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LES HOMMES PRÉHISTORIQUES ET LA RELIGION

 

 

 

 

 

 

 

Les hommes préhistoriques et la religion
André Leroi-Gourhan dans mensuel 331
daté mai 2000 -

La structuration des figures animales et des signes peints ou gravés dans les grottes démontre l'existence de religions pendant la préhistoire. Leur signification précise nous échappe toutefois, comme nous échappent les gestes rituels dont ils étaient le décor.
Au premier chef, il semble qu'il faille, au préhistorien tout au moins, adopter une définition élargie et en quelque sorte ouatée du phénomène religieux, qui n'est pas formellement séparable des phénomènes d'élaboration symbolique liés au langage et à l'activité gestuelle. En d'autres termes, le religieux, dans la mesure de l'information préhistorique, peut-il être distinct de l'esthétique et de toute forme de l'imaginaire ? Le fait que le plus clair des arguments invoqués tourne autour du cadavre et de l'oeuvre d'art apparaît alors moins comme une coïncidence que comme un truisme, la mise en évidence d'une réalité fondamentale, non spécifique sinon de l'homme universel et par conséquent non significative au plan où l'on souhaiterait se situer. Mais c'est une ouverture vers le rapport étroit de l'imaginaire et du langage, ce qui porte l'investigation sur un champ moins fermé qu'il n'apparaît de prime abord.
En effet, la paléontologie des anthropiens, depuis les formes qui remontent à plus d'un million d'années jusqu'au Paléolithique supérieur de - 35 000 à - 9 000, rend compte de l'évolution volumétrique du cerveau et du développement progressif des territoires corticaux associés à une détermination de plus en plus fine de la motricité volontaire. Or les territoires dont l'expansion est privilégiée répondent à la face, à la langue, au larynx et à la main, matérialisant sur la face interne de la boîte crânienne des anthropiens fossiles le perfectionnement simultané du langage et de l'activité manuelle. A partir d'un seuil du développement des territoires fronto-pariétaux, seuil qui se situe dans la période immédiatement antérieure à l'expansion de l' Homo sapiens approximativement - 50 000 - 30 000 apparaissent les premières manifestations d'une activité esthétique sous forme de la recherche de l'ocre rouge, de minéraux de forme singulière coquillages fossiles ou pierres bizarres, griffonnages indistincts sur des blocs et sur des fragments d'os. C'est aussi de cette époque que datent les premières sépultures connues. Si le langage est perdu, les oeuvres de la main portent donc témoignage de l'entrée des anthropiens dans l'expression symbolique. Par le détour de l'anthropologie physique, les rapports virtuels entre langage et émergence dans l'abstrait, entre soins au mort et activité figurative se trouvent approfondis, et les limites du religieux possible situées quelque temps avant l' Homo sapiens . Ce « quelque temps » est d'ailleurs à considérer à l'échelle géologique, car le jour qui s'est levé sur l'art des cavernes a été précédé d'une aube et d'une aurore prolongées.
Il est donc difficile de séparer la religion et l'activité esthétique au sens le plus large : l'ensemble des manifestations répond à un processus d'exaltation sociale, de multiplication des symboles, qui est à prendre comme un tout. Ici, la comparaison ethnographique peut légitimement jouer, car elle porte sur le comportement fondamental de l'homme à partir d'un certain point de son évolution : tous les groupes humains, et notamment ceux qui sont réputés archaïques offrent les mêmes recoupements entre la parure, les amulettes, les instruments de la magie, les insignes sociaux, le décor du palais et du temple, les mêmes symboles pouvant couvrir simultanément ou successivement les différentes zones de l'enveloppe intellectuelle de la société. Il convient donc de considérer d'abord les témoins par catégories concrètes sépulture, objets, plaquettes et blocs mobiles décorés, parois décorées, de rechercher ce qu'ils peuvent avoir de commun ou de particulier, c'est-à-dire s'efforcer de retrouver au moins une partie du réseau qui les liait les uns aux autres de manière significative, et non s'efforcer de faire entrer les faits dans des catégories abstraites comme rituel, magie, envoûtement, clans, totémisme.
Un peu avant 1870, les objets décorés par les chasseurs de mammouths du Paléolithique supérieur ont commencé à retenir l'attention : par contre l'art des cavernes n'a percé que presque un demi-siècle plus tard. Attribuées initialement à des élans purement artistiques, les oeuvres sont entrées dans le dossier de la religion fossile au début du XXe siècle, sous l'inspiration des travaux ethnologiques qui révélaient les liens entre art et religion chez les derniers chasseurs des confins du monde habité. Les figures paléolithiques sont essentiellement des représentations d'animaux, d'êtres humains relativement rares, de symboles génitaux concrets ou abstraits qui n'existent pratiquement que dans les grottes. Les pionniers de la recherche sur l'art des cavernes sont symbolisés par l'abbé Henri Breuil, qui marqua d'une empreinte prestigieuse les travaux de la première moitié de notre siècle. Pour lui, ou pour ses partisans, l'art paléolithique aurait été essentiellement magique : l'envoûtement, la capture des esprits, une sorte de chamanisme, des rites de fécondité auraient commandé l'exécution des objets mobiliers comme celle des décors pariétaux. Les figures sur parois répétées à la mesure des besoins de la tribu se seraient succédé au cours des millénaires, au point de constituer des nuages d'images aussi denses que ceux d'Altamira ou de Lascaux. Un peu à l'insu des inventeurs d'explications, assez souvent modérés dans leurs élans, toute une imagerie s'est ainsi créée autour de l'homme préhistorique, imagerie copieuse mais pauvre, où totémisme, initiation, chasse simulée, danses masquées, juments gravides ont alimenté pendant un demi-siècle une littérature qui a progressivement pénétré dans les masses.
En 1957, Mme Laming-Emperaire a émis, après l'étude de deux des principaux ensembles peints de France Lascaux et Pech-Merle, une série de vues qui tranchaient nettement sur les positions traditionnelles. Dans leur contenu, ces vues conduisaient à considérer les figures des cavernes comme organisées en compositions significatives, et non comme l'accumulation anarchique de figures d'époques successives. Le thème autour duquel les différentes figures gravitaient était constitué par l'association constante du bison ou de l'aurochs avec le cheval. Ce résultat très important convergeait avec les travaux que je poursuivais moi-même à cette époque, travaux qui ont eu pour base de départ l'art pariétal dans sa chronologie, puis qui se sont développés dans une analyse quantitative du groupement des figures dans les différentes régions des panneaux décorés ou de la caverne tout entière. Il en est ressorti un schéma complexe, comme il était naturel dans l'étude d'une centaine de sites distribués sur une large partie de l'Europe occidentale durant près de 20 000 ans. Dans l'art mobilier, les animaux ou les figures humaines apparaissent tantôt isolés, tantôt groupés suivant les principes qui seront décrits ci-dessous. Dans l'art pariétal, du fait que les figures sont restées fixées sur les parois, là où l'homme paléolithique les a tracées, il est plus facile de constater la nature des associations entre les sujets.
Il n'existe pas de caverne où une seule espèce soit représentée, sinon par un individu encore ce cas est-il statistiquement inexistant : en majorité écrasante, les espèces vont par deux suivant la formule cheval-boviné groupe A-B ; avec une fréquence moindre apparaît un troisième élément : cerf, mammouth, bouquetin ou renne groupe C qui est souvent limité à une seule espèce mais peut aller jusqu'à comporter les quatre. La formule la plus fréquente est par conséquent A-B-C. Avec une moindre fréquence encore, on peut voir s'ajouter l'ours, le grand félin, le rhinocéros groupe D, par une seule espèce ou dans les mêmes conditions que pour le groupe C. La formule complète A-B-C-D se rencontre par exemple à Lascaux suivant les régions de la caverne : cheval-aurochs-bouquetin, cheval-bison-cerf, cheval-bison-rhinocéros, cheval-aurochs-ours, cheval-bison- bouquetin-félin.... On verra plus loin que cette répartition est fonction d'une certaine disposition spatiale. A peu d'exceptions près, le schème fondamental de l'art pariétal et dans une mesure notable de l'art mobilier est donc, pour les animaux, une triade A-B-C ou A-B-D éventuellement A-B-C-D avec des proportions numériques qui sont de 27 % pour le groupe A, 28 % pour le groupe B, 32 % pour le groupe C mais avec des fréquences suivant les espèces, qui vont de 9 % pour le mammouth à 0,3 % pour le daim à bois géants, 3,5 % pour l'ensemble du groupe D. Les 10 % qui restent vont à des figures rares : poissons, serpents, oiseaux, carnassiers autres que le félin et l'ours.
Les signes S se répartissent eux aussi en deux catégories fondamentales S1-S2 et une catégorie complémentaire S3 dans laquelle il n'est jusqu'à présent pas établi une différenciation comparable à celle qui existe entre C et D. La catégorie S1 est constituée par des symboles génitaux féminins qui vont de la représentation complète de la femme au torse avec représentation du sexe, à la vulve réaliste, à des figures de plus en plus stylisées en ovale, en triangle, en cercle, en rectangle, avec ou sans indication d'une fente à la partie inférieure. Ces différents mondes de figuration marquent une évolution dans le temps et dans l'espace, et j'ai été conduit à les interpréter comme symboles féminins au cours d'un travail qui était orienté uniquement sur leur valeur comme jalons chronologiques et régionaux. Les signes des catégories S3 et S4 correspondent à des variantes sur le symbole génital masculin figuré par l'homme complet, par le phallus, par des représentations d'un schématisme croissant qui se résolvent en bâtonnets crochus ou barbelés, en traits simples, doubles ou multiples, en lignes ou en nappes de points, voire en un point unique. Comme les animaux, les signes répondent à un dispositif fondamental binaire S1-S2 qui assez souvent prend un caractère ternaire par le voisinage de deux formes différentes de symboles masculins ; de sorte qu'à un signe S1 se trouvent associés par exemple un bâtonnet et une nappe de points S1-S2-S3.
Animaux et signes répondent par conséquent aux mêmes formules fondamentales, logiquement binaires et encore accusées par le fait que les animaux de même espèce apparaissent fréquemment par couples mâle-femelle. Mais le dispositif est moins simple que ne laisserait supposer une explication uniquement fondée sur la symbolique de fécondité : l'élément initial est la présence de deux espèces A-B cheval-boviné confrontées à deux catégories de signes masculins et féminins. On serait donc tenté d'attribuer au cheval et au bison la même valeur symbolique ou tout au moins une bivalence d'un même ordre qu'aux symboles des deux catégories S1 et S2. Enfin, il faut souligner comme une notion indispensable pour mesurer le caractère abstrait du système figuratif paléolithique qu'il n'existe jusqu'à présent dans l'art pariétal comme dans l'art mobilier aucune représentation réaliste d'accouplement animal ou humain.
Il ne faut pas se méprendre sur le caractère du témoignage : la décoration pariétale des grottes est comme la décoration murale des sanctuaires ultérieurs, elle livre un assemblage symbolique de figures qui ne matérialise pas des rites mais qui en était le décor. Les traces que peuvent avoir laissées les rites ne sont pas sur les parois décorées mais à leurs pieds et sur le sol généralement anéanties par les visiteurs. En marge des grandes représentations, on rencontre effectivement, dans des cas privilégiés, des graffitis, des empreintes de pas humains, l'impression de pattes d'animaux coupées et appliquées sur l'argile, des signes tracés au doigt sur les parois molles, c'est-à-dire les très modestes témoins qui subsistent d'actes dont le déroulement s'est fait dans le cadre des grandes images.
La décoration pariétale, elle-même, répond à une formule si générale que son contenu mythologique est pratiquement insaisissable. On perçoit très bien qu'une métaphysique de la mort et de la fécondité a pu sous-tendre les représentations, mais vingt contenus ont pu, au cours des millénaires et dans les différentes régions, entrer dans la formule binaire-ternaire d'association des animaux et des signes. La religion préhistorique est démontrée, mais dans une formule abstraite ; sa richesse et sa complexité sont perceptibles dans les variantes de la formule initiale, mais les explications des préhistoriens sur le chamanisme, les totems, la division des clans, l'envoûtement du gibier, la magie de fécondité, les rites d'initiation sont du domaine de l'hypothèse de cabinet, vraisemblable parce que tout est dans l'homme et que celui du Paléolithique supérieur est un homme pleinement réalisé, mais gratuite parce que fondée directement sur des matériaux qui ne peuvent apporter que des preuves indirectes. Cette erreur de méthode a permis la naissance d'une légende dorée, mais elle a coûté pendant presque un siècle de nombreuses occasions d'observer les traces, encore visibles lors de la découverte, de ce qui pouvait apporter un témoignage direct sur les actes.

UN LONG MÛRISSEMENT
Peu de préhistoriens ont osé aborder de front la question religieuse. Pour André Leroi-Gourhan, qui s'est attaché à reconstituer les modes de vie des populations du Paléolithique sous tous leurs aspects, l'existence même des grottes ornées et de l'art mobilier imposait qu'il s'y intéresse. Il le fait, d'abord par de petits articles puis, en 1964, dans un livre Les R eligions de la préhistoire . Comme pour les très nombreux sujets qu'il a étudiés, il y revient à de nombreuses reprises, à l'occasion de fouilles nouvelles qui posaient de nouvelles questions, ou plus simplement parce que sa réflexion se précise. Cette étude des religions mobilise ses compétences dans les différentes disciplines auxquelles il a été formé : anthropologue physique, il déduit les capacités cognitives des hommes de leur morphologie ; ethnologue, il adapte et développe des modèles structuralistes ; archéologue, il propose la reconstitution des gestes qui ont produit les objets étudiés ou qui se sont déroulés en leur présence. L.A.
SAVOIR
A lire :
-A. Laming-Emperaire, La S ignification de l'art rupestre paléolithique , Paris, Picard, 1962.
-A. Leroi-Gourhan, Le G este et la P arole , tome 1 : Technique et langage , Paris, Albin Michel, 1964.
-A. Leroi-Gourhan, Les R eligions de la préhistoire P aléolithique , Paris, PUF, 1990.
-A. Leroi-Gourhan, Préhistoire de l'art occidental , édité par Brigitte et Gilles Delluc, Paris, Mazenod, 1995.

 

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MÉGALITHE

 

 

 

 

 

 

 

Plan
*         mégalithe
    *         Données chronologiques
    *         Techniques de construction
        *         Les outils
        *         Les pierres
        *         La mise en place
        *         Les dalles de couvertures
        *         Le déplacement des pierres
    *         Les mégalithes dans le monde
    *         Les mégalithes d’Europe
        *         Typologie des mégalithes d’Europe
            *         Les menhirs ou pierres isolées
            *         Les regroupements de menhirs
            *         Les dolmens
            *         Les temples mégalithiques
        *         Un savoir-faire transmis
    *         L’interprétation des mégalithes
        *         Lieux de légendes
        *         Des monuments fascinants
        *         Signes de continuité

mégalithe

Cet article fait partie du dossier consacré à la préhistoire.
Monument préhistorique formé d'un ou de plusieurs blocs de pierre.
Les mégalithes – pierres isolées, alignées, ou monuments – sont avant tout des expressions architecturales témoignant d'acquis technologiques et d'un degré d'organisation sociale remarquables. Leur présence dans les différentes parties du monde est attestée à des périodes séparées parfois de plusieurs milliers d'années – ils appartiennent à la préhistoire en Europe et dans le Bassin méditerranéen, à l'histoire parfois contemporaine dans d'autres régions –, et ils ne sont plus considérés comme des indices de diffusion d'une civilisation ou d'une religion.
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* Les principaux types de mégalithes sont : les menhirs, pierres dressées commémoratives ou jalons de systèmes rectilignes (alignements) ou circulaires (cercles ou cromlechs), interprétés comme des sanctuaires à cultes astraux (Carnac et Stonehenge) ; les dolmens, monuments funéraires, souvent recouverts d'un tumulus ; formant parfois des allées couvertes.
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Données chronologiques
La majeure partie des monuments mégalithiques sont, à l'origine, des formes de sépultures collectives, et les plus anciens apparaissent au Ve millénaire avant notre ère. Ils semblent donc contemporains des débuts de l'agriculture en Europe occidentale, depuis le sud du Portugal (monument I de Poço de Gateira dans le Haut-Alentejo) jusqu'en Bretagne (tumulus de Barnenez à Plouézoc'h) et au-delà. L'apogée du mégalithisme occidental se situe au cours de la seconde moitié du IVe millénaire avec les sites de Stonehenge et d'Avebury en Angleterre, Newgrange en Irlande, Gavrinis, Carnac, Bagneux (banlieue de Saumur) en France, Antequera dans la péninsule Ibérique, auxquels on peut ajouter ceux, particulièrement riches, de Ggantija de Tarxien et de Hal Saflieni dans l'archipel de Malte, pour le monde méditerranéen. Pour les autres régions du monde, les données sont nettement plus fragmentaires. Toutefois, des mégalithes sont encore érigés de nos jours dans certains pays, comme Madagascar, ou dans l'île de Nias, en Indonésie.
Les monuments les plus importants montrent, en général, plusieurs phases d'aménagement successives, étalées parfois sur plus d'un millénaire : c'est le cas du grand site de Stonehenge dans la plaine de Salisbury. La date et la durée des périodes d'occupation sont des données primordiales.

Techniques de construction
Les dimensions des éléments constituant les monuments mégalithiques posent les problèmes de leur extraction, de leur transport, de leur érection et de leur assemblage. Certaines dalles de couverture de dolmen pèsent plusieurs dizaines de tonnes, le grand monolithe de Locmariaquer (Morbihan) atteignant plus de 350 t. Bien qu'en général les carrières d'extraction des pierres ne soient pas très éloignées des sites d'édification, des trajets de plusieurs centaines de kilomètres ont parfois été effectués : ainsi, les pierres bleues de Stonehenge ont été acheminées depuis le pays de Galles.

Les outils
Les outils sont essentiellement des pics en bois de cerf, pour déchausser les blocs, et des omoplates de bovidés, pour enlever les déblais ; on en a retrouvé dans des exploitations préhistoriques (notamment des galeries de mines de silex). En outre, des percuteurs en roches siliceuses, surtout en silex, devaient être utilisés pour provoquer des fractures par bouchardage dans les roches les plus dures, tel le granite ; des coins de bois enfoncés dans ces anfractuosités étaient mouillés pour faire éclater la roche par gonflement. Des outils semblables ont été expérimentés avec succès sur le site de Bougon (Deux-Sèvres).

Les pierres
Paraissant souvent brutes ou frustement taillées au premier abord, les pierres sont le plus souvent habilement extraites de leur affleurement géologique d'origine, en fonction des propriétés physiques des roches. Les constructeurs semblaient dominer parfaitement l'utilisation des discontinuités naturelles, comme les plans de stratification sédimentologique des grès et des calcaires, les plans de schistosité des roches métamorphiques ou les plans de faiblesse non apparents liés à l'anisotropie des massifs de granite ou des filons de dolérite (fil de nos carriers actuels).
Ces éléments lithiques se trouvent parfois appareillés dans de grands édifices à l'organisation complexe, ou simplement redressés, le plus souvent dans un point remarquable de la topographie ou du paysage anthropique de l'époque. Il est souvent difficile de s'en rendre compte actuellement, car ils ont été couramment déplacés au cours de l'histoire – quand ils n'ont pas été détruits pour des raisons agricoles ou d'urbanisme.

La mise en place
Les techniques de mise en place des orthostates ont été déduites à partir des fouilles montrant le creusement d'une fosse asymétrique et le plan de disposition des pierres de calage, et grâce à des reconstitutions, notamment celle réalisée par Thor Heyerdahl dans l'île de Pâques.

Les dalles de couvertures
Le montage de ces dalles peut s'effectuer par empilements successifs de troncs d'arbres ; lorsque la hauteur voulue est atteinte, les monolithes supports sont calés sous la dalle, soulevée par des leviers de bois, puis l'échafaudage est détruit par le feu. Une autre façon de procéder consiste à remorquer la dalle le long d'un plan incliné abondamment couvert de graisse jusqu'à sa position définitive sur ses montants.

Le déplacement des pierres
Il peut s'effectuer à l'aide de traîneaux, comme le montrent certaines fresques égyptiennes décrivant la traction de statues monolithiques colossales. Des rondins de bois, réutilisés au fur et à mesure de la progression, permettent aussi le déplacement des charges les plus lourdes dès lors que la résistance du sol est suffisante. En Asie du Sud-Est, la technique du « palong » est encore utilisée de nos jours : sur le sol aplani, on dispose des madriers recevant, dans des encoches, des traverses taillées pour être au même niveau. L'ensemble de la structure est alors enduit de graisse, et le monolithe est halé sur ce « chemin de bois ». Au début du xxe s., 520 hommes tractèrent une pierre de plusieurs dizaines de tonnes sur des pentes supérieures à 40 % dans l'île de Nias (Indonésie). Il semble que la traction par des hommes, capables de réagir très rapidement à un problème imprévu, soit beaucoup plus efficace que la traction animale.
Ces travaux devaient être effectués à des périodes de l'année où la mobilisation de la population ne risquait pas de mettre en péril l'activité agricole. De nos jours, ils donnent toujours lieu à des festivités importantes.

Les mégalithes dans le monde
Dès le xixe s., l'archéologue écossais James Fergusson rend compte, d'après ses propres observations en Europe, à Malte, en Algérie, en Palestine, en Éthiopie, au Soudan, dans le Caucase, en Perse, au Baloutchistan, au Cachemire et jusqu'en Inde centrale et méridionale, de l'universalité des constructions mégalithiques. D'autres sites ont été reconnus depuis, dans la région de San Agustín (Colombie), en Mandchourie, en Corée. Au Japon, les pratiques mégalithiques atteignent leur apogée au ive s. avant notre ère avec le tumulus en trou de serrure de l'empereur Nintoku (486 m de long pour 36 m de haut) et cessent à la fin du viie s. Des monuments mégalithiques se trouvent également en Malaisie, en Indonésie et au Yémen. En Afrique, certaines régions présentent une densité exceptionnelle. On estime entre trois mille et quatre mille le nombre de dolmens composant la nécropole du djebel Mazela à Bou Nouara, en Algérie orientale. Dans le sud de l'Éthiopie, la province de Sidamo représente la plus grande concentration de mégalithes du monde, avec plus de dix mille pierres phalliques et stèles gravées. Des gisements mégalithiques ont été décrits dans la région de Bouar, en République centrafricaine. La Gambie est également riche en cercles de pierres, dont certaines sont taillées en forme de lyre. Le Mali possède un ensemble de monolithes phalliques situé au cœur du delta intérieur du Niger, à Tondidarou, et daté de la fin du viie s. de notre ère. La région de la Cross River au Nigeria montre de beaux monolithes anthropomorphes. Madagascar, enfin, qui n'est touchée par le mégalithisme que depuis trois siècles, constitue une mine de renseignements concernant les motivations des populations qui réalisent de tels monuments.

Les mégalithes d’Europe
Le versant atlantique de l'Europe concentre les constructions les plus anciennes et les plus complexes. Les régions méditerranéennes comptent des ensembles remarquables et, en France, l'Aveyron est le département le plus riche en mégalithes.

Typologie des mégalithes d’Europe
Le professeur Glyn Daniel, de l'université de Cambridge, distingue quatre groupes de monuments en Europe.

Les menhirs ou pierres isolées
Ces pierres, parfois gravées, peuvent dépasser 20 m de haut, comme le menhir brisé de Locmariaquer. Certains menhirs sont réutilisés dans d'autres monuments, tel celui de 14 m de long dont un fragment constitue la dalle de couverture du dolmen de Gavrinis, et un autre celle du dolmen de la « Table des marchands » (Locmariaquer). On trouve, dans le sud de la France, en Corse du Sud (site de Filitosa), en Italie du Nord ou en Espagne, des menhirs qui sont de véritables sculptures anthropomorphes ou phalliformes.

Les regroupements de menhirs
Disposés selon un plan d'ensemble, les menhirs forment un ou plusieurs cercles ou ellipses, ou des alignements (Carnac, en Bretagne). Les anneaux de pierres s'inscrivent parfois dans des ensembles comprenant fossés et remblais (par exemple à Avebury, dans le sud de l'Angleterre). Dans la même région, le complexe de Stonehenge, caractérisé par des trilithes, a été construit en six étapes réparties sur deux millénaires (entre 3100 et 1100 avant J.-C.). La théorie faisant passer ce site pour un véritable observatoire astronomique est controversée.

Les dolmens
Assimilés le plus souvent à des chambres funéraires collectives, les dolmens sont les constructions mégalithiques les plus répandues (environ 50 000 du Portugal à la Scandinavie). Les uns étaient, et sont encore parfois, recouverts d'un tumulus de pierres. Certaines chambres présentent un toit constitué par un encorbellement de pierres sèches : la voûte de Newgrange, construite depuis 5 500 ans, s'élève à plus de 6 m du sol. Plusieurs monuments sont orientés de façon très précise par rapport au soleil, notamment à Newgrange, Gavrinis et Stonehenge.

Les temples mégalithiques
Situés dans les îles voisines de Malte – qui longtemps n'ont été considérées que comme un relais entre le monde égéen et l'Europe de l'Ouest –, les temples mégalithiques sont un exemple original d'une architecture autonome qui s'est développée sur une période de près de trois millénaires. Ces constructions sont particulièrement imposantes. Le temple de Ggantija a été construit en deux phases, et sa partie la plus ancienne laisse penser que les techniques du demi-encorbellement étaient déjà maîtrisées. Le monument de Tarxien, antérieur de plusieurs siècles aux premiers palais mycéniens, est immense (plus de 80 m de long) et complexe (trois temples, dont l'un compte sept chambres).

Un savoir-faire transmis
Les études réalisées sur les techniques d'extraction, de transport et d'assemblage des éléments mégalithiques montrent que les populations du néolithique et de l'âge du bronze savaient transmettre les connaissances acquises par l'observation de leur environnement et utiliser au mieux les moyens simples qui étaient à leur disposition. De plus, la diversification des tâches, coordonnées par un « architecte » possédant un plan d'ensemble et capable d'adapter les efforts d'un groupe parfois très important sans mettre en péril l'économie d'une communauté agricole ou pastorale, relève d'une organisation sociale évoluée. La sensibilité des bâtisseurs de mégalithes néolithiques transparaît dans la recherche esthétique des volumes, des gravures, et surtout dans l'intégration des monuments dans les paysages. Leurs capacités intellectuelles semblent dépasser largement l'imagination de ceux qui, aujourd'hui encore, attribuent à des interventions surnaturelles ou extraterrestres la réalisation de ces constructions.

L’interprétation des mégalithes
Lieux de légendes
Les mégalithes sont, le plus souvent, intégrés dans la culture populaire des régions où ils abondent. Les légendes traditionnelles font intervenir le merveilleux et le surnaturel pour expliquer leur présence, en leur conférant une image bénéfique ou diabolique selon les endroits, souvent associée à la présence de trésors cachés. Les Églises et les pouvoirs politiques ont cherché à neutraliser les pouvoirs qu'on leur attribuait, en les enfouissant dans leurs propres monuments ou en les y assimilant (monolithe intégré à la cathédrale du Mans, menhirs modifiés par l'adjonction d'une croix en Angleterre et en Bretagne). En fait, dans toute l'Europe occidentale, ils ont suscité la curiosité des historiens et des voyageurs depuis le xvie s.

Des monuments fascinants
Depuis la seconde moitié du xixe s., une littérature abondante, fournie par des préhistoriens, des érudits, des explorateurs, mais aussi des politiciens animés de l'idéologie qui entoure les Celtes, ainsi que des illuminés, voire des charlatans, leur a été consacrée. Une carte des dolmens de France a été réalisée par la commission de topographie des Gaules, et la commission des monuments mégalithiques publia un inventaire complet en 1880. De très précieuses descriptions de monuments se trouvent dans les actes des sociétés savantes de cette époque, comme le Bulletin de la société polymathique du Morbihan de Vannes.
Aujourd'hui, l'attrait exercé par les mégalithes se perpétue, qu'ils inspirent des études servies par les techniques de l'archéologie et les hypothèses de l'ethnologie ou qu'ils fascinent des processions de touristes, attirés par leur symbolisme énigmatique.

 



Signes de continuité
Un monument mégalithique – tombe, temple ou palais – est en général érigé sur un lieu privilégié de l'environnement, où il attire le regard. Signe du savoir-faire d'une communauté, il rend manifeste un certain pouvoir que l'étranger ignorant peut considérer comme magique et dissuasif : l'effet est d'autant plus impressionnant lorsqu'il s'agit de grandes structures soigneusement orientées, capables de complicité avec la course du soleil. Si les sépultures mégalithiques symbolisent une continuité solidaire avec les morts, elles prouvent ainsi la légitimité des constructeurs qui ont hérité des terres sur lesquelles reposent leurs ancêtres
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OCÉAN ARCTIQUE

 

 

 

 

 

 

 

océan Arctique

Ensemble des mers situées dans la partie boréale du globe, limité par les côtes septentrionales de l'Asie, de l'Amérique et de l'Europe et par le cercle polaire arctique. Il se compose du bassin arctique et de mers annexes. L'ensemble formé par l'océan Arctique et la région continentale et insulaire (terres arctiques) située à l'intérieur du cercle polaire arctique constitue l'Arctique.


Le plus petit océan de la terre, élargissement de l'Atlantique, est une mer continentale aux limites clairement définies ; les pointes septentrionales de l'Atlantique et du Pacifique en constituent les annexes. Jadis isolé par le froid et les glaces, aujourd'hui parcouru par les avions, bordé de ports et de lignes maritimes, l'océan Arctique présente un intérêt tant économique que stratégique.
L'océan est dans un isolement relatif, plus marqué du côté pacifique (seuils insulaires des Aléoutiennes et des Kouriles ; détroit de Béring) que du côté atlantique (seuils entre le Groenland, l'Islande et les Féroé ; passage Groenland-Spitzberg). Les conséquences hydrologiques sont importantes : la dérive nord-pacifique se résout en tourbillons pour pénétrer dans le golfe d'Alaska et la mer de Béring ; le flux d'origine pacifique ne représente que 20 % de l'eau arctique. La dérive nord-atlantique s'engage plus aisément le long des côtes d'Eurasie et transmet son impulsion à l'ensemble du bassin. L'onde de marée est d'amplitude faible ; les courants qu'elle engendre sont modérés, sauf entre les îles
1. Un océan froid
1.1. Le bassin polaire
Les plates-formes continentales
Des plates-formes continentales, démesurées et monotones, occupent plus du tiers de la superficie de l'océan Arctique. La plus étendue se situe au nord de la Sibérie, où la mer des Tchouktches communique avec le plateau de la mer de Béring par un détroit peu profond (38 m). Les mers de Kara, des Laptev, de Sibérie orientale, des Tchouktches ont des fonds monotones, modelés par des processus fluvio-deltaïques, glaciels et, localement, glaciaires. Sur les côtes basses et marécageuses se succèdent les estuaires profonds (Ob, Ienisseï) et les larges deltas (Lena, Mackenzie). La plate-forme est plus étroite, plus accidentée, creusée de dépressions profondes en bordure des socles anciens et fracturés de l'archipel canadien, du Groenland et de la Scandinavie. Les rivages à falaises sont bordés de jardins d'écueils et profondément découpés par des fjords. La plate-forme nord-européenne présente un relief aussi accusé ; elle est semée d'îles ou creusée d'auges burinant profondément le sommet de la pente (fosses Voronina, Sviataïa Anna). Les îles de l'archipel canadien sont isolées par des chenaux, surcreusés par les glaciers à plus de 500 m (800 m dans le détroit de McClure). Dans l'ensemble, la topographie monotone s'explique par la régularité des structures (enfouissement des boucliers sous une épaisse couverture sédimentaire), la présence d'aplanissements (parages du détroit de Béring) et l'extension d'un manteau sédimentaire quaternaire enrichi par des apports glaciaires (moraines) ou deltaïques.
Le détroit de Béring a joué un rôle biogéographique notable : ouvert au Pliocène, il fut une voie de passage des faunes vers l'Atlantique ; mais, privé de son importance par un soulèvement survenu au milieu du Quaternaire, et donc asséché à diverses reprises (abaissement maximum de la mer : 140 m), il fut un pont continental assurant la libre circulation des espèces terrestres et des vagues de peuplement vers l'Amérique (Indiens, puis Esquimaux et Aléoutes il y a respectivement 27 000 et 10 000 ans).
Au-delà de la pente continentale, d'origine tectonique, les fonds marins comprennent des seuils et des bassins
des seuils
Ces ponts, jetés entre l'Asie et l'Amérique, forment les chaînes transarctiques : la chaîne Mendeleïev (ou Alpha, ou Fletcher, à proximité du Canada) entre 3 700 et 1 400 m (point culminant), montagne aséismique ; la chaîne Lomonossov, peu accidentée, parfois plate (sommet à 730 m), reste d'un fragment continental effondré ; elles sont séparées par la cuvette Makarov, dont les parties les plus plates, plaines de Sibérie (3 946 m) et de Wrangel (2 825 m), sont reliées par la passe d'Arlis, qui semble avoir été empruntée par les sédiments venus de la plate-forme sibérienne, ont contribué au remblaiement de la cuvette.
Des arcs insulaires (Aléoutiennes, Kouriles) sont produits par le plongement de la plaque pacifique sous les mers de Béring et d'Okhotsk.
des bassins
Le bassin prépacifique est morcelé par des protubérances à flancs raides et sommets plats (plateau de Beaufort, cap Tchouktche), qui tendent à isoler la cuvette canadienne (3 900 m) des cuvettes des Tchouktches et de Beaufort, lesquelles communiquent par des couloirs comme la passe Charlie ; la mer de Béring (4 420 m) lui est associée ; le bassin préatlantique est plus profond (la moitié supérieure à 4 000 m) et partagé en deux bassins occupés par d'étroites plaines abyssales (dites « du Fram », ou « eurasiatique » et « de Nansen »), qui sont séparées par une zone de reliefs heurtés, des crêtes et des pics aigus, creusés de dépressions comme celles du Fram (5 335 m), du Fedor Litke (5 449 m) et du Lena (plus de 3 000 m) ; cette dernière met en relation les bassins polaire et groenlandais, et joue un rôle hydrologique considérable. Leur soubassement basaltique est recouvert par plus de 1 000 m de sédiments terrigènes formant des plaines abyssales exiguës, bordées de plateaux marginaux et entaillées de grandes vallées sous-marines.
Ces montagnes sous-marines, soulignées par un groupement d'épicentres séismiques, sont parfois considérées comme les jalons d'une dorsale (de Gakkel, puis de Nansen plus au sud) qui serait le prolongement de la dorsale médio-atlantique. Une telle continuité n'est pas encore établie, mais il est certain que le bassin préatlantique possède une croûte de type océanique, à la différence des régions situées au-delà de la chaîne Lomonossov, qui est considérée comme la limite structurale d'un domaine stable au soubassement proche des boucliers précambriens. Le bassin prépacifique résulterait de l'affaissement d'une ancienne aire continentale, accompagné de l'accumulation d'une puissante série sédimentaire (12 km sous le cap Tchouktche) et d'une fracturation responsable de vastes épanchements volcaniques (chaîne Mendeleïev).
1.2. Le milieu arctique
Pour les mêmes raisons qu'au pôle Sud, l'apport calorique est limité ; toutefois, le froid n'y a pas la même rigueur, grâce au jeu de facteurs variés.
L'océan Arctique est largement et profondément ouvert sur l'Atlantique
L'océan est caractérisé par une zonation et un étagement des masses d'eau.
L'océan Arctique est largement et profondément ouvert sur l'Atlantique, qui lui transmet sa chaleur par l'intermédiaire des courants tempérés norvégien et mourman, déportés jusqu'aux parages du Spitzberg et de l'archipel de la Novaïa Zemlia (Nouvelle-Zemble). Pour des raisons topographiques, l'eau qui franchit le détroit de Béring est réduite à une couche mince et peu salée. La pénétration des eaux atlantiques a une double conséquence.
En surface, le contact avec les eaux polaires s'exprime sous la forme d'un front hydrologique net mais sinueux, comme entre l'Islande et le Spitzberg. Les eaux plus chaudes que l'air contribuent à la formation d'une zone dépressionnaire permanente mais mobile, où l'affrontement entre les masses d'air arctique et polaire donne naissance à des perturbations cycloniques qui transitent vers le nord-est, y apportant pluie, tempête et neige.
En profondeur, les eaux atlantiques plus salées, donc plus denses, plongent sous les eaux arctiques et pénètrent dans le bassin sous une double forme : à mi-profondeur (maximum : 1 000 m), une couche moyenne salée (35 ‰) et relativement chaude (entre 0 et 1 °C) longe le précontinent asiatique, puis, appauvrie en sels et oxygène, atteint le bassin prépacifique, où elle est animée d'un double tourbillon dont la branche la plus importante aboutit à la fosse du Lena, par laquelle elle passe en mer du Groenland ; une couche profonde, moyennement salée, un peu plus froide (– 0,3 °C à 3 000 m), formée en mer de Norvège, est par contre bloquée dans sa progression par la chaîne Lomonossov, qui n'est franchie qu'épisodiquement : aussi les eaux du fond du bassin prépacifique sont-elles un peu plus chaudes et empreintes d'un endémisme plus marqué qu'ailleurs, signes d'un confinement relatif.
La banquise

L'océan Arctique possède une importante couverture de glaces dont la formation est favorisée par la faible salinité des eaux superficielles.
La banquise (au rôle climatique important par son extension) n'a pas sur les masses d'air un pouvoir réfrigérant aussi grand que l'inlandsis antarctique : elle réfléchit seulement 61 % de la chaleur reçue. L'extension de la glace de mer est remarquable à cause des conditions favorables rencontrées, c'est-à-dire grâce à la présence d'une couche d'eau superficielle sensible à la congélation pour deux raisons : sa faible salinité (32 à 33 ‰ dans le centre, mais moins de 20 sur les bordures), qui résulte de l'afflux d'eau pacifique (46 %) et du débit des grands fleuves (50 %) ; sa stabilité verticale, puisqu'elle est séparée de la couche moyenne sous-jacente par une halocline qui interdit tout mouvement de descente à plus de 30 m.
L'atmosphère
Enfin, l'atmosphère n'a pas la luminosité de l'Antarctique, car elle est fréquemment enrichie en nuages et brouillards.
Au cours de la nuit polaire, un axe de hautes pressions réunit les anticyclones de rayonnement de Sibérie et du Canada : si le refroidissement est intense sur les continents, la chaleur extraite de l'océan se trouve retenue sous le couvert nuageux, où l'atmosphère se refroidit lentement. En été, les dépressions parviennent à se glisser jusqu'au pôle, où les hautes pressions se morcellent ; mais l'air humide (pluies et brouillards) ne bénéficie que partiellement de l'illumination continue. En conséquence, si les étés arctiques ont une fraîcheur océanique, le froid hivernal n'est pas excessif. Ce fait est illustré par la relative limitation des phénomènes glaciaires, exprimée par la faible importance des inlandsis (en dehors du Groenland), la rareté des icebergs et la minceur de la banquise. Au total, le milieu arctique est beaucoup moins inhumain que celui de l'Antarctique.
Ces considérations amènent à dresser un triple bilan, de l'eau, de la chaleur et de la glace.
bilan de l'eau
L'Arctique a un régime équilibré, puisqu'il en reçoit autant qu'il en perd. Dans ce régime, l'Atlantique intervient pour une grande part : s'il fournit 60 % d'eau, il en accueille près des deux tiers, sortant par le courant est-groenlandais, considéré comme l'émissaire de l'Arctique.
bilan de la chaleur
La déperdition (90 % par la banquise, sous la forme d'émission à grande longueur d'onde) est contrebalancée par un apport atmosphérique (pour un tiers) et surtout océanique. Donc, si la banquise n'existait pas, le refroidissement serait moins fort, d'autant que l'ennuagement devenu permanent diminuerait le rayonnement. Elle est l'élément déterminant de l'équilibre climatique régional.
bilan de la glace
Des bilans de masse dressés, il ressort que la banquise polaire a ses pertes annuelles compensées par une reconstitution lente mais régulière, surtout active dans le bassin prépacifique. Cette estimation demeure vraie pour une plus longue période. En dépit de l'intensification de la circulation cyclonique vers le pôle et du léger accroissement de température de l'eau atlantique affluente, observés depuis plusieurs décennies, la banquise ne régresse point. En effet, la portée de tels phénomènes se trouve largement restreinte par un refroidissement compensatoire de l'eau de surface. En outre, l'émiettement de la banquise qui en résulterait aurait pour conséquences une déperdition thermique accrue au contact de l'air et une reconstitution de la glace de mer. Les facteurs qui tendent à la destruction de la banquise créent les conditions de sa survie. Cependant, lors des glaciations pléistocènes, le tarissement des afflux fluviatile et pacifique (émersion du détroit de Béring) entraîna l'établissement d'une structure isohaline favorable à un brassage convectif contraire à la prise en glace. Mais on ignore encore l'amplitude de telles oscillations qui sont mises en évidence par l'étude des carottages.
2. Les régions arctiques
2.1. La marge littorale
C'est un domaine original où la mer se dénature en se dessalant, et où la limite terre-mer devient indistincte sous le tapis saisonnièrement alterné de la glace et de l'eau. Le climat très perturbé est caractérisé par l'abondance des précipitations estivales, la fréquence des tempêtes et la brutalité des sautes de température.
Les côtes
Les côtes offrent des aspects variés selon les saisons. En hiver, elles sont ourlées par une banquette côtière, amas compliqué de glace alimenté par les embruns, par le flot ou le tassement des congères. En été prédomine un paysage fluctuant de boue, d'eau et de glaçons. Les côtes rocheuses sont rares (fjords abandonnés par les glaciers, sauf au Groenland). Partout ailleurs prédominent les côtes basses, où les traces du modelé glaciaire pléistocène (alignement de moraines, dépôts de plages), déformées par le lent relèvement isostatique, sont retouchées par l'action des glaces (de mer notamment, sous la poussée desquelles les berges se plissent en cordons) et du puissant alluvionnement fluviatile. La boue, les glaces et les troncs d'arbre viennent s'accumuler en aval de plaines maritimes démesurées, faites de levées et de lagunes multiples, que les baleines blanches viennent visiter en été. Sur les immensités semi-aquatiques des deltas et estuaires, une abondante faune se réfugie, comme les phoques.
Les plates-formes flottantes
Les plates-formes flottantes sont rares (côtes nord de l'île d'Ellesmere et du Groenland) : la plus étendue, dite « Ward Hunt », n'a que 1 500 km2. Leur surface est ornée d'ondulations parallèles ; en aval, une ablation puissante détache de la falaise des icebergs et des îles de glace. Toutes les plates-formes (comme la Ward Hunt, qui perdit 600 km2 d'août 1961 à avril 1962) ont un bilan de masse négatif et sont des formes reliques datant du Pléistocène.
La banquise côtière
La banquise côtière est un mince dallage de glace (1 à 2 m), formé dès l'automne aux dépens d'une eau littorale dont la salinité descend fréquemment au-dessous de 25 ‰. La banquise, qui va depuis la banquette côtière jusqu'au-dessus des fonds inférieurs à 20 m, bloque les fjords groenlandais et une partie de l'archipel canadien et de la plate-forme sibérienne (500 km de large en mer de Laptev). Elle est fixe, car ancrée sur les îles et les stamoukhi (hummocks échoués). La surface, remarquablement lisse, peut être surmontée d'icebergs, venus s'y faire prendre au piège comme sur les côtes du Groenland ; de plus, sous l'effet de la marée, qui lui communique son oscillation, elle est affectée de crevasses (comme la crevasse dite « de marée », au contact de la banquette côtière) ou de trous, grâce auxquels Esquimaux et Aléoutes chassent le phoque et le morse. Au plein de l'été, elle disparaît (sauf en quelques fjords de la côte ouest du Groenland) avec le réchauffement des eaux côtières et la fusion des neiges et des glaces continentales : l'eau des flaques s'y infiltre, regèle et accroît le démantèlement de la banquise. La dérive littorale, les courants de vent et de marée (ils dépassent 10 km/h en certains passages de la mer de Kara) en entraînent alors les miettes, escortées d'apports fluviatiles variés et d'icebergs libérés mais traîtreusement cachés par des brouillards rendus persistants par l'intensité de l'évaporation. La turbidité est alors d'autant plus élevée que l'apport continental suscite une floraison planctonique (c'est la période d'une active pêche côtière à l'aide des kayaks ou des chalutiers) et que la force des houles entretient une constante remise en suspension des sédiments. C'est dans ces régions réputées pour la sévérité des conditions nautiques que, en dépit de la brièveté de la période navigable, on a tenté de forcer les passages dits « du Nord-Ouest » et « du Nord-Est » : les Soviétiques parvinrent à y établir la « Route maritime du Nord » grâce à une organisation technique et scientifique exemplaire.
2.2. La banquise dérivante (ou pack)
Les eaux comprises entre les banquises côtière et permanente sont couvertes par des glaces partiellement allogènes, formées en hiver de glaçons ayant survécu à la fusion et ressoudés par de la glace jeune. En été, le pack se fragmente en vastes champs de glaces, aux limites invisibles sur l'horizon, et en floes, radeaux longs de 1 à 10 km. Ils disparaissent presque totalement par fusion ou dérive.
Le pack eurasiatique et alaskien
Le pack eurasiatique et alaskien intéresse des régions de plates-formes où les courants de marée sont forts, et la dérive rendue complexe par l'intervention de circuits locaux moulés aux découpures des côtes. Les dépressions cycloniques, qui font se succéder effluves océaniques et souffles d'air glacé, agissent sur le déplacement et la densité d'un pack, dont l'extension varie d'une année à l'autre dans des proportions considérables, mais qui se trouve par contre cantonné à des latitudes très hautes (dans l'Atlantique du Nord-Est, le front hydrologique pénètre très fortement et libère de glaces la mer de Barents pendant la plus grande partie de l'année). Aussi les glaces flottantes vite fondues sont-elles rares en dehors de quelques icebergs (hauts de quelques mètres au plus) venus du Spitzberg ou de la terre François-Joseph. Pareillement, en mer de Béring orientale, la banquise ne dépasse pas la pointe de la presqu'île aléoute, et le retour des vents tièdes de sud-ouest libère les îles Pribilof dès mai, et le détroit de Béring en juin.
Le pack américain et est-asiatique
Le pack américain et est-asiatique, moins large mais plus dense, est exporté loin vers le sud grâce à des courants généraux peu perturbés par un précontinent étroit et plus profond. Le plus spectaculaire de ces courants de décharge est celui de l'est du Groenland, dont les eaux froides charrient des floes et des icebergs jusqu'à la hauteur de l'Islande à une vitesse variant de 0,1-0,4 (sur la plate-forme) à 0,7-1 km/h (sur les grands fonds). Au sud du cap Brewster, sous l'effet du courant d'Irminger, le pack s'effile, contourne la pointe du Groenland, puis remonte en baie de Baffin à une vitesse assez grande. Il en ressort par l'intermédiaire du courant du Labrador, qui draine des morceaux de pack arctique ayant franchi l'archipel canadien, et des icebergs qui vont porter leur menace saisonnière jusqu'aux abords de Terre-Neuve. Sur la côte pacifique de l'Asie, où le pack est autochtone et non alimenté par un émissaire arctique, la dérive atteint seulement Sakhaline, mais est cependant précédée par l'imposante escorte des glaces flottantes. Si les courants des marges occidentales des océans sont de grands transporteurs d'icebergs, il convient de souligner que ceux-ci ne représentent que le soixantième du volume du pack (cas de la mer du Labrador), et sont donc des phénomènes très localisés, qui n'ont pas l'importance de l'Antarctique.
Sur les eaux estivales dégagées de glaces, les perturbations atmosphériques provoquent un brassage actif des eaux de surface, qui s'accompagne d'un enrichissement en produits nutritifs alimentant un plancton presque exclusivement végétal (diatomées surtout), dont la prolifération grandit au fur et à mesure de la fusion de la banquise. Il est à l'origine d'une chaîne alimentaire de mollusques, crustacés et surtout de poissons (morue, haddock, flétan, hareng, saumon) et de mammifères marins (baleines, phoques), qui migrent vers le nord avec le retrait des glaces. Baleines et phoques, jadis abondants car protégés par la barrière du froid et des glaces, ont été pourchassés à outrance, et semblent, surtout pour la baleine franche boréale (Balœna mysticetus), en voie d'extinction.
2.3. La banquise permanente (ou pack)
La banquise permanente couvre la plus grande partie d'une vaste calotte (5 millions de kilomètres carrés) légèrement excentrée vers l'Amérique. Elle correspond aux régions les plus froides (moyennes d'été inférieures à 0 °C) et aux précipitations très médiocres : en hiver, les dépressions passent sur une banquise sans évaporation, où parviennent des vents continentaux secs ; en été, l'air plus humide ne peut être affecté d'aucune ascendance, car il est stabilisé à la base par refroidissement. La neige, peu abondante mais faite de petites aiguilles cinglantes, reste sans cohérence sur le sol, où les vents la modèlent en congères : en hiver, les rafales, qui ne dépassent que rarement 50 km/h, n'ont pas la violence des blizzards antarctiques ; en été, saison des calmes, la faiblesse et la variabilité des vents ne parviennent pas à chasser des brouillards épais de 100 à 200 m. Cette banquise (ou pack), qui ne peut fondre que partiellement, est donc formée d'une glace vieille de plusieurs années, épaisse de 2 à 3 m (en été) et de 3 à 4 m (en hiver). La perte superficielle (surtout par fusion) étant bien supérieure à l'apport neigeux, le pack connaît un renouvellement lent, à la manière d'un glacier continental : en été, par regel de l'eau de fusion infiltrée par les ouvertures ; en hiver par accrétion basale aux dépens de l'eau de mer superficielle.
À cette masse autochtone viennent se joindre des lambeaux de pack et des îles de glace comme celles que l'aviation américaine découvrit en 1946 en plein cœur du pack. Le déplacement de ces intrus, comme des bases scientifiques installées sur la banquise par les Soviétiques et les Américains, et des bateaux pris accidentellement (Jeannette) ou volontairement dans les glaces (Fram, Sedov) ont permis de comprendre le mouvement de rotation cyclonique de la banquise (à une vitesse variant entre 1 et 2 km par jour), mue par la dérive des eaux portantes, compliquée par des composantes de vents.
À cause de son âge, le pack est fait d'une glace solide, affectée cependant de fêlures provoquées par les mouvements différentiels de la dérive : elles sont rares au pôle, où la surface demeure plate, mais très fréquentes sur les bordures, où les collisions et les compressions aux fracas épouvantables engendrent un relief chaotique de crêtes et de murailles (hummocks ou toross), coupées de crevasses où les pionniers de la pénétration vers le pôle connurent un affreux calvaire. Les accumulations de glace les plus importantes sont situées au nord des îles, qui sont de véritables piliers sur lesquels elles viennent se bloquer. C'est dans ces régions que les ouvertures qui aèrent le pack (polynies ou leads) sont le plus étendues et le plus durables.
2.4. L'étude de la banquise
Aujourd’hui, l’Arctique fait l’objet, comme l’Antarctique, d’une surveillance attentive par les scientifiques, car les régions polaires jouent un rôle fondamental dans le système climatique mondial. L’eau stockée dans leurs énormes réserves de glace a des incidences considérables pour la planète entière. En raison de ses interactions avec l’océan et l’atmosphère, la banquise est très sensible aux changements climatiques ; le suivi de son état et de son évolution constitue donc un indicateur très précieux pour les prévisions des climatologues.
La fonte de la banquise en été
Depuis les années 1970, des satellites permettent d’observer et de contrôler l’étendue de la banquise et le volume des calottes glaciaires. D’année en année, la fonte de la banquise s’amplifie et son étendue, en été, ne cesse de se réduire. Alors que son étendue minimale était voisine de 6,5 millions de kilomètres carrés entre 1979 et 2000, elle a atteint, en 2012, le minimum record de 3,4 millions de kilomètres carrés, contre 4,2 millions de kilomètres carrés en 2007 et 4,52 millions de kilomètres carrés en 2008.
Ce recul spectaculaire de la banquise arctique, plus rapide que ne le prévoyaient les simulations climatiques, a été constaté aussi par la mission Tara-Damocles, dans le cadre de l’Année polaire internationale. Partie de Lorient en juillet 2006, la goélette Tara a dérivé dans les glaces arctiques pendant 507 jours, du 3 septembre 2006 au 21 janvier 2008, en parcourant plus de 5 000 kilomètres. La mission a permis d’observer non seulement le retrait de la banquise mais aussi d’autres phénomènes qui affectent celle-ci. La glace, en devenant plus fine, est devenue plus mobile et est donc entraînée plus facilement par les vents. Le bateau a ainsi été entraîné à une vitesse deux à trois plus rapide que ce qui avait été prévu. Alors qu’il devait dériver pendant deux ans, il est sorti de l’océan Arctique avec huit mois d’avance. Une autre constatation pu être établie : en vingt ans, l’épaisseur moyenne de la banquise a diminué de moitié, passant de 3 m à 1,5 m. Enfin, l’âge de la glace a diminué notablement, avec un recul très marqué des glaces pérennes.
3. Une région convoitée


L'importance stratégique de l'océan Arctique est apparue au cours de la Seconde Guerre mondiale et n'a cessé de croître avec le développement de l'aviation, des missiles et de la propulsion nucléaire sous-marine. L'analyse géopolitique de cette région doit tenir compte de caractéristiques très particulières : l'Arctique porte un océan fermé, autour duquel cinq États se font face, dont les deux plus grandes puissances militaires : la Russie (qui occupe près de la moitié de la surface terrestre arctique), les États-Unis, le Canada, le Danemark (Groenland) et la Norvège.
3.1. L'océan Arctique pendant la seconde Guerre mondiale
De 1941 à 1945, la route maritime du Nord allant d'Islande ou d'Écosse jusqu'à Mourmansk et à Arkhangelsk, en contournant le cap Nord, fut utilisée par les Anglo-Saxons pour venir en aide à l'U.R.S.S. Les convois subirent, surtout en 1942, de lourdes pertes du fait de la marine et de l'aviation allemandes basées en Norvège. Au total, 775 navires alliés (dont 78 furent coulés) transportèrent par la route de l'Arctique 4 300 000 t de matériel de guerre (sur les 17 millions de tonnes fournies au total par les Alliés).
3.2. Les « routes » arctiques
Les chenaux qui parcourent l'archipel du Grand Nord canadien constituent la voie de passage la plus courte entre le Pacifique et l'Atlantique. Mais la principale route navigable, le passage du Nord-Ouest, emprunte une voie entre les archipels canadiens et le continent américain. Côté russe, la route maritime du Nord-Est permet de relier Vladivostok à Mourmansk par le détroit, étroit et peu profond, de Béring, le seul passage entre l'Arctique et le Pacifique. Ces routes ne sont pourtant pas praticables en permanence : l'océan Arctique est en effet pris par les glaces pendant la majeure partie de l'année. En hiver, la banquise s'étend jusqu'aux terres continentales, et seule une partie des mers de Barents et de Kara ainsi qu'un étroit liseré côtier restent libres de glace.
Les puissants brise-glace permettent alors de naviguer dans cette zone. Russes et Américains se sont, en particulier, équipés de bâtiments à propulsion nucléaire (en 1977, le brise-glace soviétique Arctika parvenait jusqu'au Pôle), alors que les autres États qui disposent de droits territoriaux dans la zone arctique (ni la Suède ni la Finlande ne possèdent de débouchés maritimes sur l'Arctique) n'en sont pas dotés.
3.3. La route maritime du Nord-Est
La route maritime du Nord-Est joue un rôle économique majeur dans l'espace sibérien, qui se voit ainsi relié au Pacifique et à l'Europe. Elle est empruntée par des navires de minerais ou de gaz. Son influence pourrait grandir : pour relier les grands centres portuaires de l'Europe du Nord (notamment Rotterdam et Hambourg) aux grands centres économiques de l'est de l'Asie, chinois (Shanghai), japonais (Tokyo) et coréens (Pusan), elle pourrait devenir une route maritime concurrente de la route qui passe par le canal de Suez et traverse l'océan Indien, d'autant que de nombreux armateurs abandonnent le canal de Suez pour contourner l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Cet itinéraire par l'océan Arctique permet de gagner un tiers de distance par rapport au trajet par le canal de Suez, d'où un temps de transport plus court (20 jours contre 30 jours par le canal de Suez). Cependant, plusieurs éléments réfrènent l'utilisation de cette route maritime du Nord-Est : l'incertitude quant aux nombre de jours où elle serait utilisable dans une année, la vitesse réduite, l'obligation de renforcer les coques et un passage délicat entre la mer de Kara et la mer des Laptev, au sud de la Severnaïa Zemlia (Terre du Nord), par le détroit de Sannikov, qui limite la capacité des navires à 4 000 EVP.
3.4. Les revendications territoriales
La situation géopolitique de l'Arctique est rendue complexe par l'association des facteurs d'ordre à la fois politique, juridique, commercial et militaire. Le Canada et la Russie considèrent, par exemple, que leurs territoires respectifs se prolongent du continent au Pôle, englobant ainsi la plus grande partie du bassin arctique. Les autorités canadiennes se fondent sur la juridiction exclusive qu'elles exercent sur les îles arctiques situées au nord du 60e parallèle et sur leurs plateaux continentaux. Cette position soulève de nombreuses difficultés : d'une part, la limite même de ce plateau est sujette à discussion et, d'autre part, cette prétention territoriale aurait pour conséquence d'attribuer au Canada les ressources, qui restent à découvrir, de la région. Les États-Unis ne reconnaissent pas les thèses russes et canadiennes : ils ne disposeraient alors que d'un petit territoire au nord de l'Alaska. Contrairement au Canada, les États-Unis soutiennent, en outre, que le passage du Nord-Ouest doit demeurer voie internationale. En janvier 1988, un accord américano-canadien stipulait que Washington, tout en refusant de reconnaître la souveraineté canadienne sur ces eaux, acceptait de soumettre la circulation de ses brise-glace au consentement préalable des autorités d'Ottawa. De son côté, le gouvernement russe justifie ses prétentions par un décret de 1926 (pris à la suite du débarquement par l'Arctique, en 1918, de troupes en guerre contre les bolcheviks) qui étend sa souveraineté jusqu'au pôle Nord. Les Russes affirment, en outre, que les surfaces de banquises permanentes doivent être considérées comme terres fermes (malgré l'exploit de l'Arctika), ce qui leur permet d'inclure la voie maritime du Nord dans les eaux soumises à leur juridiction. La Russie est, par ailleurs, en désaccord avec la Norvège à propos de la délimitation de leur frontière maritime, les deux États revendiquant l'archipel de Svalbard, situé dans la mer de Barents. Si, dans tous les autres océans, les contentieux en matière de souveraineté portent sur l'espace compris au-dessus des plateaux continentaux, l'océan Arctique fait l'objet de discussions sur l'ensemble de sa surface (on atteint en effet le pôle Nord à pied...).
Derrière ces conflits juridiques se profilent des enjeux économiques très importants, susceptibles d'attiser de graves tensions internationales (l'Arctique recèle vraisemblablement d'importantes ressources minérales et énergétiques). Il s'agit aussi pour les États concernés de contrôler les voies de passage des navires commerciaux d'un océan à l'autre.
3.5. Une zone de navigation privilégiée pour les sous-marins
Dans le domaine militaire, l'Arctique est devenu un espace stratégique. C'est, en effet, la seule région du monde où la Russie et les États-Unis ne sont séparés que d'une centaine de kilomètres, par le détroit de Béring. D'autre part, les eaux situées sous la banquise abritent aujourd'hui une grande partie de la flotte de sous-marins à propulsion nucléaire. Dissimulés sous des mètres de glaces et évoluant dans les grandes profondeurs océaniques, ces engins sont pratiquement indétectables. Les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (S.N.L.E.), dont les missiles ont une portée supérieure à 4 000 km, sont susceptibles d'atteindre, à partir du bassin arctique, la Chine, l'Europe, le Japon, les pays de l'ex-URSS ou les États-Unis. La représentation cartographique de la Terre en planisphère fausse la perception des distances qui séparent, par exemple, la Russie des États-Unis ; les cartes projetant le pôle Nord au centre de l'espace arctique rendent compte d'une distance deux fois moins importante entre New York et Moscou.

 

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CICÉRON

 

 

 

 

 

 

 

Cicéron
en latin Marcus Tullius Cicero

Introduction
Un des plus grands noms de la Rome antique, Marcus Tullius Cicero doit cette notoriété à l'étendue et à la variété de son œuvre : des discours d'une brûlante actualité ; une volumineuse correspondance où il commente au jour le jour son action publique, se livre lui-même tout entier, avec ses scrupules, ses incertitudes ; des écrits théoriques où il s'efforce de définir les fondements moraux et métaphysiques de son activité quotidienne. Il est le témoin, l'un des principaux acteurs, il fut enfin l'une des victimes de cette grande mutation qui chez les Romains aboutit alors- pour la première fois, semble-t-il, dans l'histoire humaine- à la constitution d'un État de type moderne, gouverné, administré par des hommes susceptibles de se sentir responsables, voué en principe au bien commun. Enfin, Cicéron est un des hommes de l'Antiquité sur lesquels nous pouvons de façon directe, immédiate, savoir le plus de choses ; en sa personne nous arrivons à voir vivre pendant une trentaine d'années un de nos congénères d'il y a deux mille ans : nous lisons ses lettres, nous entendons sa parole ; c'est une rencontre qu'il n'est pas donné de faire bien souvent.


Premières expériences (106-82 avant J.-C.)
Il est originaire d'Arpinum, petite ville des Volsques, aux confins du pays marse, dans les contreforts de l'Apennin. Depuis 188 avant J.-C., les citoyens d'Arpinum sont Romains de plein droit et participent aux élections de Rome ; mais, si loin malgré tout de la capitale- une centaine de kilomètres-, ils consacrent à leur vie locale une bonne part de leurs activités. Même quand il sera devenu le premier citoyen de Rome, Cicéron se sentira toujours un « provincial », lié de cœur aux intérêts et traditions de la petite bourgeoisie des municipes, un étranger vis-à-vis des grandes familles de la noblesse romaine, mais plein de réserve aussi et parfois désarmé devant l'impulsivité, la versatilité des foules urbaines.
Nous arrivons à entrevoir à travers les propos de son petit-fils la personnalité du grand-père de l'orateur. Un homme à l'ancienne mode, batailleur et processif, lié d'amitié ou en rapports d'estime avec M. Aemilius Scaurus, alors prince du sénat. La famille est de rang équestre, ce qui implique la possession d'une certaine fortune et une respectabilité qui, lors des recensements, rend possible l'inscription parmi les chevaliers romains. À la fin du iie s. avant J.-C., le grand homme d'Arpinum est Marius, homme de guerre remarquable qui vient presque simultanément de débarrasser les Romains des menaces qui pesaient sur leurs villes en Afrique (guerre de Jugurtha) et dans la plaine du Pô (invasion des Cimbres et des Teutons) ; avant de se laisser griser par ses succès et ses ressentiments, se faisant le protagoniste d'une abominable guerre civile, Marius lui aussi a commencé sa carrière dans le sillage de ces Romains éclairés, les Metelli, Scaurus, qui dans une cité divisée par l'assassinat de Caius Gracchus (121 avant J.-C.) essaient de refaire une unité nationale avec les chevaliers, la bourgeoisie des municipes et la partie la plus progressiste du sénat. Il apparaît aujourd'hui, beaucoup mieux qu'on ne le comprenait naguère, que Cicéron dans sa carrière a prolongé des traditions politiques d'origine locale et même familiale ; la connaissance de ces traditions restitue à son action une unité, une continuité qu'on a parfois méconnues.
Le prestige du grand-père- le père, homme malade, semble avoir eu une personnalité moins marquée-, la gloire qui rejaillit sur Arpinum du fait des succès de Marius, des liens de parenté avec quelques-uns des personnages les plus considérés de Rome, la pente qui portait vers le sénat les chevaliers d'origine municipale expliquent les études romaines et les premières ambitions de Cicéron. Techniquement, sa carrière sera celle des personnages qu'il a, tout jeune encore, choisis pour ses modèles, les orateurs M. Antonius et L. Crassus, ceux mêmes qu'il a fait revivre avec tant d'intensité comme interlocuteurs de son De oratore. Hommes qui, d'origine, n'appartiennent à aucun clan, ne peuvent compter sur aucune clientèle héréditaire mais à qui leur autorité morale et leur éloquence ouvrent la voie des magistratures. Hommes nouveaux, comme on les appelait à Rome. Politiquement, ils apportent dans les combinaisons étouffantes d'une démocratie urbaine à son déclin un peu d'air et d'humanité.
Pourtant, lorsqu'il doit se choisir un maître suivant l'usage des apprentis de ce temps, Cicéron (qui a pris la toge virile le 17 mars 90 avant J.-C.) ne s'adresse pas à un orateur mais à un juriste, un très vieil homme, Quintus Mucius Scaevola l'Augure (consul en 117 avant J.-C.), et il confirmera ce choix quand, après la mort de l'Augure, il se fera disciple d'un autre Quintus Mucius Scaevola, juriste lui aussi, et qu'on appelait le Pontife. Cicéron a toujours été féru de droit et il n'a cessé de défendre les études juridiques contre ceux qui les tenaient pour mineures. C'est qu'à cette époque et dans la cité romaine le droit n'est pas ce qu'il est devenu dans nos cultures de plus en plus différenciées en sciences plus spéciales. Il n'est pas affaire seulement de murs mitoyens, de règlements électoraux ou d'arguties constitutionnelles ; il touche à la religion et, comme elle, à toute la vie, tant publique que privée. Cicéron dira un jour qu'il est le lien de toutes les vertus jusqu'aux plus désintéressées. Précisément les Scaevola, dont l'un avait été l'élève du philosophe Panaitios, avaient entrepris de dominer, d'organiser en un corpus l'immense matériel formellement assez incohérent des traditions juridiques romaines. Cela ne pouvait se faire qu'en dégageant des idées maîtresses, des principes. À partir de données très concrètes, sédiments d'une expérience sociale séculaire, une réflexion ainsi menée s'acheminait naturellement vers l'élaboration d'une philosophie politique.
Dans la maison des Scaevola se prolongeaient certains souvenirs de générations plus anciennes. L'Augure avait épousé une fille de C. Laelius, l'ami intime de Scipion Émilien. C'est là que Cicéron a été introduit dans l'admiration de ce grand homme (mort en 129 avant J.-C.), familier de Térence et de Polybe, vainqueur de Carthage et de Numance, un des Romains de l'ancienne République qui, par son humanité, son sens des réalités italiennes, son intuition de la vocation universelle de Rome, l'étendue de sa culture, annonce le mieux l'empereur Auguste. Cicéron en fera le protagoniste de son traité De republica.
La guerre civile, lors des premiers mois de 87 avant J.-C., vient surprendre le jeune Cicéron au milieu de ces études. Guerre absurde, née tout entière de l'ambition déçue du vieux Marius, mais où se compromit sans doute définitivement la cause du sénat, parce que, en défendant l'ordre légal et la survie même du peuple contre un trublion que l'ivrognerie avait fini par rendre fou, les Patres et ceux qui se regroupèrent autour d'eux finirent par prendre figure de conservateurs et d'ennemis du peuple. Tandis que l'armée de Sulla repousse loin des terres grecques et romaines les entreprises sanguinaires de Mithridate, les populares, triomphant dans une Italie vide de troupes, pillent et massacrent. Pendant quatre ans, ils seront les maîtres. Tristes temps, où Cicéron voit égorger les meilleurs de ceux qu'il vénère ; il s'en souviendra toujours avec horreur : l'adversaire futur de Catilina, de César et d'Antoine a fait de bonne heure l'expérience de la tyrannie. À cette date, sa jeunesse, son insignifiance eussent ôté toute signification à des velléités d'opposition politique ; nous voyons même qu'en 83 avant J.-C. il participe à la création d'une colonie marianiste à Capoue. Mais l'essentiel de son soin, il le donne à la lecture et à l'étude. C'est alors qu'il compose son premier ouvrage, un traité de rhétorique où il est surtout question de la diversité des connaissances nécessaires à l'orateur pour qu'il en nourrisse ses discours : on l'appelle pour cette raison le De inventione.

Les grands succès oratoires (82-63 avant J.-C.)
Le retour de Sulla signifie le retour à la vie civilisée (novembre 82 avant J.-C.). Le premier discours de Cicéron, sur une affaire d'héritage, Pro Quinctio, passe sans doute à peu près inaperçu ou ne retient l'attention que de rares connaisseurs. Mais dès le second, Pro Roscio Amerino (80 avant J.-C.), l'orateur s'impose, et c'est le grand succès. Le jeune avocat y parle en effet avec la courageuse indépendance qui est celle du jugement moral et qui fera toujours sa force. Il s'agissait de défendre Sextus Roscius contre un gredin- nul n'en doute- qui avait réussi à s'insinuer dans l'entourage et la confiance de Sulla. D'autres eussent hésité ; mais ils ont peut-être encouragé Cicéron, sûrs précisément de sa loyauté à l'égard de la noblesse et qu'en dénonçant un abus il ne se laisserait pas glisser à dénigrer un régime auquel, pour l'instant, Rome devait la paix.
On s'est étonné qu'après un succès qui ouvrait devant lui les plus belles espérances Cicéron ait brusquement quitté Rome pour entreprendre un voyage en Grèce qui durera deux ans (79-77 avant J.-C.). Il faut l'en croire quand il nous dit que sa santé avait fléchi ; il voyait le moment où ses forces ne suffiraient plus à l'extraordinaire dépense physique entraînée par l'éloquence du type traditionnel. Il est allé en Grèce pour refaire sa santé, pour apprendre auprès de rhéteurs exercés les techniques d'une éloquence plus sobre, mieux adaptée à ses moyens. Il en a profité aussi pour des contacts avec les maîtres de la philosophie vivante, complément indispensable de ses studieuses lectures romaines.
Quand il revient à Rome, il est mûr pour la grande aventure d'une carrière politique. À la fin de 76 avant J.-C., il est élu questeur en résidence à Lilybée, chargé de l'administration financière de la Sicile occidentale. Ces fonctions, si différentes de ce dont il s'était jusqu'alors occupé, paraissent l'avoir amusé : il avait une extraordinaire facilité d'adaptation, appartenant à ces esprits qui sont toujours heureux de faire un peu de bien, de mettre un peu d'ordre, sur quelque plan que ce soit. Il ne se doutait pas que cette excursion sicilienne serait pour lui de si grande conséquence.
Le sort voulut en effet qu'au cours des années suivantes l'administration de l'ensemble de la Sicile échût à un homme rapace et négligent, C. Verrès. Dès novembre 72 avant J.-C., les plaintes commencent à affluer devant le sénat. La conviction des sénateurs fut bientôt faite sur la réalité des faits incriminés. Mais la majorité d'entre eux aurait souhaité éviter un scandale et remettre au successeur de Verrès le soin de réparer les injustices commises. D'autres, au contraire, pensaient qu'en dépit de leur bonne volonté les sénateurs n'arriveraient jamais à prendre sur eux de condamner l'un des leurs : il fallait les décharger de ce pouvoir exorbitant et les mêler dans les jurys à des citoyens issus d'autres classes. Chacun savait que c'était l'opinion des deux hommes qui devaient être consuls en 70 avant J.-C., Pompée et Crassus. C'est dans ce contexte politique que les Siciliens, désespérant d'obtenir justice par eux-mêmes, se souvinrent du questeur si honnête qu'ils avaient connu quelques années auparavant.
Cicéron se chargea de leurs intérêts, comme il s'était chargé de ceux de Roscius, avec sa spontanéité coutumière. Il était heureux de défendre une cause juste ; il avait conscience, lui, sénateur plaidant devant les sénateurs, de défendre l'honneur de son ordre, compromis aussi bien par la lâche indulgence d'un grand nombre que par les égarements d'un seul. Les prolongements politiques du procès n'étaient pas pour lui déplaire. Homme d'espérance, il ne pensait pas que les lois d'exception instituées par Sulla pour concentrer tout le pouvoir aux mains du sénat dussent indéfiniment rester en vigueur. Il imaginait une république plus saine, sans doute, qu'elle n'était vraiment. Il n'avait jamais aimé les castes trop restreintes ; il pensait que ce serait un bien pour tous si cette classe équestre dans laquelle il était né pouvait être associée de plus près aux responsabilités de l'État. De fait, quelques mois plus tard, une réforme judiciaire fut instituée, mais la condamnation et l'exil de Verrès avaient sauvé l'honneur de la justice sénatoriale.
Pour un homme politique du caractère de Cicéron, c'est une épreuve redoutable que de tomber dans une situation où l'on doit, coûte que coûte, défendre telles qu'elles sont les institutions qu'on tient pour indispensables. Cicéron était de ceux qui spontanément se donnent tort à eux-mêmes et à ceux qu'ils aiment, avouent leurs faiblesses et leurs fautes. Ses principaux actes politiques avaient été pour critiquer le régime sullanien, l'omnipotence du sénat ; alors que tous ses sentiments, sa manière d'être même le liaient aux classes responsables, on aurait pu le prendre pour un faux frère, un démocrate masqué. Et il est bien vrai que dans le procès de Verrès en particulier les dénonciations qu'il avait faites d'abus scandaleux pouvaient affaiblir le prestige du sénat. Parmi ceux qui l'applaudissaient, beaucoup songeaient à se servir de lui, de sa générosité, non pas afin de corriger des abus dont ils n'avaient cure, mais pour semer le trouble, discréditer un régime, prendre eux-mêmes le pouvoir. Cicéron en eut un jour brusquement la révélation ; il sut alors se retourner, faire face vaillamment, se défendre, défendre l'État à fond : ce fut l'affaire de Catilina, si importante dans le décours des dernières années de la République et qui marqua, dans la carrière de Cicéron, une inflexion décisive.
En 70 avant J.-C., on avait cru revenir heureusement aux traditions républicaines en restituant le tribunat de la plèbe, jadis supprimé par Sulla. Autour de cette magistrature devenue totalement anachronique dans une cité où depuis des siècles toute distinction avait été effacée entre le patriciat et la plèbe, un nouveau parti démocratique se constituait progressivement ; son programme était resté le même qu'au temps des Gracques : abolition des dettes, partage des terres, c'est-à-dire attribution arbitraire, à des citadins pauvres, de terres dont on dépouillait en fait les exploitants locaux, Italiens et provinciaux. L'âme du parti était un neveu de Marius, Jules César ; mais, en attendant mieux, on poussait en avant un aristocrate déchu, criblé de dettes, L. Sergius Catilina (108-62 avant J.-C.). En 64 avant J.-C., il parut possible de le hisser au consulat (pour 63 avant J.-C.), mais Cicéron fut élu, contre lui. Les populares essayèrent d'abord de prendre leur revanche sur le plan politique en embarrassant le nouveau consul dans des querelles rétrospectives (procès de C. Rabirius) ou dans des affaires de corruption électorale (procès de Murena), puis ils déposèrent un projet de loi agraire dont on espérait bien faire le principe d'une brouille entre le peuple et lui. Cicéron déjoua ces astuces avec l'aisance et l'autorité que lui donnaient son prestige d'orateur et son indépendance d'esprit.
En juillet 63 avant J.-C., Catilina décida de recourir aux grands moyens, insurrection armée, émeutes, assassinats ; des incendies simultanément allumés dans tous les coins de Rome créeraient une panique favorable à la réalisation du dessein des conjurés. Ils avaient des intelligences dans beaucoup de milieux. Cicéron se conduisit alors avec le savoir-faire d'un avocat habitué à rassembler des renseignements. Il sut reconnaître l'importance de ce que d'autres eussent dédaigné comme vaines rumeurs. Jetant dans la balance le poids de sa parole, il réveilla, convainquit ses auditeurs. Les discours (les Catilinaires) qu'il prononça en ces circonstances (novembre-décembre 63 avant J.-C.) devant le peuple et le sénat sont des chefs-d'œuvre d'adresse politique ; Catilina, désemparé par une violence verbale presque torrentielle, perdit pied, quitta Rome où il eût été, faute de preuves positives, à peu près inviolable et signa l'aveu de son crime en rejoignant en Etrurie une armée insurrectionnelle. Quelques jours plus tard, les principaux de ses complices restés à Rome se trahirent eux-mêmes par l'envoi de messages imprudents. Le sénat confia à Cicéron mission de défendre la République ; Cicéron les fit exécuter. C'était sans doute outrepasser la limite des pouvoirs que la tradition romaine attribuait à un consul ; quand il sortit de charge, Cicéron, invité, selon l'usage, à jurer qu'il n'avait en rien attenté aux lois de la cité, préféra jurer qu'il avait sauvé la République. Fière parole, qu'il paya un peu plus tard (en 58-57 avant J.-C.) de dix-huit mois d'exil.
Pourtant, la fermeté de Cicéron venait de procurer à Rome quinze ans de paix civile. Le parti populaire, sous la forme révolutionnaire qu'il avait connue depuis les Gracques, était définitivement enterré. César n'en reprendra quelque chose que quinze ans plus tard, en 49 avant J.-C., mais agissant en son nom propre, sans plus se réclamer d'un parti, et en ouvrant une nouvelle ère de guerres civiles.


L'époque de la réflexion (63-49 avant J.-C.)
Cicéron a toujours considéré l'année de son consulat comme une année très importante de l'histoire de son pays, et comme le sommet de sa destinée personnelle. Il avait raison. Mais ce fut aussi le terme de sa carrière politique : dans l'époque qui commence ensuite, il n'a plus sa place. Il pouvait se faire entendre dans une assemblée, voire dans des assemblées très différentes, peuple, sénat, jurés, tribunaux : il inspirait confiance, il entraînait ses auditeurs par sa générosité et sa conviction. Les vingt années qui ont suivi le retour de Sulla étaient en somme favorables à une action de ce style. Mais à partir de 63 avant J.-C., dans une cité où s'affrontent deux ou trois hommes sourds à toute autre voix que celle du lucre ou de l'ambition, il est désarmé, parce qu'il n'a pas de clientèle à lui, pas d'armée, et qu'il est, relativement aux autres protagonistes, pauvre. Entre un Crassus fort de son incalculable richesse, un Pompée auréolé de ses victoires en Asie, un César qu'appuiera bientôt l'armée des Gaules, il ne peut presque plus rien. Pour ces hommes qui essaieront naturellement de s'accorder, en attendant, chacun, le moment de dévorer l'autre, il est le gêneur, l'irréductible, celui qui refuse d'entrer dans le jeu.
Il aurait pu renoncer à toute vie politique. Il ne l'a pas fait parce qu'il tenait à ses idées, parce que de loin en loin un succès oratoire, des manifestations populaires de fidélité lui donnaient l'impression que sa vie n'était pas complètement finie. Là encore, il voyait juste, tout en s'exagérant sans doute un peu ses possibilités d'action. Les attentions de Pompée, de César à son endroit montrent bien que les plus puissants ne tenaient pas à l'avoir trop visiblement contre eux. D'ailleurs, il n'arrivait pas à concevoir qu'ils étaient en réalité ennemis de toutes les valeurs auxquelles lui-même il tenait. Il admirait certaines parts de leur œuvre et notamment ces grandes entreprises de conquête qui, en Asie, en Gaule, faisaient tant pour la gloire du nom romain. Parfois, il se demandait si, laissant à ces hommes de proie le devant de la scène, il ne pourrait pas les inspirer, guider leurs entreprises.
Une attitude de ce genre ne peut être au principe d'un comportement politique bien rectiligne. Cicéron fait parfois ce qu'on croit qu'il ne fera pas. Il a soutenu habituellement Pompée, le moins dangereux ; il n'a jamais rompu avec César ; souvent il s'est reproché de chanter des palinodies. Au moment où il s'engage publiquement d'un côté, nous voyons dans ses lettres que son cœur penche en fait pour l'autre. Rien de vil dans tout cela ; mais des alternatives d'espoir, de nonchalance ou de découragement, une certaine capacité de se griser, à demi consciemment, de ses propres paroles. Sa vanité, tant brocardée par les modernes, nous apparaîtrait sous un jour différent si nous reconnaissions qu'elle témoigne, d'une certaine manière, pour les valeurs spirituelles qu'il a conscience de représenter (raisonner, avoir raison, persuader) face aux tenants du droit de l'épée. Cicéron était aussi très impressionnable, de ceux qui gardent indéfiniment leur aversion à ceux qui les ont personnellement blessés, comme ils restent fidèles d'ailleurs à ceux qui, dans une passe critique, leur ont marqué de l'amitié. De là des invectives furibondes, souvent injustes, à l'égard des responsables de son exil (Clodius, Pison) ou l'exaltation d'amis assez médiocres comme P. Sestius ou Milon.
Dans ces années d'une lutte inégale, le meilleur de son activité est donné à la composition d'œuvres de réflexion, le De oratore (55 avant J.-C.), le De republica (54-51 avant J.-C.), le De legibus (52 avant J.-C.), auxquelles on joindra le discours Pro Sestio (56 avant J.-C.).
Les ouvrages théoriques de Cicéron se présentent ordinairement sous la forme d'entretiens dialogués. Cicéron, sans nul doute, a voulu rappeler Platon, mais sa formule est plutôt celle qu'avaient mise en œuvre les successeurs d'Aristote et les philosophes de la Nouvelle Académie. Il s'agit de conférences entre des personnages particulièrement qualifiés et derrière lesquels l'auteur s'efface. Point de Socrate ici qui domine de haut ses interlocuteurs ; quand l'œuvre s'achève, on ne peut pas toujours dire qu'une thèse a été établie, mais le problème dont on a débattu a été élargi, il est mieux éclairé ; à chaque lecteur, s'il le peut, d'aller un peu plus loin. Les personnages mis en scène sont assurément moins primesautiers que ceux des dialogues platoniciens, mais ils ne sont pas moins vrais. Cicéron nous introduit dans une société hautement civilisée, où même entre amis la conversation garde toujours une certaine tenue, où l'on n'hésite pas à exposer un peu longuement sa pensée parce qu'on sait le partenaire capable de la suivre sans ennui ni fatigue. Il a déployé beaucoup d'art pour donner à chacun son visage personnel ; il eût d'ailleurs été surprenant que l'orateur, si habile à portraiturer amis et ennemis, clients et comparses, manquât ici de sens psychologique.
Presque tous ces livres ont été écrits très vite, comme peut le faire un praticien de la parole publique mais aussi un homme dont la vie intérieure est d'une extraordinaire richesse et qui vit constamment en dialogue avec lui-même. Certaines pages semblent reprises d'un auteur plus ancien, un classique de la philosophie ou un des maîtres de la génération précédente. Mais, quand une comparaison est possible entre Cicéron et telle de ses sources présumées, il apparaît presque toujours combien on s'égarerait en faisant de lui un élève docile ou un adaptateur indifférent. On ne comprend vraiment ces livres qu'à partir du moment où l'on discerne pourquoi Cicéron a eu envie de les écrire ; ils se rapportent à des problèmes que son action, son expérience politique ont suscités devant lui. Ce n'est pas d'une tradition d'école qu'il reçoit l'objet de ses recherches ; la référence aux sources doctrinales ne vient qu'en un second temps.
Le cas est particulièrement net pour le De oratore. L'ouvrage contient des pans entiers dont on retrouve l'équivalent chez les Rhetores graeci. Mais un théoricien de l'art du bien-dire, un vrai pédagogue, comme voulut être Quintilien, serait mieux ordonné, plus aisément exploitable. À prendre l'œuvre comme un traité de rhétorique, on ne peut manquer de penser que Cicéron nous égare dans l'immensité d'un programme sans limites. Son orateur idéal paraît l'idéal même de l'homme complet, et alors pourquoi avoir choisi de l'appeler orateur plutôt que légiste ou philosophe ? C'est qu'il a essayé de décrire ici le type d'homme qu'il voulait être, un homme dont la vocation, certes, est bien universelle, mais dont le seul instrument pour agir est la parole ; il appellera donc son livre De l'orateur. Cette perspective, très personnelle, explique également certaines lacunes : il existe dans la tradition platonicienne une critique de l'éloquence, indifférente à la vérité, dispensatrice d'opinions, souvent maîtresse d'erreur et corruptrice ; seul le philosophe qui renonce à vouloir plaire mérite d'être cru. Cette problématique est à peu près étrangère à Cicéron. C'est que, dans la Rome où il réfléchit, les périls viennent d'ailleurs, de l'or, du prestige militaire ; le seul contrepoids possible, c'est l'éloquence précisément, l'éloquence qui, aux yeux de Cicéron, s'incarne en un Cicéron sûr de l'honnêteté de son cœur. Le problème du démagogue à la mode athénienne n'existe pas pour lui.
La République de Platon était une utopie conduite d'une manière déductive à partir d'une anthropologie ; la société y est évoquée comme une projection agrandie, une illustration de ce qui est dans l'homme. La République de Cicéron est une réflexion sur l'histoire romaine ; elle met en scène Scipion Émilien dialoguant avec des amis, en 129 avant J.-C., à une date où Cicéron lui-même n'était pas encore né. La restitution certes n'est pas pure fantaisie ; mais, entre un passé admiré et les problèmes actuels, une piété intelligente a tissé tant de liens qu'on ne sait plus très bien qui parle, des gens d'autrefois ou de l'homme d'aujourd'hui. S'inspirant de l'exemple d'Émilien, Cicéron y définit les caractères d'un nouveau type d'homme d'État : à l'intérieur du corps uni des sénateurs et des chevaliers, il faut qu'apparaissent des principes (les premiers), peut-être un princeps, dont l'autorité réduirait les antagonismes de classes et de personnes, cimenterait l'entente de tous. Hors de toute magistrature définie, sans pouvoirs réguliers, par leur seule autorité personnelle. Sans de tels hommes, ou un tel homme, les forces de division l'emportent inévitablement. Cicéron n'a sans doute jamais cru qu'il pouvait, lui seul, tenir ce rôle ; à Rome, l'autorité, même morale, suppose un prestige militaire qu'il n'a jamais eu. Mais il a dû penser un moment que Pompée pourrait être ce rassembleur, cette clé de voûte de la cité. En fait, l'homme, pas assez intelligent, lui manqua, et ce fut l'échec des espérances de Cicéron, comme la fin de la république. Pour que quelque chose puisse renaître à Rome, il faudra attendre que l'emploi, à peu près tel que l'avait conçu Cicéron, trouve un jour son titulaire : ce devait être l'empereur Auguste.
Assurément, le personnage d'un princeps dans un régime organisé en classes (peuple, chevaliers, sénat) aboutit à les dévaluer quelque peu. La pensée de Cicéron dépasse les cadres de la république sénatoriale à un moment, il faut bien le dire, où le sénat, désemparé par la montée des généraux, n'est plus à la hauteur de sa tâche. La théorie de cette nouvelle république est faite dans le Pro Sestio : l'assiette de l'État n'est plus, comme au temps des Verrines, ou des Catilinaires, la Concordia ordinum, l'entente des sénateurs et des chevaliers, mais « l'accord de tous les gens de bien », consensus bonorum omnium. On peut trouver que la définition de ces boni viri est parfois un peu vague. Mais le vague n'est sans doute que dans les mots ; dans la réalité, ils formaient un ensemble suffisamment concret et reconnaissable pour que ses adversaires le désignent comme une caste (nationem). Comme il arrive si souvent dans les périodes troublées, les gens sérieux, les hommes de caractère émergeaient, se faisaient reconnaître les uns des autres, au-delà de toute définition sociologique et idéologique.
Les derniers combats (49-43 avant J.-C.)
Mais, dans une république sans tête, la paix de la cité n'est jamais que précaire. En marge des efforts de Cicéron, Pompée (qui lui échappe, même quand il feint de vouloir s'appuyer sur le sénat) et César (qui pousse son jeu à peu près seul, comptant sur sa seule armée) se laissent acculer, au terme d'intrigues incohérentes et aveugles, à une guerre de grande envergure. En janvier 49 avant J.-C., César franchit le Rubicon ; il entre dans Rome les armes à la main. Pompée se retire en Grèce pour épargner la guerre à l'Italie, pour attirer César loin de ses bases et l'affaiblir. Cicéron, avec la plus grande part du sénat, s'est joint à lui. Le plan stratégique pouvait réussir ; une bataille unique, dans la plaine de Pharsale en Thessalie, le fit s'effondrer d'un seul coup (48 avant J.-C.).
Cicéron était à Thessalonique quand lui parvint la nouvelle du désastre. Deux mois plus tard, bravant les ordonnances équivoques et cauteleuses de César, il rentrait en Italie. Au péril de sa vie, certes, mais comptant qu'on n'oserait pas le faire tuer. En octobre 47 avant J.-C., il était revenu à Rome.
L'optimisme, comme si souvent chez lui, avait repris le dessus. Fort de ce qui lui restait d'autorité morale, il semble avoir conçu le dessein de « réconcilier » avec César le plus grand nombre possible des hommes du parti que Pompée avait entraîné dans sa défaite. Ainsi, le vide politique dans lequel le dictateur songeait à établir son pouvoir absolu eût été rapidement comblé, et les périls de tyrannie, contenus. Cette politique fit long feu, et Cicéron s'en aperçut bien vite : César n'était pas homme à se laisser investir. Nous pouvons lire deux discours prononcés à la fin de 46 avant J.-C., le Pro Marcello, le Pro Q. Ligario. Ce sont des textes étranges : on a beau se dire que sous certains régimes tous les moyens sont bons qui peuvent soustraire un accusé à la rancune d'un maître tout-puissant ; on a beau se dire que le meilleur moyen de désarmer un dictateur peut être de faire devant lui l'éloge de sa clémence pour l'obliger à se montrer ressemblant au portrait, ces discours laissent une impression de malaise, surtout quand on lit dans la correspondance ce qu'étaient les véritables sentiments de l'orateur. À la décharge de Cicéron, il faut dire qu'en 46-45 avant J.-C. d'autres malheurs fondent sur lui ; après trente ans de mariage, il se sépare de sa femme pour convoler avec une jeunesse, aux sourires attristés de tous ses amis ; trois mois plus tard, il perd une fille tendrement aimée. Le vieil homme a l'impression que de sa vie ne restent plus que des décombres. Jamais il ne s'est senti si seul et si inutile.
Comme il avait déjà fait après son exil, il se tourne une seconde fois vers la philosophie pour y retrouver assurance et consistance. Mais ce ne sont plus tout à fait les mêmes problèmes qui le requièrent ; la politique y cède le pas à la morale et à la métaphysique. Il écrit coup sur coup trois œuvres maîtresses : sur les fins de l'action humaine (De finibus) ; sur les devoirs (De officiis) ; sur le bonheur et l'immortalité de l'âme (Tusculanae Disputationes). Œuvres littérairement inférieures à celles de la première période. On ne peut échapper à l'impression que Cicéron se hâte de mettre de l'ordre dans ses idées, transcrivant des pages entières d'auteurs où il croit découvrir ce qu'il cherche, visant surtout, pour les points essentiels, à établir des certitudes ; d'où une obstination têtue, et qui semble ne pas reculer devant le sophisme, pour tenir avec les stoïciens les plus extrémistes que la vertu suffit à faire le bonheur de l'homme ou, au-delà même des affirmations platoniciennes, que l'âme est sûrement immortelle. On comprend bien qu'à ce moment de sa vie de tels problèmes n'ont pas seulement pour lui un intérêt académique. De même les problèmes religieux : trois livres sur la nature des dieux, deux sur la divination ; le point capital est de savoir s'il existe une Providence, si les dieux s'occupent des hommes. En ces domaines, les curiosités de Cicéron, ou ses inquiétudes, se sont éveillées un peu tard ; il ne peut donc nourrir ces traités de la riche expérience intérieure qui le rend souvent si profond quand il parle de la morale, ou du fondement du droit, ou de l'essence du lien social. On le trouve ici superficiel assez souvent et un peu scolaire. Sachons lui gré cependant d'avoir écrit les seuls traités de théologie que nous ait laissés l'Antiquité classique ; pour l'histoire des idées, pour l'histoire des religions, ils constituent un trésor de documents presque inépuisable.
C'est encore dans ces temps douloureux que Cicéron- telle était sa gaieté, sa vitalité foncière- a écrit, pour deux petits traités, l'un sur la vieillesse et l'autre sur l'amitié, ses pages les plus lumineuses et les plus sereines. Ce n'est pas sans raison qu'on les proposait jadis aux enfants, au début de leurs études, comme le visage le plus souriant de la sagesse antique. Le De amicitia a d'autres titres à notre attention : transposée en théorie du pur amour, la thèse cicéronienne d'une amitié désintéressée qui ne se propose d'autre fin qu'une communication spirituelle et le resserrement d'un lien de nature a exercé sur le Moyen Âge et, à travers les docteurs médiévaux, sur la pensée moderne, une influence considérable.

Pourtant, le vieil homme ne devait pas mourir dans son cabinet la plume à la main. L'assassinat de César en plein sénat, le 15 mars 44 avant J.-C., lui avait brusquement rendu tous ses espoirs ; ses lettres, ses discours contre Antoine (les Philippiques, ainsi nommées en souvenir des invectives de Démosthène contre Philippe de Macédoine) nous permettent de suivre, presque jour par jour, une année d'activité intense où il essaie successivement toutes les voies du salut. D'abord le rétablissement de la république par la réconciliation du parti césarien (Antoine notamment) avec le sénat. Puis, quand la tâche se montre impossible, il essaie d'isoler Antoine, de tourner contre lui le jeune Octave, héritier et neveu du dictateur. Hésitations, espoirs, fureurs, tentations lancinantes de partir pour la Grèce afin de tout oublier, mais en définitive un engagement plus héroïque encore qu'au temps de Catilina. Comme finalement la cause qu'il défendait a été vaincue, on s'accorde à penser qu'il a pour l'heure manqué de jugement politique ; peut-être, dans le droit fil de toute sa vie, a-t-il, ce faisant, témoigné pour la réalité de valeurs d'un autre ordre.
En novembre 43 avant J.-C., Octave et Antoine, se sentant conjointement menacés par le rassemblement des armées que Brutus et Cassius levaient en Macédoine et en Asie, décidèrent de s'allier. Avant de quitter l'Italie pour aller affronter leurs adversaires, ils voulurent faire place nette. Des listes furent dressées de ceux qu'ils tenaient pour susceptibles de les inquiéter. Cicéron n'y fut pas oublié. Il s'attendait un peu à cette fin. Une fois de plus, il songea à partir ; il s'embarqua, mais ne put supporter en pareilles circonstances de voir disparaître à ses yeux « la terre de cette patrie qu'il avait plusieurs fois sauvée ». Le navire revint à la côte. On n'était pas allé bien loin, jusqu'à Gaète. Les assassins dépêchés par les triumvirs le rejoignirent aisément, le 7 décembre 43 avant J.-C. La tradition rapporte qu'Antoine fit exposer sur la tribune du Forum sa tête et ses mains sanglantes.

 

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