanine (G), cytosine (C) et thymine (T). Ainsi, chaque « 0 » a indifféremment été codé par un nucléotide A ou C et chaque « 1 » a été représenté par une molécule T ou G. « Nous aurions pu affecter une valeur différente à chaque nucléotide et doubler la densité de stockage, précise Sriram Kosuri, coauteur des travaux, avec George Church et Yuan Gao. Mais nous avons choisi d'obtenir des molécules plus faciles à décoder. »

Découper les informations
Dans leur alphabet, chaque lettre pouvait être représentée par 256 motifs différents comme « ATGCACAT » ou « CTGACACT » pour le « a ».

Le contenu du livre une fois codé en langage génétique, restait à synthétiser la molécule d'ADN elle-même. Or cette synthèse est d'autant plus difficile que la séquence à coder est grande. Du coup, les biologistes ont découpé leurs millions d'informations élémentaires en 55 000 blocs d'une centaine de nucléotides chacun. Chaque bloc a été identifié par un code-barres unique, lui aussi écrit avec de l'ADN, pour ordonner les informations lors de la lecture. Cette organisation rappelle la manière dont les informations circulent sur Internet, sous forme de petits paquets soigneusement étiquetés. Une fois synthétisés, les brins d'ADN ont été dupliqués par un procédé éprouvé, la réaction en chaîne par polymérase (PCR). Après une semaine d'efforts, le résultat était là : 70 milliards d'exemplaires du livre codés dans de l'ADN, bien à l'abri dans le fond d'une éprouvette.

Mais comment les lire ? « La lecture des données est beaucoup plus simple que l'écriture », souligne Sriram Kosuri. Elle se fait en effet avec un séquenceur automatique, comme n'importe quelle analyse d'ADN, après avoir prélevé 1 % du contenu de l'éprouvette. Grâce à un fort niveau de redondance - chaque bloc d'information est encore présent à plus de 3 000 exemplaires après élimination des séquences incomplètes-, le livre reconstitué ne contient que 10 bits erronés pour les 5,2 millions de bits de départ. Un taux qui pourrait être considérablement amoindri en introduisant, dans chaque bloc, des bits de correction d'erreur comme cela se fait dans les supports informatiques traditionnels.

« Il s'agit d'une vraie preuve de concept d'un stockage d'informations biomoléculaire », commente Jérôme Bonnet, de l'université Stanford (lire ci-dessous). Le procédé ne remplacera jamais les disques durs, ni les CD et DVD réinscriptibles, puisque les brins d'ADN ne sont pas modifiables et que les processus de synthèse et de lecture nécessitent des jours d'efforts. Toutefois, « tout le monde connaît les problèmes d'obsolescence des supports de stockage. Un archivage à long terme sous forme d'ADN prend tout son sens : l'humanité saura encore le décoder dans cinq siècles. De plus, au rythme d'évolution actuel, on peut espérer que les techniques de synthèse et de séquençage auront un jour un coût proche de zéro. » Steve Benner, de la Fondation pour l'évolution moléculaire appliquée, affiche de son côté un fort scepticisme : « Il faut se méfier des extrapolations. Pour le moment, je ne vois pas de perspectives pour ces recherches. Il est difficile de lire et d'écrire l'ADN, et cette molécule est instable. Ces trois problèmes n'ont pas été résolus à ce jour. »

Conservation
Argument que réfute Jérôme Bonnet : « On a pu décoder partiellement le génome de l'homme de Neandertal, répond-il. Cet ADN naturel a été fortement dégradé par de mauvaises conditions environnementales. Mais si on lyophilise les brins et qu'on les conserve à l'abri de la lumière et de l'humidité, il est probable que leur durée de conservation se mesure au moins en centaines d'années. » Sriram Kosuri défend aussi l'idée d'un archivage biomoléculaire, tout en soulignant qu'il faudra des machines « un million de fois plus performantes pour espérer des applications concrètes. Cela correspond aux progrès réalisés au cours des dix dernières années ».

Aujourd'hui, son équipe profite d'une puce du commerce capable de porter 250 000 brins d'ADN, soit cinq fois plus que ce que supporte la puce utilisée pour les premières expériences. « Dans quelques mois, nous approcherons le million de brins », assure le chercheur. Sur le papier, il suffirait d'une dizaine de grammes d'ADN seulement pour stocker l'ensemble des données numériques produites cette année par l'humanité entière.
* LE BIT, contraction de binary unit, est l'unité de mesure d'une quantité d'informations binaires. Il a pour valeur 0 ou 1.
L'ESSENTIEL
- UNE ÉQUIPE de l'université Harvard a stocké sous forme d'ADN un texte de 5,2 millions de bits, à l'aide des outils classiques de la génomique.

- LA MULTIPLICATION des fragments d'ADN codant le texte et leur étiquetage a permis une reconstitution du texte avec un taux d'erreur infime.

- CETTE FORME de mémoire n'est pas réinscriptible mais particulièrement durable.
JÉRÔME BONNET BIO-INGÉNIEUR À L'UNIVERSITÉ STANFORD. /P>«LA CELLULE PEUT ÊTRE PROGRAMMÉE COMME UN ORDINATEUR»
Vous avez conçu une mémoire qui fonctionne dans une bactérie, quel en est le principe ?

J.B. Nous avons créé cette mémoire réinscriptible en intervenant dans le génome d'un micro-organisme. Ainsi, avec des enzymes, nous pouvons inverser -et restaurer- une séquence d'ADN associée à l'expression d'une protéine fluorescente rouge ou verte [1]. Cela correspond à un premier bit de mémoire, et nous travaillons sur le second.

Pourquoi avoir choisi l'ADN ?

J.B. Cela permet d'obtenir une mémoire stable dans la durée, dont l'état est conservé lors des divisions cellulaires. De plus, l'information est conservée sans consommation d'énergie.

À quoi pourraient servir des mémoires vivantes ?

J.B. Si on parvient à augmenter le nombre de bits, nous pourrons réaliser de petits circuits logiques. Nous espérons créer un compteur qui serait incrémenté à chaque division cellulaire. Ainsi, nous pourrions étudier le vieillissement cellulaire ou l'évolution de cellules tumorales. On pourrait aussi transformer des bactéries en détecteurs de substances chimiques pour signaler une pollution ou faire du diagnostic médical. n Propos recueillis par D.Dq

[1] J. Bonnet et al., PNAS, 109, 8884, 2012.


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RÉPARATION DE L' A D N

 

Les clés d'un processus majeur de réparation de l'ADN

Des chercheurs de l'Institut Jacques Monod (CNRS/Université Paris Diderot), de l'Institut de biologie de l'ENS (ENS/CNRS/Inserm), et de l'Université de Bristol (Royaume-Uni) ont décrypté, pour la première fois en intégralité, comment l'ADN dégradé par les UV se répare, et quelles sont les différentes protéines impliquées dans ce processus. Leurs travaux, qui ouvrent des perspectives pour la lutte contre les cellules cancéreuses et contre certaines infections bactériennes, sont publiés dans la revue Nature le 3 août 2016.
L'ADN de nos cellules est attaqué en permanence par de nombreux agents extérieurs, comme les molécules cancérigènes contenues dans la fumée de tabac ou les rayons UV émis par le soleil. Non réparées, ces agressions provoquent des mutations qui peuvent favoriser l'apparition de cancers, d'où l'importance d'une réparation rapide et efficace de l'ADN. Pour ce faire, la cellule mobilise toute une série d'enzymes qui doivent agir de façon parfaitement coordonnée pour identifier et réparer les parties abimées de son patrimoine génétique. La complexité de ce processus a pendant longtemps empêché les chercheurs de comprendre quels étaient les mécanismes à l'œuvre.

Grâce au développement des nanotechnologies, une équipe regroupant des biologistes et des physiciens a pu filmer en temps réel des enzymes en train de réparer un ADN abimé. Leur série de travaux a été initiée en 20121, quand l'équipe s'est concentrée sur le début du mécanisme de réparation. Ils présentent aujourd'hui, pour la première fois, le processus de réparation dans son intégralité.

Grâce à un microscope spécialisé, qui permet à la fois de manipuler et d'observer des molécules d'ADN et de protéines, les chercheurs ont observé une molécule d'ADN endommagée par des ultraviolets. Ils y ont ajouté l'ARN polymérase, une enzyme qui normalement « lit » le code de l'ADN afin de débuter l'expression de son information sous forme de protéines, mais qui se « bloque » en cours de lecture lorsqu'elle arrive sur une partie endommagée de l'ADN. C'est grâce à ce blocage de l'ARN polymérase que les réparations sont effectuées. Concrètement, les chercheurs ont pu observer comment une série de protéines (Mfd, UvrA, UvrB puis UvrC) se sont succédé, chacune avec son activité spécifique, et se sont coordonnées entre elles pour interagir avec l'ARN polymérase et réparer l'ADN endommagé par les rayons UV.

En déterminant l'ordre dans lequel ces composantes agissent et en caractérisant la façon dont elles se relaient, ces travaux ont permis d'établir quelles sont les étapes critiques du processus.

Cette découverte pourrait favoriser de nouvelles applications, à la fois dans la lutte contre le cancer et dans celle contre les bactéries. En effet, lorsque les cancers sont résistants aux radiothérapies et chimiothérapies – dont l'effet est d'endommager l'ADN des cellules cancéreuses – c'est que leurs cellules ont justement activé ce mécanisme de réparation de l'ADN. On peut donc envisager de nouvelles pistes pour inhiber aux moments clés les mécanismes nécessaires à cette réparation. De plus, des bactéries comme celle responsable de la tuberculose emploient des protéines très semblables à Mfd pour proliférer. Ainsi, le fait d'avoir identifié comment ces différentes protéines interagissent les unes avec les autres pourrait également être utile dans la lutte contre des bactéries pathogènes.


Pour en savoir plus : Des protéines qui réparent l'ADN, un film de CNRS Images (2012, 7 minutes).

 

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« la morphogénèse des virus »

 

« la morphogénèse des virus »
Michel Wurtz dans mensuel 294


Modifier le génome d'un virus et le faire répliquer par une bactérie. Quand Alasdaïr Steven et Michel Wurtz, alors chercheurs au Biozentrum de l'université de Bâle, présentent cette « manip », dans La Recherche, l'idée est révolutionnaire. Désormais les applications de génie génétique, auxquelles ce procédé devenu banal a ouvert la voie, ont supplanté ce type de recherche fondamentale.
La découverte du perpétuel mou-vement des éléments constitutifs de la matière vivante par synthèse et destruction de molécules est l'un des grands acquis des années 1970en biologie. Les bactéries et les virus qui infectent celles-ci les bactériophages représentent alors un modèle de choix étant donné leur relative simplicité et la rapidité de leur multiplication. En 1977, nous avions ainsi décrit la production et l'assemblage de nouveaux virus dans les bactéries infectées. Les résultats ont depuis été affinés et la méthodologie que nous avions mise en oeuvre à l'époque travail pluridisciplinaire génétique-biochimie-microscopie a été appliquée comme prévu à d'autres systèmes.

Quatre évolutions importantes sont intervenues après 1977 qui ont modifié le contexte des recherches dans ce domaine :

- les nouveaux microscopes à haute résolution physique fournissent plus d'informations sur les structures biologiques du spécimen examiné avec moins d'électrons, ce qui permet de moins l'abîmer ;

- l'adoption de méthodes de préparation plus respectueuses de l'environnement physique des structures a aussi contribué à préserver l'objet de l'observation ;

- la mise au point de techniques de congélation des spécimens et l'utilisation de la cryomicroscopie électronique à transmission ou à balayage qui fournit une image numérique ;

- l'apparition d'ordinateurs incomparablement plus performants a permis un traitement de ces images, plus rapide et plus efficace1.

Ces évolutions techniques étaient peu ou prou prévisibles. Il était en revanche difficile d'imaginer que ce qui n'avait été qu'effleuré dans notre article allait devenir une réalité industrielle : l'utilisation de virus pour l'introduction de gènes étrangers dans des bactéries et la fabrication de protéines par cette voie sont désormais la routine en génie génétique...

Le matériel génétique des virus est abrité dans une coque de protéines, la capside. La connaissance des paramètres déterminant l'encapsidation est donc le préalable à toute manipulation. La mise au jour de ces paramètres, que nous présentions en partie dans La Recherche , ont permis de développer des kits qui sont encore commercialisés aujourd'hui par Vector Cloning System par exemple2. Ces kits permettent d'intégrer des fragments d'ADN dans le génome du virus le phage lambda , grâce à la mobilisation d'enzymes dites de restriction, puis d'encapsider le tout in vitro , pour infecter une bactérie Escherichia coli .

Avec le recul, il apparaît que la maîtrise de cette méthode a joué un rôle considérable dans l'avènement du génie génétique ; rôle qui a été reconnu par l'attribution du prix Nobel de médecine en 1978, à Werner Arber, alors professeur au Biozentrum de Bâle. Mais cette méthode n'est plus la seule aujourd'hui pour mettre en oeuvre des gènes étrangers : on utilise également des levures ou même des cellules supérieures.

« C'est [...] anticiper que d'extrapoler ces systèmes à la biogenèse des organes complexes, comme les mitochondries, les membranes biologiques et même les cellules » écrivions-nous en conclusion de notre article. Nous aurions en fait pu anticiper sur certains développements, car la même approche a permis de comprendre la morphogenèse d'autres constituants cellulaires chloroplastes, ribosomes, membranes biologiques. En revanche, l'étude des bactériophages - et de la plupart des virus, VIH excepté -, avec les outils de l'ultracentrifugation et de la microscopie électronique, n'est plus à la mode : bon nombre de laboratoires dans le monde ont abandonné leurs recherches dans ce domaine pour leur préférer les applications du génie génétique3. L'article que j'ai publié en 1992 pour passer en revue les travaux sur la structure des bactériophages peut être considéré comme un chant du cygne...4

En même temps que les applications de ces travaux, dont nous avons été parmi les artisans, naissent les interrogations sur les conséquences économiques, écologiques et sociales. Certaines posent, on le sait, d'épineux problèmes éthiques dont les conséquences ne seront perceptibles que dans l'avenir comme, par exemple, la libération dans l'environnement d'espèces génétiquement modifiées ou la mise en oeuvre de thérapies génétiques.
1 J. Dubochet et al. , « Cryoelectron microscopy of vitrified specimens », in Cryotechniques in Biological Electron Microscopy, R.A. Steinbrecht, K. Zierold, ed., p. 114-131, Springer, Berlin et Heidelberg, 1987.

2 S.M. Rosenberg, « EcoK restriction during packaging of coliphage lambda DNA », Gene, 39, 313, 1985.

3 E. Kellenberger, « History of phage research as viewed by an European », F EMS Microbiology Review, 17 , 7, 1995.

4 M. Wurtz, « Bacteriophage structure », Electron Microscopy Review , 5 , 283, 1992.

 

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