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Vers la synthèse d’antibiotiques par une nouvelle enzyme bactérienne |
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Vers la synthèse d’antibiotiques par une nouvelle enzyme bactérienne
COMMUNIQUÉ | 14 MARS 2017 - 13H16 | PAR INSERM (SALLE DE PRESSE)
NEUROSCIENCES, SCIENCES COGNITIVES, NEUROLOGIE, PSYCHIATRIE
Des chercheurs de l’Inra et de l’Inserm ont découvert un nouveau type d’enzymes bactériennes capables de produire des peptides à activité antibiotique jusqu’alors jamais identifiés. Publiés dans Nature Chemistry, ces travaux sont prometteurs pour la synthèse de molécules d’intérêt pharmaceutique et la conception de nouveaux antibiotiques.
Dans le cadre des recherches portant sur l’étude des enzymes du microbiote intestinal, des chercheurs de l’Inra et de l’Inserm ont étudié la bactérie modèle Bacillus subtilis. En effet, son analyse génétique a révélé la présence de gènes conservés chez des bactéries communes du microbiote intestinal telles que les entérocoques.
Les scientifiques se sont notamment intéressés à deux gènes de Bacillus subtilis codant potentiellement pour un peptide et une enzyme appartenant à la super-famille dite des « enzymes à radical SAM». Leurs travaux ont permis de décrire un nouveau mécanisme enzymatique capable de transformer un peptide en une molécule bio-active. Appelée épimérisation, cette transformation enzymatique entraîne le changement de configuration de certains acides aminés de la configuration L (configuration normale au sein des peptides) vers la configuration D. Les chercheurs ont découvert comment cette enzyme fonctionne : elle arrache un atome d’hydrogène présent sur l’atome de carbone alpha des acides aminés pour en donner un nouveau, à l’origine de l’épimérisation de ces derniers. Il s’agit d’un mécanisme inédit dans le vivant.
C’est la première fois que des chercheurs démontrent in vitro la capacité d’enzymes à « radical SAM» de catalyser des épimérisations au sein d’un peptide. De manière surprenante, le peptide ainsi modifié et appelé « épipeptide », est capable d’inhiber très efficacement la croissance de Bacillus subtilis.
Ces épipeptides représentent donc une nouvelle classe de produits naturels qui pourraient servir à développer de nouveaux antibiotiques contre les bactéries à Gram-positif (comme les staphylocoques, entérocoques ou les streptocoques) dont la résistance croissante aux antibiotiques représente un problème majeur de santé publique.
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SÉQUENÇAGE DU GÉNOME |
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Texte de la 27ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 27 janvier 2000 par Jean Weissenbach
Le séquençage du génome humain : comment et pourquoi.
Introduction
Les cellules des êtres vivants contiennent un programme d'instructions (le génome) leur permettant de se maintenir en vie ou de se multiplier. Ces instructions (les gènes) sont codées sous une forme chimique le long de molécules géantes, les molécules d'ADN qui constituent les chromosomes. La connaissance de ces instructions est indispensable à la compréhension des phénomènes biologiques au niveau cellulaire et moléculaire. Mais elle est en outre le point de départ d'applications de plus en plus nombreuses dans les domaines de la médecine et des industries pharmaceutique, biotechnologique, agro-alimentaire et dans d'autres domaines en prise directe avec les processus biologiques (agriculture, environnement).
Le code des instructions (le code génétique) est constitué d'un alphabet chimique à 4 signes, les nucléotides (ou bases), qu’on symbolise par les lettres A, T, G et C. Une molécule d’ADN est constituée de l'enchaînement de millions de ces signes élémentaires tel un collier de perles à 4 couleurs. C'est cette forme d'enchaînement qui permet le stockage de l'information biologique, de même que la succession des octets magnétiques permet le stockage d'informations dans un ordinateur. En d'autres termes, l'ADN est la mémoire du vivant. Pour connaître les instructions que renferme une molécule d'ADN, il faut lire la succession des signes de l'enchaînement (des couleurs des perles le long du collier). C'est cette lecture qu'on appelle séquençage et qu'on sait pratiquer à petite échelle (quelques milliers de bases ou lettres) depuis les années 70, et à grande échelle (quelques millions de bases) depuis le milieu des années 90.
Depuis qu'il a appris à lire la séquence de l'ADN au cours des années 70, l'homme rêve de connaître son propre génome, même s'il n'est pas encore capable de connaître le sens de toutes les instructions contenues dans ce génome. Ce rêve est en passe de devenir une réalité : il y a quelques années a été lancé un gigantesque programme international destiné à séquencer le génome humain dans son intégralité soit 3 milliards de bases. Toute une série de retombées résultant de l'interprétation et de l'exploitation de ces données sont attendues pour les décennies à venir. Nous passerons en revue les plus importantes sur les plans scientifique, médical et des applications, sans oublier que les retombées scientifiques seront elles-mêmes à l'origine de la très grande majorité des nouvelles applications.
Les retombées scientifiques
Au niveau le plus simple se situe l'inventaire des instructions, puis la recherche d'une signification biologique à chacune des instructions qu'on désigne aujourd'hui sous le nom d'approches post-génomiques. Il est en outre quelque peu artificiel de séparer l'inventaire de l'interprétation, car l'inventaire lui-même peut déjà faire appel à un certain degré d'interprétation. Inventaire et interprétation doivent aussi s'appuyer sur les travaux portant sur les autres génomes, notamment les petits génomes, qui ont ouvert la voie et qui continuent à servir de systèmes pilotes au niveau de l'interprétation des données et dans les autres études post-génomiques. L'interprétation qui reste un défi considérable, même pour les petits génomes occupera sans doute une majorité de biologistes pendant plusieurs décennies.
L'inventaire des instructions
Un des premiers objectifs de l'interprétation consistera donc à procéder à un inventaire des gènes aussi complet que possible. Cet inventaire repose sur des comparaisons (notamment à des gènes déjà connus d'autres génomes) et des prédictions faites à l'aide d'autres programmes informatiques. Du fait de l'énormité du volume des données qui va être disponible, cette analyse informatique représente un défi sans précédent en biologie. L'analyse sera encore compliquée par le fait que la masse de données ne fera que s'accroître au fil des ans et qu'elle devra être constamment révisée pour prendre en compte les connaissances additionnelles. De plus, les résultats de traitements qu'effectuent les programmes existants doivent être examinés par des yeux experts, et ces experts font actuellement grandement défaut dans la plupart des pays, aussi bien dans le secteur académique que dans les entreprises privées. A partir de ces données analysées, on pourra dresser un inventaire de l'ensemble des gènes d'un individu.
L'interprétation des instructions
Dans la mesure où l'analyse informatique donne parfois des informations sur la fonction, l'interprétation commence dès ce stade. Si pour une fraction des instructions, la fonction peut être déduite des analyses informatiques, pour de nombreux autres, seules des démarches expérimentales additionnelles permettront de préciser la nature des instructions. En outre, même lorsque les fonctions des gènes peuvent être prédites par des programmes informatiques, il importe de valider ces prédictions par des expériences. Enfin, on s'aperçoit aussi que l'interprétation par comparaison passe souvent par l'acquisition de données de séquences additionnelles.
D'une manière générale, le fonctionnement d'une cellule et d'un organisme multicellulaire reste en grande partie méconnu. Même si la compréhension de chacune des instructions (gènes) d'un organisme ne donne pas une image complète du phénomène vital, elle représente un énorme pas en avant par rapport à l'état de connaissances actuelles. L'étude du rôle de chaque gène répertorié va donc devenir un des objectifs centraux de la biologie dans les décennies à venir. Une telle étude est déjà en cours pour les nombreux gènes de fonction inconnue des génomes dont la séquence complète est disponible.
L'instruction biologique contenue dans un gène s'exprime sous forme d'une autre molécule, une protéine synthétisée par conversion du code d'ADN par la machinerie cellulaire de synthèse protéique. C'est la protéine qui effectue au niveau cellulaire l'instruction contenue dans le gène. Connaître la fonction d'un gène, c'est donc connaître la fonction de la protéine. Pour comprendre l'information, deux voies majeures sont empruntées, l'une consiste à étudier les protéines nouvellement identifiées en général dans des systèmes in vitro, et l'autre, à observer sur l'organisme (animal, plante, micro-organisme) les conditions naturelles d'expression d'un gène ainsi que l'effet des modifications de ce gène. En raison de l'avalanche de gènes nouvellement identifiés, on voit se créer une nouvelle série de goulots d'étranglements dans les démarches expérimentales au niveau des disciplines classiques de la biologie : biologie structurale, biochimie, biologie cellulaire, physiologie, biologie et génétique moléculaires, etc. Toutes ces disciplines qui grosso modo absorbaient les études sur les nouvelles protéines (et leurs gènes) au fur et à mesure de leur découverte sont déjà submergées par le déferlement de dizaines de milliers de nouveaux gènes issus des programmes de séquençage systématique des génomes. Cette situation va s'intensifier dans les années à venir.
A côté du défi informatique évoqué ci-dessus, il s'en profile donc un autre qui met en jeu des séries de dizaines de milliers d'expériences. On sait aussi qu'une expérimentation systématique destinée à une catégorie d'observations ne pourra s'égarer vers l'inattendu. Or, l'inattendu et l'imprévu sont des sources majeures de nouvelles connaissances, et les observations méticuleuses faites à l'échelle d'un gène unique ou de son produit, qui ne rentrent pas dans le moule de la grande échelle, ne peuvent être envisagées à l'échelle d'un génome. Il s'agit là clairement d'un appauvrissement du processus de recherche et d'une dérive quantitative, malheureusement inéluctables pour des raisons de coûts.
Image globale
Aujourd'hui on dispose aussi de méthodes nouvelles qui permettent de connaître simultanément le niveau d'activité de chaque gène dans un tissu donné. Ces méthodes reposent notamment sur l'utilisation des données de séquence et sur l'inventaire des gènes. Ces méthodes peuvent être appliquées à comparer les tissus d'un organisme les uns aux autres, ou comparer les différents états physiologiques d'un même tissu, ou observer l'effet d'une drogue sur l'expression de l'ensemble des gènes du tissu et ainsi de suite. De nouveaux programmes sont actuellement lancés dans de nombreux pays pour obtenir une image globale de l'expression des gènes de tissus cancéreux, une carte d'identité des tumeurs. Ces programmes permettront d'affiner les diagnostics des cancers, de distinguer entre elles des tumeurs aujourd'hui considérées comme identiques, et donc, de mieux adapter les traitements, peut- être d'identifier de nouvelles protéines cibles pour l'action d'agents anti-tumoraux.
Retombées médicales dans les pathologies rares
Un grand nombre de maladies humaines ont une composante génétique. L'influence de cette composante sur la maladie est variable. Pour de nombreuses maladies rares, une altération (mutation) dans un seul gène se manifestera en général par l'apparition d'une série de signes caractéristiques de la maladie, alors que pour la plupart des maladies communes telles que le diabète, l'hypertension, les maladies neuro-psychiatriques, etc., l'effet des variations des gènes est modulé par une influence exercée par le reste du génome et par le milieu environnant. C'est pourquoi on distingue d'une part les maladies purement génétiques rares, encore appelées mendéliennes ou monogéniques, dont l'apparition peut être prédite dès que l'on connaît le gène responsable et, d'autre part, les maladies communes, dont l'origine est multifactorielle et pour lesquelles la présence d'un facteur de prédisposition chez un individu n'entraîne pas nécessairement l'apparition de la maladie.
Un terrain de chasse déjà fréquenté
Les premiers gènes responsables de maladies génétiques stricto sensu ont commencé à être isolés vers le milieu des années 80, alors que nos connaissances sur le génome étaient très parcellaires. C'est à cette époque, suite à ces premiers succès encourageants, qu'on a réalisé qu'une connaissance de l'ensemble du génome faciliterait considérablement l'identification des gènes à l'origine des maladies génétiques. De ces considérations est issu le programme génome. Une première étape au début des années 90 a consisté à faire des cartes utiles pour repérer sur le génome les emplacements des gènes morbides se transmettant dans certaines familles. Les équipes françaises se sont particulièrement illustrées pendant cette première phase du programme génome. La carte génétique élaborée à Généthon permet pratiquement de localiser un gène morbide dans un intervalle représentant moins de 0,1 % du génome. Mais
même dans des intervalles aussi petits, la phase d'identification peut encore prendre un temps considérable et coûter des efforts énormes aux équipes engagées dans la chasse aux gènes.
De la chasse à la traque systématique
Alors que dans le passé, on recourait à tout un arsenal de techniques fastidieuses et délicates pour rechercher les gènes, aujourd'hui les techniques de séquençage sont devenues suffisamment puissantes pour que cette approche constitue déjà la manière la plus efficace et la plus sûre pour identifier ces gènes. En particulier, la connaissance de la séquence permet un choix systématique et raisonné de gènes candidats sur lesquels seront ensuite recherchées les mutations. Il est donc certain que le programme de séquençage complet du génome aura un impact majeur dans la recherche de ces gènes responsables de maladies monogéniques. On doit donc s'attendre à une importante accélération dans ce domaine, et la plupart des gènes de maladies mendéliennes devraient être identifiés dans les 3 à 5 ans à venir.
Un nouvel éclairage de la physiopathologie
Même si les maladies génétiques mendéliennes sont rares, et si l'impact en santé publique sera mineur, la découverte de ces gènes représente une étape essentielle dans la compréhension de la fonction des gènes du génome humain et des processus physiologiques dans leur ensemble. Les progrès ne seront sans doute pas très rapides (voir ci-dessous), mais ceci devrait, à terme, déboucher sur de nouvelles pistes pour la thérapeutique pharmacologique ou autre, à côté de la voie de la thérapie génique qui reste encore balbutiante. Il existe en particulier des formes mendéliennes de certaines maladies communes. On connaît ainsi certains types de diabètes, ou certaines formes de la maladie d'Alzheimer strictement génétiques. La découverte des gènes responsables dans ces formes mendéliennes peut amener à mettre en évidence des aspects essentiels de la physiopathologie de ces affections, et donc, éventuellement, permettre des avancées dans la thérapie des formes les plus fréquentes non strictement génétiques.
Intérêt diagnostic
Le développement d'outils de diagnostic moléculaire est une des premières conséquences de la découverte d'un gène responsable d'une maladie génétique. Comme ces pathologies sont rares, il n'est pas question d'utiliser ce type de diagnostic de manière systématique. Cependant, dans certaines populations (populations ayant vécu en isolement pour des raisons géographiques ou culturelles) la fréquence d'un gène particulier peut être très forte et atteindre jusqu'à plusieurs pourcents. Dans ces populations particulières, il pourra être procédé à un diagnostic systématique. Ce diagnostic peut être anténatal pour des pathologies graves et la famille pourra faire le choix d'une interruption de grossesse. Mais le diagnostic d'ADN permet aussi de confirmer ou d'infirmer un diagnostic clinique ou de prédire la survenue d'une maladie se déclarant tardivement au cours de la vie. Ainsi la découverte du gène de la maladie périodique (une maladie se manifestant notamment par de fortes douleurs abdominales) donne au praticien un moyen sûr de distinguer cette pathologie d'autres affections présentant des signes similaires. Le diagnostic précoce de cette même pathologie permet aussi la mise en route d'un traitement médicamenteux (colchicine) qui évite, s'il est entrepris assez tôt, toute une série de complications graves pouvant aboutir au décès du malade. Des exemples de ce type se multiplieront dans les années à venir.
Une mutation particulière dans le facteur de coagulation V (Facteur V Leiden) est fréquente dans la population européenne et Nord-américaine. Les porteurs présentent un risque accru de
thrombose. Mais ce risque accru est encore fortement augmenté chez les femmes à la fois porteuses de cette mutation et prenant des contraceptifs oraux. Il semble même que chez ces sujets le risque soit plus grand avec les contraceptifs de troisième génération. On voit par cet exemple (il en existe d'autres) une possibilité de ciblage médicamenteux orienté par la pharmacogénétique et qui s'étendra au fur et à mesure que progresseront nos connaissances dans le domaine de la susceptibilité génétique aux médicaments.
Retombées médicales dans les pathologies communes
Du mono- au multigénique
Ce qui a été dit ici pour les maladies monogéniques rares ne peut directement s'extrapoler aux maladies communes à étiologie complexe. En particulier en raison de ce comportement génétique plus ou moins fugace, mentionné plus haut, il est difficile de localiser sur le génome les gènes de prédisposition aux maladies communes par les approches et les outils utilisés pour les maladies monogéniques. Cependant, lorsque les facteurs de prédisposition commenceront à être identifiés, les mêmes applications diagnostiques et thérapeutiques pourront être envisagées.
D'autres armes pour une autre chasse
Alors que de nombreux gènes de maladies génétiques ont déjà été identifiés, seuls quelques très rares facteurs de prédisposition à des maladies communes ont été découverts. Le fait que cette recherche n'ait que faiblement progressé malgré les efforts considérables déjà engagés souligne les difficultés inhérentes à ces travaux. D'autres stratégies sont à mettre en œuvre ici. Elles n'ont pas encore apporté de réponses car les outils requis ne sont pas encore véritablement disponibles. Ces outils reposent sur l'application de quelques principes simples qui sont résumés ci-dessous.
Tous parents tous différents
Les génomes des individus d'une même espèce sont globalement identiques. Il semble même qu'au sein de l'espèce humaine il y ait moins de variations que chez la plupart des autres mammifères. Ceci résulte sans doute d'une expansion assez récente d'Homo sapiens sapiens à partir d'un petit groupe d'individus fondateurs. Malgré cette forte homogénéité au sein de notre espèce, il existe de petites différences entre individus, même au sein d'une famille. Quand on compare les séquences de deux génomes non apparentés, on rencontre une variation environ toutes les 1.000 bases. Ce sont ces petites différences qui font que nous ne nous ressemblons pas tous comme des frères jumeaux, qui ont eux des génomes strictement identiques. Alors que la grande majorité de ces différences n'ont aucun effet sur le fonctionnement de notre patrimoine génétique, quelques-unes peuvent prédisposer à l'apparition de pathologies communes dans notre espèce. Un des objectifs majeurs des années à venir va consister à rechercher, au niveau des génomes, les différences génétiques qui peuvent être à l'origine de ces prédispositions.
Ces différences génétiques désignées sous le terme de SNP (single nucleotide polymorphism) peuvent se présenter à tous les niveaux génomiques, à l'extérieur ou à l'intérieur de gènes, dans la partie codante ou non codante. Si on imagine facilement que des SNP situés dans les parties codantes peuvent altérer une instruction génique, il faut aussi considérer que celles qui se produisent en dehors des régions codantes peuvent avoir un effet sur l'instruction. Une
variation de séquence à l'intérieur d'un gène ou dans son voisinage peut provoquer une augmentation ou une diminution de l'expression de ce gène. Des variations dans des introns (partie non codantes) peuvent provoquer des altérations dans le processus de maturation des instructions (qui a pour rôle d'éliminer la partie non codante). On est ainsi amené à considérer toute une série de possibilités de variations de séquences susceptibles d'avoir un effet biologique, mais, comme indiqué ci-dessus, la grande majorité de ces SNP sont sans effet fonctionnel.
Archéologie génomique
La démarche pour retrouver les facteurs génétiques de prédisposition repose sur le fait que les quelques rares variations de séquence qui sont à l'origine des prédispositions sont apparues par hasard dans un segment génomique particulier, lui même défini par un ensemble de SNP caractéristiques. Prenons l'exemple d'une variation prédisposant à l'asthme apparue chez un individu il y a 20.000 ans. Le phénomène de recombinaison génétique, qui fait que nous ne transmettons pas en bloc le génome d'un de nos parents mais un génome composite constitué de segments provenant soit d'un des parents soit de l'autre, va réduire, au fil des générations, la taille du segment d'origine contenant le variant de prédisposition. Après de nombreuses générations, on ne retrouvera que les SNP qui sont dans le voisinage immédiat du variant de prédisposition. En analysant une population d'individus asthmatiques, on pourra ainsi retrouver des individus qui descendent de celui chez qui s'est produit cette variation prédisposant à l'asthme. En analysant l'ensemble des SNP transmis par l'individu fondateur on pourra même retrouver lequel correspond à la variation de prédisposition. En effet, les SNP voisins, sans effet biologique pourront se retrouver dans la population générale, alors que la variation prédisposant à l'asthme sera trouvée de manière très préférentielle chez des asthmatiques. Comme d'autres variations pouvant survenir dans d'autres gènes peuvent avoir le même effet, toute la population d'asthmatiques étudiée ne sera pas descendante de cet ancêtre fondateur. Ceci va donc compliquer la recherche.
Comme le segment original dans lequel s'est produit la modification de prédisposition sera de taille très réduite après de nombreuses générations, il sera nécessaire de cribler le génome pour un très grand nombre de SNP. Pour pouvoir réaliser une telle analyse, il est indispensable de disposer, à côté de la séquence de référence du génome humain, d'une très grande collection de SNP représentative des différentes ethnies constituant la population de la planète. Devant l'ampleur de cette tâche, dix des plus grands groupes pharmaceutiques mondiaux ont décidé d'unir leurs efforts pour la constitution d'une vaste collection de SNP. Les données de cette collection resteront accessibles publiquement et pourront être utilisées par des groupes publics ou privés pour la recherche de facteurs génétiques de prédisposition.
La recherche des variations génomiques pouvant être la cause de prédispositions génétiques va donc s'intensifier dans les années à venir. Les stratégies ont été élaborées. Elles requièrent de très nombreuses analyses de SNP sur de très nombreux individus, aussi bien des populations témoins, que des cohortes de malades. Des techniques pour réaliser de très grands nombres d'analyses en parallèle sont encore en cours de développement ainsi que l'établissement de collections d'ADN provenant de cohortes de malades et d'individus témoins. Ces conditions (collections de SNP, d'ADN, techniques d'analyses massives, méthodes d'analyse statistiques) ne sont pas encore remplies. Mais d'important progrès ont été réalisés et l'établissement de la séquence complète du génome servira d'assise à une carte optimisée de SNP. On peut penser que d'ici deux à trois ans l'ensemble des outils sera disponible.
Une médecine sur mesure
A partir de là, il deviendra possible de réaliser les analyses génétiques en vue de retrouver des gènes de susceptibilité. Ces recherches seront longues et les résultats s'échelonneront sur de nombreuses années. Les premiers résultats peuvent néanmoins être obtenus dans les années à venir et serviront d'encouragement à poursuivre dans cette voie. Mais une fois ces gènes identifiés, il importera encore de transformer ces découvertes en progrès tangibles pour la santé humaine. Comme dans le cas des maladies monogéniques, deux applications sont envisageables, l'une dans le domaine du diagnostic et l'autre de la thérapie. On a souvent tendance à penser que la découverte d'un gène va inéluctablement conduire à une parfaite compréhension du mécanisme pathologique et donc aux moyens de maîtriser l'apparition et l'évolution de la maladie. Or, la réalité est bien différente. Le gène de prédisposition le mieux connu à ce jour est celui qui code pour l'Apoliprotéine E dont le variant E4 prédispose de manière très significative à la maladie d'Alzheimer et, 8 ans après la découverte de l'implication de ce gène, nous ne savons toujours pas comment le variant E4 peut induire l'apparition de la maladie. Mais si les progrès thérapeutiques seront peut être les plus tardifs, le diagnostic sera, comme souvent, le premier à bénéficier des nouvelles avancées dans l'identification des gènes.
La démarche appliquée à la recherche de facteurs génétiques de prédisposition peut aussi s'étendre à la recherche de susceptibilités à des traitements médicamenteux. Celles-ci ont en effet une composante génétique parfois majeure (cf. ci-dessus). Il deviendra ainsi possible d'administrer le médicament le mieux adapté pour une pathologie définie à un patient donné. Ceci permettra en outre de détecter des individus à risques pour certains traitements médicamenteux, tout en évitant d'en bannir l'utilisation pour l'ensemble de la population.
Des changements fondamentaux dans la pratique de la médecine, qui toucheront aussi bien la prévention, le diagnostic et la thérapie de maladies communes, sont à attendre dans les 10 à 20 premières années du prochain millénaire. Mais ceci a aussi des conséquences au niveau de nos sociétés. Les progrès du diagnostic en particulier déboucheront sur le criblage systématique de la population pour rechercher des individus présentant des risques potentiels pour leur santé. Cette information sera notamment critique pour les médecins et pour une politique éclairée de dépenses de santé. Il paraît presque inéluctable que le génome de chaque individu ne soit analysé pour un ensemble de SNPs d'importance critique. Comme cette information peut aussi être utilisée au détriment des individus, il sera nécessaire de garantir une confidentialité
Comment établit-on la séquence du génome humain
La stratégie du programme public de séquençage du génome humain repose sur le séquençage de grands fragments préalablement ordonnés (c'est-à-dire dont l'enchaînement original tel qu'il existe sur les chromosomes a été reconstitué). Mais la lecture des séquences se fait essentiellement sur de petits fragments d'ADN (1000 à 3000 bases). La première étape du séquençage consiste donc à fragmenter les grandes molécules d'ADN en morceaux plus petits qui seront ensuite séquencés. La fragmentation va introduire des cassures au hasard. Comme on va fragmenter un grand nombre de copies de la grande molécule de départ, les séquences des petits fragments qu'on aura lues pourront être chevauchantes. On pourra à partir de ces portions chevauchantes reconstituer la séquence du grand fragment. En fait on n'arrive pas à la reconstituer dans son intégralité à partir de ce séquençage "aléatoire". Même en faisant la
lecture d'un grand nombre de petits fragments c'est-à-dire en faisant des lectures aléatoires fortement redondantes 6, voire 10 fois, il est impossible de reconstituer complètement les molécules : il reste de petits trous. Pour combler ces derniers, un important travail de finition est incontournable. Celui-ci se fait de manière ciblée à un coût presque aussi élevé que le séquençage aléatoire qui donne 95% de la séquence.
Après des débuts à allure modérée vers le milieu des années 90, le programme public international est à présent dans une phase de très forte accélération. Afin que les utilisateurs (scientifiques et industriels) puissent disposer au plus vite de ces données, le programme public a décidé de réaliser des produits intermédiaires, sous forme d'une séquence incomplète de chacun des grands fragments, qui constituera une première ébauche disponible au cours du printemps 2000. Une deuxième version avant le travail de finition sera prête vers le début de 2001 alors que la version finale reste prévue pour fin de 2003.
Comme les applications de la séquence du génome humain sont potentiellement nombreuses et source de profit, elles suscitent l'intérêt grandissant des investisseurs privés. C'est pourquoi en parallèle au programme public, un programme de séquençage privé réalisé par une entreprise du nom de Celera s'est également mis en place. Comme les applications passent avant tout par une interprétation de la séquence du génome, cette entreprise envisage aussi de vendre, sous forme d'accès à une base de données, une interprétation de cette séquence. L'interprétation repose souvent sur l'utilisation de données de séquence supplémentaires. Il est peut donc être crucial pour Celera, afin d'attirer la clientèle, de constituer pour un temps limité des ensembles de données qui n'existent pas dans le domaine public. C'est pourquoi elle s'est dotée d'une capacité de séquençage bien supérieure à celle des plus grands centres du domaine public.
La stratégie retenue par cette entreprise est fondamentalement différente de celle du projet public.
Elle a consisté initialement à parier qu'on peut, non seulement reconstituer, un par un, l'enchaînement de grands fragments de génome humain, de l'ordre de la centaine de milliers ou du million, mais qu'on peut reconstituer des fragments aussi importants à partir du séquençage aléatoire de l'ensemble du génome. Cette stratégie, qui a été accueillie avec beaucoup de scepticisme, a été testée avec un succès mitigé sur la drosophile. Des fragments ont pu être reconstitués, mais le génome reste en 5000 morceaux. Ceci indique clairement que cette stratégie ne peut réussir sur le génome humain.
Mais avec l'accélération du projet public pour réaliser une première ébauche, Celera pourra simplement ajouter ses propres données à celles du projet public et disposer ainsi pour son compte d'un ensemble plus intéressant.
Il faut cependant garder à l'esprit que les objectifs de Celera et ceux du projet public sont fondamentalement différents. Dans le premier cas, il s'agit d'un objectif à court terme, visant à faire un produit incomplet (possédant un intérêt commercialement intéressant pour une période de temps limitée) et, dans le deuxième cas, de constituer un outil accessible à tous et d'une utilité bien plus générale.
Conclusion
Nous sommes aujourd'hui devant une nouvelle ère qui aura des répercussions sur la vie de chacun aussi importantes qu'il y a 10.000 ans, lorsque l'agriculture s'est progressivement répandue sur l'ensemble de la planète. Nous ne sommes sans doute pas plus qu'alors capables
de mesurer tous les risques de ces changements qui résulteront d'une plus grande maîtrise du vivant, mais au moins avons-nous l'intuition que ce qui se prépare n'est pas sans conséquences. Trop a déjà été dit sur les OGM, leurs dangers potentiels, beaucoup moins sur une évaluation rigoureuse des risques telle qu'elle pourrait être admise par l'ensemble des protagonistes.
Dans le domaine de la santé, nous sommes une fois de plus plongés dans le paradoxe du progrès de la connaissance qui nous fait gagner un nouvel espace de liberté et en même temps nous enseigne que notre destinée individuelle est un peu plus déterminée. Mais y a-t-il une réponse à ce dilemme et aux interrogations que suscitent les pratiques médicales issues de la génétique qui vont progressivement s'établir ? Nous serons en mesure de prédire beaucoup. Avons-nous le devoir de le faire ? Pouvons-nous refuser de savoir, dans des sociétés où la santé est à la fois l'affaire de tous et de chacun ? La seule évidence qui me semble s'imposer est celle de plus d'éducation. Le niveau de connaissances en biologie de nos concitoyens doit être suffisant pour que les choix qui seront à faire puissent être faits en connaissance de cause. Cela est moins facile qu'il n'y paraît, car la biologie n'est pas la science des certitudes absolues.
Figure 2 : Fréquence des types de segments chromosomiques à un moment donné de l'évolution de l'espèce humaine.
Apparition d'une mutation prédisposant à la maladie d'Alzheimer dans un type de ce segment chromosomique.
Figure 3 : Segments chromosomiques prédisposant à la maladie d'Alzheimer. 10
Les segments chromosomiques peuvent être distingués les uns des autres en de nombreuses positions par des variations de séquence (SNP). Chaque chromosome ancestral avait une combinaison particulière de ces SNP, le distinguant des autres notamment dans l'intervalle où s'est produit la mutation de prédisposition.
Un intervalle est retrouvé dans une fraction significative de segments chromosomiques dans une population de malades. Il provient de l'ancêtre chez qui est apparu la mutation. Chez les individus non prédisposés; l'intervalle contient d'autres combinaisons des variations de séquences (SNP).
Figure 4 : Comment séquence-t-on ?
La technologie actuelle permet de lire en une seule manipulation l'enchaînement de plusieurs centaines à un millier de bases. L'ADN est d'abord fragmenté en segments de petites tailles de 1 000 à 3 000 bases. En procédant à la lecture d'un grand nombre de segments de petite taille on obtiendra des séquences recouvrantes. On pourra ainsi reconstituer la séquence sur la totalité du fragment de départ.
Figure 5 : Projet génome humain.
La première ébauche de la séquence publique pourra être combinée avec les données de la compagnie Celera.
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L'IDENTITÉ GÉNÉTIQUE
Conférence du 4 janvier 2000 par Antoine Danchin. Deux lois fondamentales régissent la génétique. La première est la conservation de la mémoire. Elle est permise par la structure de la molécule d'ADN, support de l'information génétique. Celle-ci est constituée de deux brins en vis-à-vis utilisant la complémentarité des bases deux à deux. Il est donc possible de recopier l'information en séparant les deux brins pour leur associer à chacun un nouveau brin complémentaire. Cette réplication est indépendante de la signification de l'information recopiée. La seconde loi correspond à l'existence d'un code génétique. Il s'agit d'une règle de correspondant entre deux niveaux, les acides nucléiques et les protéines. Les mécanismes de copie de l'information génétique font des erreurs qui créent des formes non identiques sur lesquelles la sélection exerce un tri passif. Il n'y a pas survie du plus apte mais simplement élimination du moins apte. Le concept de fonction est central. Toute fonction est issue d'une évolution et contrainte par une structure. La genèse des fonctions a lieu de façon opportuniste à partir de moyens préexistants. L'évolution va donc créer de nouvelles fonctions en capturant des structures déjà utilisées pour d'autres fonctions. Le but de tout organisme est d'occuper le plus de place possible. La première solution consiste à se dupliquer. Comme des variants apparaissent il faut ensuite cohabiter avec l'autre. La première réaction est de chercher à l'éliminer. Des sondes, des capteurs ont ainsi été créés pour déterminer si l'autre est identique ou différent de soi-même. Des relais sont ensuite activés jusqu'à la fabrication et la libération dans l'environnement d'une substance ou antibiotique qui puisse tuer l'autre. D'autres interactions entre les organismes peuvent être la coopération, le parasitisme ou la création d'organismes multicellulaires. L'ordre des gènes sur les chromosomes n'est pas innocent. Ainsi, il existe pour les gènes du développement une correspondance entre l'ordre des gènes et la disposition des parties du corps de l'animal qu'ils induisent. L'ordre tête, thorax, abdomen puis queue est ainsi respecté.
Texte de la 4ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 4 janvier 2000 par Antoine Danchin
Lidentité génétique
Il y a 3000 ans en Grèce, les gens interrogeaient loracle de Delphes, la Pythie, sur leur avenir. Elle leur répondait par des questions énigmatiques. Lune delles était la suivante : Jai une barque faite de planches et les planches susent une à une. Au bout dun certain temps, toutes les planches ont été changées. Est-ce la même barque ? Clairement, le propriétaire répond oui, avec raison : quelque chose, ce qui fait que la barque flotte, sest conservé, bien que la matière de la barque ne soit pas conservée. Puisque toutes les planches ont été changées et que la nature même du bois peut avoir été différente, il y a dans la barque plus que sa simple matière.
Pourquoi choisir cette image, cette question pour parler de la vie ? Il est essentiel de concevoir le vivant et la biologie comme une science des relations entre objets plus quune science des objets. Il sagit de découvrir la forme de ces relations : connaître simplement les objets, disséquer lanimal, ne suffit pas si lon na pas compris les relations entre les objets.
Un ensemble de relations entre objets, cest une propriété abstraite, comme le plan de la barque est abstrait par rapport aux planches qui la composent. Pour comprendre la biologie, il faudra donc un effort dabstraction et considérer d'abord un certain nombre de processus et de lois.
Les processus qui font que les organismes vivent sont au nombre de quatre. Le premier est le métabolisme. Il ny a pas dorganismes vivants dans lesquels il ny ait transformation dobjets en dautres objets, essentiellement des petites molécules ou de plus grosses molécules, transformées les unes dans les autres. Bien quil existe un état quon puisse appeler la dormance, entre la vie et la mort - cest létat de la graine ou létat de la spore du champignon ou de la bactérie - on ne pourra définir lorganisme comme vivant quau moment où son métabolisme se sera réveillé, où l'on aura vu ces changements dobjets les uns dans les autres. Cest la nature même du métabolisme de créer des relations et de les manipuler.
La deuxième caractéristique des organismes vivants est la compartimentation. Lélément de base de la vie, la cellule, est faite dun intérieur et dun extérieur. La vie a deux stratégies dorganisation de la compartimentation : ou bien on a des cellules uniques avec une enveloppe plus ou moins compliquée, qui doivent vivre dans un environnement extrêmement varié auquel elles doivent rapidement sadapter ce qui correspond à la plupart des microbes que nous connaissons. La deuxième stratégie, cest au contraire de multiplier les membranes et les peaux, jusquà nos vêtements, pour isoler autant que possible le milieu intérieur du milieu extérieur.
A ces deux stratégies de compartimentation sont associées des stratégies de mise en mémoire de quelque chose qui va se transmettre de génération en génération et qui va exprimer la règle de construction des organismes vivants: le génome. Le support physique du génome est formé dune famille de molécules constituées de motifs chimiques de base simples : seulement quatre types différents, enchaînés à la suite comme les lettres de lalphabet sont enchaînées pour construire les phrases d'un livre.
On peut décrire une partie majeure de ce qui fait la vie des organismes par un processus de mémoire qui est la transmission dun premier texte, celui du génome d'une part, et d'autre part la traduction de ce texte en un autre, destiné à mettre en Suvre concrètement le contenu du premier. Le fait davoir le texte du génome, puis ensuite un second texte, ouvre des possibilités extraordinaires à la vie. Ce premier texte est fait dune classe de molécules, les acides nucléiques d'où le nom de l'acronyme ADN, pour "Acide DésoxyriboNucléique", formé de quatre motifs de base enchaînés les uns à la suite des autres. Mais ce texte est un texte de recettes, qui ne suffit pas, seul, à faire fonctionner un organisme vivant. Il faut mettre en Suvre la recette. Un deuxième type dobjets dans les organismes vivants, les protéines, correspond aussi à l'enchaînement déléments de base, mais, cette fois-ci, ces éléments sont au nombre de vingt : les acides aminés. Il existe une correspondance entre cette mémoire, les acides nucléiques, et ces objets, les protéines, qui servent à la construction architecturale des cellules, à la manipulation de toutes les règles de contrôle ou aux règles du métabolisme.
Ces quatre processus (métabolisme, compartimentation, mémoire et manipulation) doivent obligatoirement fonctionner ensemble pour construire un organisme vivant. Si l'on choisit ces éléments comme nécessaires à la définition de la vie, les virus, par exemple, ne sont pas des organismes vivants : ils ont la propriété de mémoire, de compartimentation, quils acquièrent de la cellule-hôte, mais ils sont incapables de métabolisme et de manipulation. Les virus sont donc des parasites de mémoire purs. La même image de parasites purs de la mémoire est apparue en science des calculateurs électroniques où l'on a des morceaux de programmes qui se promènent dans les ordinateurs et peuvent avoir comme propriété de se répandre en se multipliant eux-mêmes, si possible à lidentique, et en se propageant. Une nouvelle idée apparaît ici, liée à cette idée de mémoire, celle de programme.
A ces quatre processus sajoutent deux lois. Une première loi permet de conserver la mémoire. Cette mémoire est sous forme de son support matériel, double ; elle est faite de deux éléments complémentaires, comme le sont le positif et le négatif photographique, l'un contre lautre, qui permettent, lorsquon les sépare, de reconstituer entièrement l'un à partir de lautre. Wilkins, Watson et Crick ont découvert en 1953 la structure de lacide désoxyribonucléique, une double hélice formé de deux brins complémentaires, ce qui a permis de comprendre comment on pouvait conserver à lidentique un enchaînement de motifs chimiques au cours des générations. On a ici une règle de complémentarité, la première loi de la génétique, qui permet de spécifier entièrement un morceau de texte par lautre texte et cela de façon symétrique.
Cette première loi explique la transmission de l'hérédité au cours des générations, mais la deuxième, beaucoup plus importante et plus abstraite, explique les propriétés innovantes des organismes vivants. Il faut en effet passer de la mémoire à la manipulation, des acides nucléiques aux protéines. Il y a là un processus de traduction. Un premier texte, écrit dans un alphabet à quatre lettres, avec une langue dun certain type fondée sur une chimie spéciale, passe à des morceaux de texte écrits dans un alphabet à vingt lettres, fondée sur une chimie totalement différente. La règle de passage de lun à lautre sappelle le code génétique. Il faut ici une mise en garde. Les journaux affirment souvent : On va déchiffrer le code génétique de tel ou tel organisme. Mais il s'agit là d'une erreur. Le code génétique, cest la même chose que le code quutilisent les enfants pour leurs messages secrets, une règle pour transposer un texte en un autre texte. Il ne s'agit pas du programme de construction des organismes, du programme génétique. Ce code génétique est universel, identique des bactéries à lhomme, ce qui fait qu'on peut prendre des morceaux de mémoire, de programme venant de lhomme, par exemple, et le mettre dans une bactérie et faire produire des protéines humaines par des bactéries. Ce code, cette règle de correspondance entre un niveau et un autre, cest ce que les services secrets appellent le chiffre ou cipher en anglais.
La transposition dun niveau à lautre par un code est originale : lorsquon peut transposer un texte dune langue dans une autre, et lautre étant à la tête dobjets manipulateurs, ces objets peuvent évidemment manipuler le texte de départ. Cela crée une boucle particulière qui permet, par le texte lui-même, de spécifier ce quil reproduira. Le texte peut faire appel à soi-même pour pouvoir engendrer sa descendance. Il peut aussi, comme le font les programmes dordinateur, spécifier tel ou tel type de manipulation dans des environnements variés. Ce fait davoir deux niveaux qui se correspondent à travers un code a une conséquence originale : un système de ce genre peut être parfaitement déterminé, déterministe, et cependant parfaitement imprévisible. Cest surprenant parce que nous avons encore limage des horloges du XVIIIe siècle où lon peut, connaissant létat initial du système, savoir où sera laiguille dans un certain temps, si on connaît la mécanique. Or, les organismes vivants sont ces systèmes matériels qui, en face dun avenir imprévisible, sont construits pour construire de limprévu. Cest fondamental, et cela se manifeste sans avoir besoin de renoncer au déterminisme : on na pas besoin dimaginer pour que se produise de l'imprévu, que le système ait une grande sensibilité à des conditions initiales ou des chose de ce genre. En fait, lidée même davoir une mémoire, l'aptitude à la manipulation et un code entre les deux permet ce genre de propriétés remarquables.
Une première fonction biologique est celle quon appelle la réplication, elle applique la loi de complémentarité : à chacune des quatre lettres du premier texte correspondent quatre lettres du deuxième texte. Cest une règle qui recopie un texte, sans se soucier du contenu sémantique, du sens de ce qui est recopié : on peut fabriquer nimporte quel morceau dADN, ajouter de lADN artificiel, il sera recopié tel quel.
La deuxième fonction, qui correspond au code génétique, se déroule en deux étapes : un premier recopiage dun texte écrit avec un alphabet à quatre lettres dans un autre alphabet à quatre lettres légèrement différent, puis passage à lalphabet à vingt lettres des protéines. Là se fait le changement qui permet, à partir du texte du programme, de fabriquer des objets manipulateurs qui vont manipuler le programme lui-même.
Dans ce type de situation, avec cet ensemble de règles, donc quatre processus et deux lois, dont la loi du code génétique, comment les organismes vivants vont-ils vivre, exister, évoluer ? Il existe en biologie un concept central lié à lidée de relation entre objets, cest le concept de fonction, que vous trouvez peu ou pas en chimie ou en physique. Lorsquon parle dun objet biologique, on sinterroge immédiatement sur sa fonction. Cet objet existe, va réaliser une action, dirigée dans une certaine orientation avec lapparence dun but, dune finalité. Tous les organismes vivants et les objets du vivant sont placés dans un contexte dans lequel, au sein de procédés particuliers de leur expression, de leurs actions, il y a une orientation vers une apparence de but.
On pourrait penser quil y a une vision extérieure à la vie qui lui impose une orientation et un but particulier; et que les organismes vivants sont des systèmes matériels dirigés par lextérieur vers une certaine finalité. Cela a été dit par un grand nombre de pensées religieuses, par exemple, avec une logique interne tout à fait compréhensible. Mais ce nest pas nécessaire ; en réalité, la façon dont les organismes vivants procèdent pour se créer des buts et capturer les objets qui vont permettre davoir les fonctions satisfaisant à ces buts est particulière. Elle a été résumée par François Jacob sous le nom de bricolage . Cest une aptitude à lopportunisme, à faire feu de tout bois, qui fait que les organismes vivants évoluent systématiquement en découvrant, à partir de ce dont ils disposent (puisquils ne peuvent pas créer quelque chose dont ils ne disposent pas), des fonctions nouvelles. Ce qui est particulier dans la vie, cest dêtre capable, à partir de nimporte quoi, de créer des fonctions nouvelles.
Une métaphore permet dillustrer les découvertes récentes et fascinantes sur les fonctions des organismes vivants. Cest lété. Je suis assis à mon bureau. Mon bureau est couvert de papiers. La fenêtre est ouverte derrière moi et je lis un livre. Tout dun coup, le vent se lève. Si les papiers senvolent et se mélangent, ce serait une catastrophe pour moi. Donc, je prends le livre et je le pose sur les papiers. Ce livre vient de découvrir une nouvelle fonction, différente de celle quil avait quand jétais en train de le lire : il est, parce quil est un parallélépipède lourd, un presse-papier. De la même manière, les structures des objets biologiques sont capturées au cours du temps, de façon systématique. Ce qui veut dire dailleurs que, si je découvre le livre et que je dis : Ceci est un livre , je peux me tromper parce que, dans ce contexte particulier, ce nest pas un livre mais un presse-papier. On parle en ce moment des programmes de séquençage de génomes, par exemple, où l'on vous dit quon va avoir des morceaux de texte génomique, dont on va identifier la fonction : Ceci correspond à telle séquence , et l'on dira la fonction. Il s'agit là d'une erreur, liée à lillusion que connaître une collection d'objets suffit à comprendre la biologie.
En fait, les organismes vivants évoluent de la façon suivante. Ce sont des systèmes matériels qui, parce que nous sommes à la température de surface de la Terre, sont soumis aux contraintes thermiques : à cause de ces contraintes, aucun procédé physico-chimique ne peut donner une reproduction strictement identique de ce quil était. Il y a donc des variations au cours de la réplication. Lorsque les organismes vivants produisent de nouveaux organismes vivants qui leur ressemblent, ces nouveaux organismes ne sont pas strictement identiques à lorganisme de départ. Ils sont par ailleurs soumis à des environnements qui, eux, vont choisir, parmi ces variants, certains dentre eux. Cest la sélection, mais cette sélection est un tri passif et non un mécanisme actif. Ce nest pas la sélection du plus apte, comme le disait Spencer, parce quil ny a pas de plus apte. Personne ne sait qui pourrait être le plus apte. Cest dans telle circonstance, à tel moment particulier, que tel organisme a pu survivre, et cest cette survie qui lui a permis dêtre sélectionné. Cest un tri passif, une simple élimination du totalement inapte.
La capacité damplification est le deuxième point fondamental chez les organismes vivants. Si vous faites une expérience de chimie ou même de physique nucléaire et que vous faites des dégâts quelque part, les dégâts sarrêtent et diffusent au cours du temps en diminuant sans cesse. Si vous faites la même chose avec des organismes vivants, ces organismes sont susceptibles de samplifier, de se multiplier, et le cas échéant daugmenter fortement les problèmes quils ont posés. C'est ce qui explique l'inquiétude spontanée du public vis à vis des organismes génétiquement modifiés. Mais il y aurait là matière à développement : le naturel est toujours beaucoup plus dangereux que lartificiel, car il est pré-adapté. Les événements liés au sang contaminé le montrent : le sang est pré-adapté à lhomme et, par conséquent, potentiellement extrêmement dangereux.
Revenons à la genèse des fonctions. Létude de la transparence du cristallin de lSil permet de comprendre comment se créent des fonctions. Le cristallin permet cela vient difficile à partir de 50 ans daccommoder et davoir une image sur la rétine de notre environnement. Cela suppose un ensemble cellulaire, le cristallin, fait de couches cellules, empilées un peu comme des pelures d'oignon, qui s'accumulent au cours de la vie. Cest la raison pour laquelle le cristallin devient de plus en plus gros et de plus en plus difficile à contracter quand on vieillit. Ces cellules ont la particularité dêtre transparentes. Lorsquon a commencé à étudier les protéines, donc ces objets manipulateurs évoqués un peu plus tôt, à lintérieur du cristallin, on sest aperçu que certaines dentre elles sont très concentrées et donc relativement faciles à purifier, à identifier. On les a appelées cristallines et on a étudié leurs propriétés physico-chimiques. On sest aperçu quelles ont la transition vitreuse : elles sont suffisamment désordonnées pour ne pas privilégier une direction particulière de la lumière. Elles se comportent exactement comme le verre.
Puis sont venus des programmes de séquençage. On a commencé par séquencer des gènes individuellement avant de séquencer les collections de gènes que représente le génome. On a commencé à regarder une de ces cristallines et on sest aperçu quon la connaissait déjà, quelle ressemblait, à sy méprendre, à quelque chose qui navait rien à voir, une enzyme, par exemple, une lactate déshydrogénase, qui a une activité métabolique particulière. On l'a mise en présence du substrat du métabolisme en question et on sest aperçu que cest une enzyme, mais qui marche dans lSil non pas avec cette fonction denzyme, mais avec la fonction : Je suis transparente quand je suis concentrée. On a aussi découvert autour de ces cristallines dautres protéines, les chaperons moléculaires . Ce sont des protéines qui jouent le rôle déchafaudage, qui permettent de remettre en forme des objets qui se sont défaits, qui ont perdu leur forme. Ils ont été appelés chaperons parce quils accompagnaient comme les chaperons les protéines quon purifiait, on les trouvait toujours associés à ces protéines. Ces chaperons moléculaires ont cette particularité de permettre la remise en forme des protéines dénaturées, ce qui a un intérêt considérable pour lSil. Au cours de lâge, nous risquons tous dêtre atteints de cataracte. LSil perd sa transparence car les cristallines, au cours du temps, se dénaturent et les chaperons moléculaires ne fonctionnent pas toujours assez bien pour les renaturer. Mais si on y réfléchit, pendant la durée dune vie humaine, un objet soumis au rayonnement que nous avons dans les yeux reçoit des quantités énormes de rayons ultraviolets qui dénaturent en permanence les protéines du cristallin : sans ces chaperons, la cataracte apparaîtrait beaucoup plus tôt. On sest aperçu quil y avait beaucoup dautres éléments que ces protéines et ces chaperons moléculaires. Or, dans un tout autre domaine, des chercheurs ont découvert que, lorsque des cellules sont soumises à un choc thermique, ce qui est fréquent, la plupart des protéines réagissent mal. Un ensemble particulier de protéines sert de remède à cette situation difficile. Au cours de lévolution, les cristallins se sont inventés une première fonction, en capturant la fonction dun ensemble de protéines, les protéines de résistance aux chocs (au choc thermique ou au choc acide, dans un très grand nombre de cas). Cet ensemble contient un certain nombre de protéines, qui sont justement les protéines quon trouve dans le cristallin, et évidemment ces chaperons moléculaires. Dans une cellule de peau, par exemple, vous avez ces protéines. Si vous vous brûlez, elles vont être mises en jeu, parce quon a un système de contrôle qui va décider immédiatement : il faut faire la synthèse de ces protéines, puis larrêter. Dans le cristallin, la perte du système de contrôle la rendu ce quon appelle constitutif, cest-à-dire quil marche en permanence. Cest donc la perte du système de contrôle qui a en permanence rempli la cellule dun certain jeu de protéines. En général, cela na pas dintérêt. Il se trouve que, pour un cristallin, cest-à-dire un organe situé au dessus d'un ensemble de cellules sensibles comme la rétine, cela a un intérêt. On voit comment au cours de lévolution, on a sélectionné, capturé cest exactement lhistoire du livre presse-papier ce type de fonction. Mais la transparence peut avoir dautres fonctions. Un petit poisson dans leau est mangé, en général par un prédateur. Si, par chance, un certain nombre daccidents génétiques ont fait que certaines de ses cellules, dans un ensemble collectif suffisant, ont exprimé en permanence cet ensemble de protéines, tout dun coup il devient transparent, sauf son squelette. On a là le même type de capture d'une fonction préexistante, mais pour une fonction tout à fait différente, le déguisement.
Un dernier exemple permet de reconsidérer limage mécaniste que nous avons de la vie en général et de lhomme en particulier.
Beaucoup de gens sinquiètent avec raison de lusage quon peut faire du programme de séquençage du génome humain. En particulier, il est évident quidentifier les caractéristiques génétiques permet de dresser une carte dun certain nombre de propriétés générales des individus et permet den faire une classification. On peut domestiquer lhomme comme on domestique les animaux. On peut sinquiéter, mais heureusement, d'une certaine manière, cest une absurdité. Lidée de connaître un génome et de prédire le destin des individus supposerait quil y ait une correspondance mécanique entre la nature du génome et la nature de lindividu. Or, le mécanisme qui fait que les fonctions capturent des structures est imprévisible, par construction. La situation particulière durgence dans laquelle va être placé un individu, qui fera que la descendance de cet individu aura survécu parce quelle aura trouvé telle solution, est imprévisible. La sélection des nouvelles fonctions, cest-à-dire à la fois leur création et leur sélection, est complètement impossible à prévoir.
Lidée même deugénisme na pas de sens. On peut avoir lidée de faire des gens extrêmement agressifs : on fait des chiens extrêmement agressifs, des grands, des petits, des poilus, aucune problème. Mais décider de ce qui fait lhumanité de lhomme, de ce qui fait, en particulier, ses capacités créatrices ou de ce quil serait un homme meilleur, un homme idéal, est une absurdité parce que cest, par construction, impossible. Un exemple permet dillustrer cette absurdité.
Lorsque la vie est apparue, il y a 3 milliards 800 millions dannées à peu près, la Terre était vaste et peu occupée par des organismes vivants. Les premiers organismes ont eu énormément de place pour se multiplier. Ils navaient pas à prendre en compte les autres. Le but des organismes vivants est le même que le but de tout système physique : occuper le plus possible despace et détat, occuper tout, avec les moyens dont ils disposent. Un moyen rapide, cest de faire un autre soi-même, de se multiplier. Mais cela ne dure quun temps, car tout dun coup, il faut commencer à prendre en compte lautre. La manière brutale et habituelle, efficace au premier degré, cest de sen débarrasser, le manger et prendre sa place. La première fonction à créer est une sonde, un capteur qui vous dit : Cet autre me ressemble ou ne me ressemble pas. Deuxième fonction : il va falloir utiliser ce capteur pour tuer lautre. Le capteur doit avoir des relais, qui doivent contrôler la synthèse d'un certain nombre de produits toxiques qui vont être ensuite libérés dans lenvironnement de façon à détruire lautre, qui va ensuite être mangé. Ce sont des antibiotiques, inventés ainsi par les bactéries extrêmement tôt. Il y en a dailleurs une grande variété. Cependant la bactérie qui produit les antibiotiques a des petits problèmes, puisquil ne faut pas quelle se tue elle-même. Il faut quelle crée un système dimmunité contre ses propres missiles. Cest un système qui existe, extrêmement répandu dans la nature. Voilà un premier ensemble de fonctions : capteurs, cascade de régulations, sécrétions, immunité. Ensuite, petit à petit, dans la prise en compte de lautre, il y a la coopération, le parasitisme, des relations déquilibre face aux prédateurs, toute une variété de possibilités ; mais il y en a une qui a été inventée plus tard, probablement il y a un milliard dannées, qui est de se mettre ensemble, cest-à-dire faire des organismes multicellulaires. Là se créent de nouvelles fonctions. Créer un organisme multicellulaire amène des contraintes particulières dans lenvironnement, quil faut gérer. Il faut éventuellement une tête, une queue, il y a des problèmes de symétrie, toute une série de problèmes nouveaux à régler pour lesquels il faut inventer des fonctions.
Ainsi petit à petit se sont créés des organismes de plus en plus compliqués, jusqu'aux insectes ou à lhomme. Dans le cas des insectes, par exemple, on sest interrogé récemment sur la façon dont les insectes résistent aux microbes. Ont-ils un mécanisme de défense ? On a injecté des microbes dans les insectes ; quand on injecte un champignon à la mouche drosophile, il se crée une cascade du type juste décrit : un capteur reconnaît le champignon, crée son antibiotique, quon a appelé, de façon appropriée, la drosomycine. On a par ailleurs, au cours des analyses de gènes et de génome, la possibilité de reconnaître les gènes assez facilement : aussi, lorsquon a un produit, lorsquon a une cascade dévénements de ce genre, on peut repérer les gènes correspondants et savoir quels ils sont, où ils se trouvent dans les chromosomes et repérer lensemble de la mécanique correspondante. Or, on sest aperçu quon connaissait déjà cette cascade particulière de résistance. Elle avait été découverte ailleurs, dans un contexte différent, avec une fonction différente. Il sagit dune cascade qui est éveillée transitoirement au cours de la différenciation de lembryon de la larve de la mouche pour en déterminer laxe dorso-ventral, cest-à-dire la position du dos par rapport à la position du ventre. Cette cascade, ce très ancestral mécanisme de fabrication dantibiotiques, a été capturé par les organismes multicellulaires pour déterminer la forme lindividu ! Extrapolons : nous avons des systèmes immunitaires ; si nous survivons aujourdhui, ce nest pas à cause de notre intelligence mais simplement parce que nos ancêtres ont résisté à la peste, au choléra et à la variole. Nous avons un grand ensemble de systèmes immunitaires fonctionnels. On peut alors imaginer que le fait aujourdhui dêtre mis en face dune nouvelle maladie décide de la forme de nos descendants futurs ! C'est typiquement cela qui interdit toute idée possible de pensée eugénique.
Quelques éléments encore nous montreront comment se construisent les organismes vivants. Lordre des gènes dans les chromosomes, le génome, nest pas un hasard, mais est directement lié à larchitecture de la cellule, cest-à-dire quil y a un lien entre la forme du programme et la forme de la cellule. Cela est connu depuis un certain temps chez les organismes multicellulaires. Chez les insectes, on saperçoit que les gènes qui contrôlent les différents éléments du corps sont ordonnés exactement dans le même ordre, de la tête à la queue. Si on prend, par exemple, un de ces gènes et quon le déplace à un autre endroit, on va déplacer les organes correspondants. On peut faire des mouches dans lesquelles on met une patte à la place dune antenne, simplement en déplaçant un de ces gènes. Il y a donc un programme fait de façon modulaire, qui dit séquentiellement comment se font les choses. Si vous comparez les insectes ou nous-mêmes, et les crustacés, vous verrez que le nerf central dans le dos passe sur le ventre et inversement. Chez nous, on a juste une colonne vertébrale dans le dos et tout reste dans le ventre. On sest aperçu que cétait effectivement le même plan chez les crustacés, mais quil y avait deux gènes qui étaient inversés, ce qui inverse le plan dos-ventre chez un animal comme le homard, par rapport à la mouche ... ou à l'homme.
La dernière découverte, qui fait de la mouche lun des modèles de lhomme, est que, chez certains animaux, en particulier chez les mammifères, le plan est le même que celui de la mouche drosophile, exactement dans le même ordre, mais simplement la construction de lhomme est réglée par un quatuor : au lieu dêtre une seule partition quon jouerait une seule fois, on a quatre partitions côte à côte, simultanées, qui déterminent nos segments, car nous sommes segmentés. Il suffit de regarder ses vertèbres et ses côtes pour sen rendre compte. Nous sommes segmentés, mais cela se voit moins parce que, comme dans un quatuor, la partition se déploie : nous avons ainsi des vertèbres qui deviennent tout à fait déformées, qui vont faire une tête, par exemple. On retrouve, malgré tout, à nouveau cette idée dun plan et dune organisation générale.
En résumé, on peut considérer que les organismes vivants sont construits à partir dun programme, que ce programme est très lié à larchitecture générale des organismes, mais il ne faut jamais oublier que ce programme a la particularité, par construction, même en restant strictement déterministe, de créer systématiquement de limprévu.
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DÉVELOPPEMENT ET ÉVOLUTION DU SYSTÈME NERVEUX |
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DÉVELOPPEMENT ET ÉVOLUTION DU SYSTÈME NERVEUX
Conférence du 24 janvier 2000 par Alain Prochiantz. On découvrit dans les années 1970, chez une mouche, la Drosophile, des mutations conduisant au remplacement de tout ou partie d'un organe par un autre organe. On observa, par exemple, des transformations de type antenne-patte, aile-balancier, ou aile-oeil. Ces mutations ont été dites homéotiques, l'organe d'un segment étant remplacé par l'organe homologue d'un autre segment. Les gènes homéotiques codent pour des facteurs de transcription qui, en se fixant sur des séquences promotrices, régulent l'expression d'autres gènes. Ces observations ont conduit à découvrir, dans tous les embranchements du règne animal, la présence de gènes présentant de fortes homologies de structure avec les gènes homéotiques de la Drosophile et de conclure que ces gènes régulent le développement morphologique des vertébrés. Par ailleurs, ces homologies entre gènes de vertébrés et d'arthropodes doublées de similitudes dans leur organisation chromosomique "démontrent" l'existence d'un ancêtre commun aux vertébrés et aux arthropodes qui aurait vécu il y a environ 600 millions d'années. Tout en traçant notre lien de parenté avec les arthropodes, cette conférence montre aussi à quel point nous sommes différents de ces cousins dont nous nous sommes séparés il y a environ 600 millions d'années. On voit donc apparaître ici deux stratégies d'adaptation. Chez les invertébrés, la forme adulte de l'organisme et ses comportements sont presque présents dans la structure génétique. Chez les vertébrés, les stratégies de développement, tout en définissant un plan contraignant, laissent une grande liberté aux détails de la construction cérébrale dont des aspects importants de la structure se modifient tout au long de l'existence. De ce fait, chez les vertébrés et au plus haut point chez l'homme, c'est l'histoire même des individus qui s'inscrit dans la structure cérébrale par un processus ininterrompu d'individuation.
Le développement et l'évolution du système nerveux.
Notre propos traitera d'embryologie, pas d'embryologie humaine bien que certains aspects du développement des autres espèces soient aussi valables pour celui de l'Homme. Nous avons, en effet, beaucoup à partager avec les autres animaux, voire avec les champignons et les plantes.
S'il fallait donner une définition de l'embryologie elle serait relativement simple. L'embryologie est l'ensemble des processus qui mènent de l'oeuf, à partir du moment où le spermatozoïde et l'ovule l'ont formé, à l'organisme adulte ou imago. Ainsi sous le terme d'embryologie, deux processus se confondent ou se superposent :
- fabriquer l'imago c'est-à-dire faire un individu dont la forme est représentative de l'espèce ;
- fabriquer un individu particulier qui diffère des autres membres de son espèce.
Ces deux processus sont inscrits l'un dans l'autre et, selon l'espèces ou l'embranchement – la place occupée dans l'histoire de l'évolution - ils n'ont pas forcément la même importance. Fondamentalement l'embryologie est question de formes et question de temps. À partir d'un oeuf se construit un individu dont la forme, l'imago, est spécifique de l'espèce. Un oeuf c'est une cellule alors qu'un individu c'est plusieurs milliards de cellules. Il y a donc une immense prolifération du nombre de cellules à partir de l'oeuf. Par ailleurs, un individu est constitué de plusieurs types de tissus, musculaire, nerveux, hépatique. Ces tissus se forment à partir de trois feuillets embryonnaires : le mésoderme donnera les muscles et les os, l'ectoderme le système nerveux et la peau, l'endoderme le tube digestif, les poumons et les glandes annexes du tube digestif comme le foie, le pancréas, la thyroïde.
Les résultats sur la première étape de formation du tissu nerveux - l'induction neurale - ont été initialement obtenus chez le crapaud Xénope mais ils sont également vrais pour le poulet, et dans les grandes lignes pour la souris et l'Homme. Au départ, à partir de la cellule initiale, une phase de prolifération mène au stade de la morula, puis de la blastula qui précède la gastrulation et l'induction neurale. La blastula est une sorte de boule creuse avec des cellules à la surface. Le système nerveux va se développer à partir de la surface extérieure dorsale de cette boule. Au cours de la gastrulation cet ectoderme dorsal est induit à devenir de l'ectoderme neural c'est-à-dire à former du système nerveux.
L'induction neurale a été découverte dans les années 1930-40 par Mangold et Spemann à la suite d'expériences dans lesquelles ils greffaient des morceaux d'embryon de Triton blanc dans un embryon de Triton noir, histoire de distinguer tissu receveur et tissu donneur. En prenant une région particulière du Triton blanc et en la greffant dans la région ventrale d'un oeuf de Triton noir, ils se sont rendus compte qu'ils dorsalisaient la région ventrale de ce dernier. Au lieu d'avoir un Triton normalement constitué ils ont obtenu un Triton à deux dos dans lequel il n'y avait pas de partie ventrale. Ils avaient induit la formation d'un deuxième système nerveux central.
À la suite de ces expériences, de nombreux chercheurs ont cherché à identifier la nature moléculaire de ces inducteurs neuraux présents dans cette petite région inductrice et mésodermique qui mise au contact de la région ventrale modifie destin embryonnaire. Cette recherche des inducteurs neuraux qui dure depuis plus de 60 ans n'est - à ce jour - toujours pas totalement aboutie. Dans la suite du développement, le triton s'allonge et à la surface dorsale se constitue une plaque neurale. Cette plaque neurale ne va donner naissance au tube neural qu'après avoir été internalisée par l'embryon.
Dans le développement du système nerveux, comme dans le développement en général, l'information positionnelle joue un rôle très important. On peut voir le système nerveux comme une plaque, une feuille sur laquelle on peut tracer un quadrillage. Une fois qu'elle s'est refermée en tube, la plaque reste quadrillée. Il y a une orientation dorso-ventrale et une orientation antéro-postérieure. Si chacun de ces carrés était défini par l'expression d'une catégorie de gènes, d'un algorithme génétique, on serait capable de définir la position de n'importe quelle cellule à partir de la connaissance des gènes qu'elle exprime. Considérer le système nerveux comme un plan et considérer ce problème de l'information positionnelle comme le problème d'un quadrillage du plan peut aider à comprendre énormément de questions qui sont posées sur la construction du système nerveux.
L'information positionnelle signifie qu'une cellule dans une région donnée, quand le tube neural s'est fermé et différencié, donnera naissance à un type de cellules bien déterminé par exemple spécifique du cortex frontal ou du bas de la moelle épinière. Pourtant, au départ, au moment où la plaque neurale se forme, les cellules sont extrêmement semblables. Beaucoup plus tard, les réseaux neuronaux seront construits. Les neurones sont amenés à envoyer un axone, un prolongement, vers une autre région pour former une synapse, un contact neuronal. La navigation du cône de croissance, la tête chercheuse du neurone, doit être précise. Le cône de croissance doit être capable, dans l'espace tridimensionnel du système nerveux, de retrouver une cible parfois très éloignée. Le quadrillage de l'information positionnelle est fondamental pour que le cône de croissance connaisse sa position et sache où il doit se diriger et quand il doit s'arrêter, c'est-à-dire pour construire un système nerveux fonctionnel.
Nous allons maintenant faire une parenthèse sur le concept d'information positionnelle et ce qu'on appelle les gènes de développement. Les gènes sont d'importance variable. Ainsi les gènes qui contrôlent la forme et la couleur des poils, la couleur des yeux, sont importants d'un point de vue esthétique mais ne sont pas fondamentaux pour ce qui est du développement de l'embryon. Par contre, il existe des classes de gènes dits de développement, qui - eux – sont essentiels pour ce qui est de la forme de l'embryon et de son développement.
La découverte de gènes dont les mutations modifiaient la forme a constitué une avancée considérable dans la compréhension de comment se construit un organisme. La grande percée a eu lieu chez la mouche du vinaigre, Drosophile, chez laquelle des généticiens du début du siècle, surtout l'école de Morgan, ont démontré que certaines mutations pouvaient transformer un organe en un autre, par exemple l'oeil en aile (mutation ophtalmoptera). Ces mutations monstrueuses suggérèrent que les gènes mutés étaient responsables du développement morphogénétique de ces petits amas de cellules embryonnaires qu'on appelle des disques imaginaux à l'origine des différents organes de la mouche. Ces gènes ont été clonés chez la mouche. Ils ont été appelés homéogènes parce que leur
mutation entraîne la transformation de l'organe d'un segment de la mouche en l'organe homologue d'un autre segment (l'aile en oeil ou l'antenne en patte, par exemple). L'existence de ces gènes lie le développement à l'évolution. En effet la compréhension de la transformation d'un organe en un autre permet de comprendre comment se sont formés des monstres au cour de l'évolution. Il est probable que beaucoup de processus de création de nouvelles espèces (les monstres qui ont réussi) sont liés à des modifications du nombre, du lieu d'expression et surtout du temps d'expression de ces gènes qui influent sur le développement morphologique des animaux et des plantes. Ces gènes homéotiques codent pour des facteurs de transcription c'est-à-dire des protéines qui restent dans le noyau des cellules et qui régulent l'expression d'autres gènes. Ce sont des gènes architectes qui contiennent le plan de la mouche et décident de la position des différents organes. Ils régulent d'autres gènes qui, eux, fabriquent réellement les organes. Ces gènes de développement sont au centre de réseaux génétiques. Une des grandes difficultés de la biologie du développement aujourd'hui est de comprendre quels sont les gènes dont l'activité est régulée par les gènes de développement, lesquels sont maintenant pratiquement tous identifiés dans le règne animal.
Chez la mouche, ces gènes de développement sont disposés le long d'un chromosome. Une chose tout à fait étonnante est que les gènes "en avant" du chromosome, en 3', sont exprimés dans les régions les plus antérieures de l'animal et que les gènes en 5', "en arrière" du chromosome, sont exprimés dans les régions les plus postérieures. D'une certaine façon la mouche est représentée sur le chromosome par la disposition des gènes de ce complexe homéotique. Quand le génome passe de la génération x à la génération x+ 1, le plan de l'animal, de l'imago, qu'il va falloir construire est transmis.
Ces facteurs de transcription, produits de ces gènes de développement - gènes du complexe HOM - se fixent à l'ADN car ils doivent réguler l'expression d'autres gènes. Ils se fixent par une petite séquence d'environ 60 acides aminés, appelée l'homéodomaine et codée par l'homéoboîte. Tous ces gènes chez la mouche ont pratiquement la même homéoboîte. Ils constituent donc une famille. Grâce à cette signature de l'homéoboîte cette même famille a été retrouvée chez la souris et chez l'Homme. Chez les vertébrés, ces gènes sont disposés non pas sur un mais sur quatre chromosomes et les gènes de ces quatre complexes HOM/Hox ont à peu près les mêmes propriétés que ceux de la mouche. Ils sont exprimés à l'avant de l'embryon quand ils sont en 3' du chromosome et à l'arrière des axes embryonnaires quand ils sont en 5' du chromosome. En analysant les gènes de mouche et de souris il a été observé que le remplacement d'un gène de mouche par un gène placé à la même position sur un des quatre chromosomes de la souris, permet de réparer la mouche. Cette complémentation marque une homologie à travers l'évolution ou encore une orthologie. À partir de la constatation de ces orthologies, on peut tirer la conclusion qu'il existe un ancêtre commun aux arthropodes et aux vertébrés. Cet ancêtre aurait vécu il y a 600 millions d'années, soit avant l'explosion du précambrien. L'évolution a alors suivi deux voies différentes l'une vers l'embranchement des arthropodes, l'autre vers celui des vertébrés. Deux duplications chromosomiques ont probablement permis la formation des quatre complexes qui sont la signature des vertébrés.
Les gènes que nous venons de décrire n'influent pas directement sur le système nerveux antérieur. Les chercheurs qui s'intéressent au cerveau ont donc utilisé une stratégie très proche en cherchant des gènes s'exprimant dans les ganglions céphaliques de la mouche. Ils ont trouvé à nouveau des gènes de la même famille, codant pour des facteurs de transcription, par exemple orthodenticle ou otd. Ayant découvert ces gènes ils ont regardé si des gènes homologues existaient dans le cerveau de la souris et en ont trouvé. Par exemple otx 1 et otx 2 qui sont assez proches de otd, s'expriment aussi dans les régions antérieures du cortex de la souris et de l'Homme et sont capables de complémenter otd. La suppression, chez la mouche, du gène otd entraîne la perte des structures céphaliques antérieures et, pour certains allèles de otd, des ocelles (trois "yeux" dorsaux). Son remplacement par otx 1 ou otx 2 de souris ou d'Homme restitue à la mouche sa morphologie normale. A l'homologie de structure et de site d'expression dans les régions antérieures du système nerveux, s'ajoute donc la
complémentation fonctionnelle. Ceci suggère très fortement que les régions antérieures existaient chez l'ancêtre commun et peut être même avant. Ainsi l'idée très développée que la céphalisation est un processus tardif de l'évolution est une idée fausse. La génétique du développement nous démontre qu'en fait la tête était là depuis le départ, au moins depuis le moment où nous nous sommes séparés de nos lointains cousins les arthropodes. Pourquoi avons-nous deux gènes otx 1 et otx 2 ? La génétique de la souris est suffisamment évoluée pour qu'on puisse retirer ou ajouter un gène à n'importe quel moment du développement. On parle de perte ou gain de fonction. La délétion de otx 2 donne une souris sans tête, c'est-à-dire sans système nerveux antérieur. C'est létal. Celle de otx 1 laisse un cerveau presque normal mais aminci du côté temporal et la souris fait des crises d'épilepsie. Surtout, elle perd le canal latéral semi-circulaire de l'oreille interne, structure qui au cours de l'évolution apparaît avec la transition des poissons sans machoires (agnathes) aux gnathostomes. Si on remplace otx 2 par otx 1 la souris commence à faire son système nerveux
mais elle ne le maintient pas. Si on remplace otx 1 par otx 2 on restitue presque toutes les fonctions de otx 1 sauf le développement du canal latéral semi-circulaire de l'oreille interne. Cela suggère qu'au départ il y avait uniquement otx 2 (orthologue de otd). Une duplication de otx 2 a rendu possible la formation de son paralogue otx 1 dont l'évolution a apporté des gains de fonction associés au passage des agnathes aux gnathostomes. L'étude des gènes de développement permet donc non seulement de comprendre le développement des organismes mais aussi l'évolution des espèces. Une nouvelle discipline est née "l'évodévo" ou développement/évolution. Il existe une très grande quantité de gènes exprimés dans les régions antéro-postérieures et dorso-ventrales du système nerveux de telle sorte que si on prend un système nerveux aplati sur lequel on trace un quadrillage, chaque région peut être définie par une combinatoire d'expression de gènes de développement. C'est en fonction de cette information positionnelle que les cellules vont donner naissance aux différents organes.
L'étape suivante dans la formation du système nerveux après la formation du tube neural à partir de la plaque neurale qui s'est refermée, c'est de le faire grossir. À partir d'une ou deux rangées de cellules il faut construire, par exemple, un cortex de 2 m2 chez Homo sapiens. Les différentes zones de cette surface ne sont pas homogènes, elles ne sont pas dévolues aux mêmes fonctions : il existe des aires olfactives, des aires associatives, des aires auditives, des aires visuelles, etc. Au cours de l'évolution la surface du cortex a augmenté et s'est régionalisée. Plis et circonvolutions permettent de tout empaqueter dans la boîte crânienne. L'augmentation générale de surface et celle ds surfaces dévolues aux fonctions spécifiques ont probablement varié à la suite de mutations de gènes de développement régulant prolifération et survie cellulaire dans des régions particulières. Par exemple, les surfaces allouées aux fonctions dites cognitives, associatives, ou permettant la maîtrise du langage, ont augmenté chez Homo sapiens plus que chez nos cousins les primates. Après la régionalisation du système nerveux, la deuxième période de ce développement permet donc la multiplication des cellules, l'organisation du cortex en six couches, la formation de toutes les structures cérébrales, la navigation axonale, la formation des synapses. Les mécanismes d'orientation d'une cellule migrante ou du cône de croissance d'un axone d'une cellule nerveuse ne sont pas encore connus même si nous savons qu'ils ont partie liée avec la lecture de l'information positionnelle, donc l'expression des gènes de développement.
Nous allons maintenant passer à des aspects un peu plus généraux. Nous avons vu tout à l'heure que nous avions au niveau chromosomique quatre représentations du corps, ce qu'on appelle des homonculus génétiques ou représentations génomiques du plan du corps. Ce plan du corps est marqué par la localisation de ces gènes de développement le long des chromosomes et par leur domaine d'expression spatio-temporel. Le cerveau est lui-même l'objet d'une construction génétique soumise à une régulation épigénétique. Par exemple, il existe dans le cortex sensoriel - sous la forme de réseaux neuronaux - une représentation du corps (donc à caractère génétique car reproduisant l'imago), mais cette représentation est déformée épigénétiquement car les régions les plus innervées sur le plan sensoriel mobilisent le plus grand nombre de neurones. La stimulation sensorielle "anime et déforme" un ensemble de neurones qui sont, pas exemple, "la main dans le cerveau".
Les réseaux neuronaux sont construits en fonction, à la fois d'une contrainte génétique, il s'agit d'un homonculus spécifique de l'espèce, et d'un environnement sensoriel. Si on coupe les afférences sensorielles, on perd le développement correct des représentations du corps au niveau du cortex. Si, chez la souris, à la naissance, on ôte les vibrisses (récepteurs sensoriels sur le museau), ils ne seront pas représentés dans le cortex, le membre sera absent. L'usage et l'influence de l'environnement sur tous les systèmes sensoriels modifient donc pour chaque individu la construction de ses représentations au niveau du système nerveux central. C'est ce qu'on appelle l'épigenèse, processus par lequel bien qu'appartenant à une même espèce, tous les individus sont différents. Le cerveau est capable d'engrammer une histoire individuelle, affective, sensorielle, une histoire de nos stimulations par le milieu. Plus nous sommes stimulés, plus nous développons des constructions épigénétiques variées. C'est vrai chez l'enfant, chez l'adolescent mais aussi chez l'adulte. En effet, une des grandes innovations des vertébrés est d'avoir gardé un système nerveux embryonnaire chez l'adulte. Ainsi, l'épigenèse se construit-elle à partir des nouveaux neurones, des arborisations neuritiques qui se
déforment, des synapses qui se font et se défont. Elle est un processus d'adaptation qui se
poursuit toute la vie. Le fait d'être du côté des arthropodes ou de celui des vertébrés a des conséquences fondamentales sur les stratégies d'adaptation. Nous partageons beaucoup avec les mouches, avec les vers et toute les études sur ces organismes sont extraordinairement importantes pour comprendre comment fonctionne et comment se construit le système nerveux des vertébrés.
Mais les logiques de nos stratégies adaptatives sont très différentes. Dans l'embranchement des arthropodes, notre grand concurrent au niveau de l'évolution, l'adaptation se fait de façon presque purement génétique. Il y a très peu d'individuation. La construction de l'individu n'est jamais très éloignée de celle de son génome. Chez les vertébrés, et encore plus chez nous parce que nous avons des systèmes de communication qui sont très riches de sens, le langage en particulier, l'adaptation ne se fait pas au niveau de la sélection de clones, elle se fait au niveau de la variabilité de l'individu, de son évolution.
L'adaptation se fait par individuation
Le système nerveux d'un individu au temps t et au temps t+δt n'est pas le même, il a évolué. L'intensité des synapses, leur nombre, le nombre de cellules, l'organisation des réseaux auront varié. Cette variation de structure biologique correspond à une évolution de l'objet, une adaptation à son milieu, une réponse à son histoire. Il y a donc de la plasticité chez l'adulte, dans certaines limites bien entendu, et cette plasticité est très certainement liée à l'expression continuée de ces même gènes de développement qui sont responsables non seulement de l'évolution, non seulement de la mise en place des grandes structures cérébrales (cortex, cervelet, moelle épinière), mais aussi de la plasticité permanente du système morphologique y compris à l'âge adulte.
La plasticité implique que de nombreuses cellules naissent, se différencient et meurent. Il existe des cellules souches dans la peau, le foie, le système hématopoïétique/immunitaire mais aussi dans le système nerveux central. Les premières ont été trouvées dans le bulbe olfactif : les interneurones du bulbe olfactif se reproduisent environ une fois par mois à partir de la zone sous-ventriculaire qui est une structure corticale située à l'avant du cerveau dont les cellules migrent pour aller envahir le bulbe. Ces cellules souches prolifèrent, migrent, se différencient comme des neurones normaux au cour du développement embryonnaire. Puis des cellules souches ont été repérées dans l'hippocampe, une structure à l'arrière du cortex qui est d'une grande importance pour la mémoire spatiale. Dans nombre de maladies neurodégénératives il y a perte de cellules au niveau de l'hippocampe. Très récemment des cellules souches ont été trouvées dans le cortex associatif du macaque. C'est une des régions la plus importante pour la mémorisation, la construction de souvenirs, pour la pensée d'une certaine façon. Le développement embryonnaire se poursuit donc sous une forme silencieuse chez l'adulte par la génération de nouvelles cellules souches qui vont migrer, se différencier et s'insérer dans des nouveaux réseaux neuronaux de la naissance à la mort. C'est une des bases de notre capacité à apprendre, de notre force d'adaptation, au niveau individuel, face aux défis qui nous sont apportés par les modifications de l'environnement physique et affectif. La question du vieillissement est donc à reposer. Pour certains, le vieillissement est une perte de fonctions à partir d'un âge idéal, une sorte de gain d'entropie catastrophique. Il peut être vu, aussi,
comme l'accumulation d'accidents du développement chez l'adulte. La biologie du développement pourrait donc nous donner des clés pour comprendre ce qu'est le vieillissement chez l'animal adulte et ce que sont de nombreuses maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer.
En conclusion, revenons sur ce que ces résultats rapportés de façon extrêmement schématiques nous disent sur ce qu'on appelle "pensée". Il existe beaucoup de confusions sur le terme de "pensée". La pensée n'est pas une substance, elle n'est pas un mécanisme. Pour un biologiste, la pensée est le rapport adaptatif que tout corps vivant entretient avec son milieu. Les arthropodes, les invertébrés, ont une pensée qui est très génétique : leur rapport au milieu est fixé, très proche de leur génome. C'est une contrainte mais c'est peut-être aussi un succès parce qu'ils se développent de façon clonale. Des mutations favorables peuvent être reproduites très vite. La connaissance que nous avons des arthropodes, dans un certain sens soutiennent les thèses sociobiologiques. Si on veut bien admettre que la pensée est le rapport adaptatif à son milieu, alors, tous les êtres, animaux et plantes, pensent. Chez les vertébrés et au plus haut point chez Homo sapiens, le milieu modifie la structure. Nos gènes font que nous sommes Homo sapiens mais ils nous donnent une très grande liberté par rapport au milieu. L'évolution a sélectionné une stratégie de développement qui fait que
chaque individu peut se modifier au cours de sa vie, qu'il bénéficie d'une très grande liberté épigénétique. C'est une des bases du succès et de l'adaptation de l'espèce humaine, encore que, sans vouloir être pessimiste, après 200 000 ans d'existence à peine, nous ne savons pas vers quoi mènera ce perfectionnement extraordinaire des mécanismes épigénétiques. Enfin, nous pouvons nous adapter par individuation mais aussi par l'invention d'artefacts comme la culture qui est, avec la mémoire génétique et la mémoire individuelle, la troisième et dernière forme de mémoire à laquelle nous pouvons nous référer pour penser le vivant.
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