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LA GRAVITATION |
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LA GRAVITATION : HISTOIRE ET PROBLÈMES ACTUELS
Conférence donnée le 4 novembre 2003 par Luc Blanchet, physicien théoricien au GReCO-IAP. La relativité générale, créée en 1915 par Einstein, est issue d'une combinaison remarquable du principe de relativité, qui stipule l'invariance des lois de la physique dans les changements de repères inertiels (les lois sont les mêmes dans le train à grande vitesse et sur le talus immobile le long des rails), et le principe d'équivalence exprimant la fameuse égalité de la chute des corps (une plume tombe à la même accélération qu'une bille de plomb dans le champ de gravitation). Le pulsar binaire PSR 1913+16, un pulsar en orbite autour d'une autre étoile à neutrons, a montré l'existence d'une prédiction de cette théorie : les ondes gravitationnelles, que forme le champ de gravitation en se déplacant à la vitesse de la lumière. Les expériences VIRGO et LIGO vont permettre d'observer directement ces ondes, émises par des systèmes d'étoiles à neutrons ou de trous noirs doubles, au moment de leur fusion finale pour former un trou noir. La dynamique de ces systèmes se déduira de la comparaison avec la théorie dans ce qu'elle a de plus "pur" : le problème du mouvement gravitationnel de deux corps.
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L'UNIVERS ÉTRANGE DU FROID |
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Texte de la 228e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 15 août 2000.
L'Univers étrange du froid : à la limite du zéro absolu
par Henri Godfrin
Température et intuition...
Qu'est-ce que le froid ? Nous avons tous une réponse à cette question, car nos sens nous permettent de déceler avec une précision remarquable de très faibles différences de température. Nous avons pris l'habitude d'utiliser des thermomètres, soigneusement gradués en degrés Celsius aussi bien vers les températures positives que vers les négatives. Bien que ceux-ci ne couvrent qu'une petite gamme, par exemple de -20 à +40°C, tout nous pousse à croire que l'on peut prolonger indéfiniment les graduations vers des températures infinies dans les deux sens. Pourtant, s'il est vrai que l'on peut chauffer un corps sans limitation en lui apportant une énergie aussi importante qu'il sera nécessaire, la Physique nous montre que la descente vers les basses températures bute contre un obstacle infranchissable : le Zéro Absolu.
Le premier qui semble avoir posé clairement la question de l'existence d'une limite inférieure à l'échelle de températures est un physicien français, Guillaume Amontons (1663-1705). Expérimentateur de génie, il arrive à une conclusion stupéfiante : la pression des gaz devient nulle à une température qu'il estime à une valeur correspondant à -240 de nos degrés Celsius. Une précision remarquable pour l'époque !
Ce n'est qu'au XIXe siècle que se dégagent les grandes lignes de la science de la chaleur, la Thermodynamique. Ses lois, appelés « principes », sont déduites de l'expérience. La Thermodynamique apporte aussi sa contribution au problème des très basses températures : Carnot, dans son ouvrage Réflexions sur la puissance motrice du feu et des machines propres à développer cette puissance publié en 1824, introduit la notion de température absolue T. Le zéro de cette échelle de température, le Zéro Absolu, est associé à l'efficacité maximale des machines thermiques : 100 % si la source froide est à T=0.
Température absolue et entropie
Les physiciens utilisent aujourd'hui l'échelle de températures absolues proposée en 1848 par William Thomson (Lord Kelvin). Celle-ci est définie par le Zéro Absolu (T=0) et la valeur 273,16 degrés attribuée au point triple de l'eau, la température unique où coexistent la glace, l'eau et sa vapeur, qui correspond à t=0,01 °C. Un degré de la nouvelle échelle (degré Kelvin) est identique à un degré Celsius, mais l'origine des deux échelles est décalée de 273,15 degrés : la température en Kelvins (T) s'exprime donc simplement en fonction de la température en degrés Celsius (t) par la formule T(K)=t(°C)+273,15.
Par ailleurs, la description des échanges de chaleur fait intervenir une nouvelle grandeur physique, introduite par Clausius en 1850 : l'entropie. Elle caractérise l'état de la matière ; fournir de la chaleur à un corps revient à augmenter son entropie. La Thermodynamique nous propose aussi le principe de l'entropie maximum : l'entropie d'un système isolé ne peut que croître ou rester constante, ce qui définit l'évolution d'un système physique hors équilibre ; on introduit ainsi une distinction entre les deux sens du temps : contrairement aux Lois de la Mécanique, passé et futur ne sont plus symétriques !
Cependant, la Physique Thermique ne fournit qu'une description macroscopique : nous sommes bien loin des « atomes » imaginés Démocrite...
Température et jeux de hasard : l'apport de la Statistique
Pourtant, grâce aux travaux de R. Clausius, J. Maxwell et L. Boltzmann, la Théorie Cinétique des gaz se met progressivement en place. Elle explique les propriétés des gaz par le mouvement désordonné de « molécules » : la pression exercée par un gaz sur un récipient est due aux très nombreuses collisions de ces molécules avec les parois. La température devient une mesure de l'énergie moyenne des molécules.
Le sort d'une molécule individuelle ne présente pas d'intérêt, lorsque l'on cherche à décrire les propriétés macroscopiques d'un corps. La Physique Statistique, développée dans l'incrédulité générale par L. Boltzmann, réussira l'exploit d'associer le comportement macroscopique d'un corps aux propriétés microscopiques sous-jacentes. Un exemple éclatant est l'obtention de l'équation d'état du gaz parfait, PV=NRT.
L'un des acquis fondamentaux de la Physique Statistique est la compréhension de l'origine de l'entropie. Du fait de la présence d'un grand nombre de molécules pouvant occuper un grand nombre d'états, il existe un très grand nombre de configurations possibles pour le système dans son ensemble, d'autant plus important que l'énergie totale à distribuer entre les molécules est élevée. Ce nombre de configurations est calculable par l'analyse combinatoire ; il est tellement grand que l'on est forcé de considérer son logarithme ! L'entropie est donc une mesure de la quantité d'états microscopiques accessibles au système : plus familièrement nous dirons qu'elle mesure le désordre !
La révolution de la Mécanique Quantique
L'avènement de la Mécanique Quantique, développée par M. Planck, N. Bohr, W. Heisenberg, P.A.M. Dirac et bien d'autres, allait permettre un nouveau progrès de la Physique Thermique, tout en s'appuyant fortement sur celle-ci. La Matière n'existe que dans des états « quantifiés », caractérisés par un nombre entier appelé nombre quantique, et par conséquent séparés en énergie. Ces états quantiques, similaires à ceux de l'électron autour d'un atome, fournissent l'outil idéal pour effectuer des calculs statistiques. En fait, ce que nous observons résulte d'une moyenne sur un nombre inimaginable de configurations (« états » ) microscopiques. La température est une grandeur associée au « peuplement » de ces états quantiques par les molécules. La probabilité de trouver une molécule dans un état d'énergie E est donnée par le facteur de Boltzmann exp[-E/kBT] : plus la température T est élevée, plus on aura des chances de trouver une molécule dans un état d'énergie E élevée. La constante de Boltzmann kB permet de comparer une température T à une énergie caractéristique du problème. Par exemple, la fusion d'un corps a lieu lorsque kBT est de l'ordre de E0, énergie de liaison des atomes de ce corps. À chaque domaine d'énergie est associé un domaine de température.
La Mécanique Quantique apporte un nouvel éclairage au problème du Zéro Absolu. En effet, parmi tous les états quantiques, il en existe un qui nous intéresse au plus haut degré : c'est l'état de plus basse énergie, appelé « état fondamental ». À ce stade, la matière ne peut plus céder d'énergie : il n'existe aucun état d'énergie inférieure ! Ce qui ne signifie aucunement que son énergie soit nulle. Les molécules continuent d'être animées de mouvement : il subsiste une énergie dite « de point zéro », que l'on peut associer au principe d'incertitude de Heisenberg de la Mécanique Quantique.
Zéro Absolu et excitations élémentaires
Le Zéro Absolu de température correspond donc à la situation où la Matière est dans l'état fondamental. Mais il n'y a plus aucun désordre quand il ne reste qu'un choix possible. Contrairement à ce que l'on pensait encore au début du siècle, ce n'est pas l'énergie qui devient nulle au Zéro Absolu, mais l'entropie.
La Physique des basses températures est ainsi, d'une certaine manière, la Physique de l'ordre. Elle permet également de comprendre toute la riche panoplie des effets thermiques. En effet, si l'on laisse de côté le cas un peu scolaire du gaz parfait, nous sommes immédiatement confrontés au problème complexe des atomes en interaction. Considérons par exemple le cas d'un corps solide simple. Le mouvement des atomes consiste en de petites oscillations autour de leur position d'équilibre. Mathématiquement, le problème est équivalent à celui d'une collection de pendules, ou « oscillateurs harmoniques ». Mais l'énergie de ces pendules est quantifiée ! A température nulle, ils seront soumis à une vibration de point zéro d'origine quantique. Quand on chauffe le système, on augmente le degré de vibration des atomes. En proposant un modèle des solides décrivant leurs propriétés thermiques au moyen d'une collection d'oscillateurs harmoniques quantifiés indépendants, Einstein faisait faire à la Physique un énorme progrès : pour la première fois on comprenait l'origine quantique de la décroissance de la capacité calorifique des corps à basse température. Cette grandeur, qui correspond à la quantité de chaleur que l'on doit fournir à un corps pour élever sa température d'un degré, nous renseigne sur l'énergie des états quantiques de la Matière. Elle doit tendre vers zéro à basse température, tout comme l'entropie, et c'est bien ce que l'on observe expérimentalement.
La Matière à basse température
Le modèle d'Einstein s'applique à des oscillateurs indépendants, alors que dans un très grand nombre de corps solides les vibrations des atomes sont fortement couplées. Tout se passe comme si les atomes étaient des petites masses reliées les unes aux autres par des « ressorts », ceux-ci symbolisant les forces atomiques. Debye a pu monter que des ondes sonores quantifiées, les « phonons », constituent les « excitations élémentaires » d'un solide.
Les propriétés électroniques de la matière sont également un domaine de recherches très fructueuses. L'un des effets les plus spectaculaires est l'apparition de la supraconductivité dans certains métaux[1]. À basse température, en effet, les électrons peuvent former des paires (paires de Cooper) et « condenser dans un état macroscopique cohérent » : tous les électrons de conduction du métal se comportent « en bloc », comme une molécule géante. Les impuretés et les défauts du métal qui donnaient lieu à une résistance électrique dans l'état « normal » ne peuvent plus arrêter cet « objet quantique » géant que sont devenus les électrons supraconducteurs : le courant circule sans dissipation. On a pu montrer que le courant piégé dans un anneau supraconducteur continuait de tourner sans faiblir pendant des années !
Les électrons d'un métal ou d'un semi-conducteur peuvent présenter bien d'autres propriétés très surprenantes à basse température comme, par exemple, l' Effet Hall Quantique Entier et l' Effet Hall Quantique Fractionnaire, la Transition Métal-Isolant, ou le Blocage de Coulomb.
Le froid est également intéressant pour étudier les phénomènes magnétiques. Ceux-ci sont dus à l'existence d'un « spin » associé à l'électron, c'est-à-dire une rotation de l'électron sur lui-même. De ce fait, l'électron se comporte comme un petit aimant élémentaire, qui aura tendance à s'aligner comme une boussole suivant un champ magnétique. Le désordre imposé par la température s'oppose à cet alignement. On voit alors évoluer les propriétés magnétiques des corps en fonction de la température et du champ magnétique. Au Zéro Absolu, les « spins » s'organisent pour former différentes structures magnétiques ordonnées : ferromagnétique, anti-ferromagnétique, hélicoïdale, etc.
Le domaine de prédilection des basses températures est l'étude des deux isotopes de l'hélium : 4He et 3He. L'4He est dépourvu de spin, et rentre de ce fait dans la catégorie des « bosons », regroupant toutes les particules de la Nature ayant un spin entier (0,1,2, etc.). L'3He, par contre, a un spin 1/2, et fait partie des « fermions ». La Mécanique Quantique est à nouveau mise à contribution lorsque l'on tente de décrire les propriétés d'une collection de ces atomes, réalisée en pratique par l'hélium liquide. En effet, l'état fondamental des bosons est obtenu en plaçant tous les atomes dans le même état quantique ; pour l'4He, on obtient un état macroscopique cohérent similaire à la supraconductivité des paires de Cooper électroniques. On observe la superfluidité de l'4He liquide en dessous de T=2.17 Kelvins : il s écoule alors sans aucun signe de frottement ou de viscosité, remontant même le long des parois du récipient qui le contient !
L'3He se comporte de manière très différente. Les fermions, en effet, ne peuvent se retrouver dans le même état (cette interdiction quantique reçoit le nom de « principe d'exclusion de Pauli »). Les nombreux atomes que comporte un volume donné d'3He liquide sont donc nécessairement dans des états quantiques différents ; si des atomes réussissent à se caser dans des états de basse énergie, les autres sont réduits à occuper des niveaux de plus en plus énergétiques : les états sont ainsi occupés jusqu'au « niveau de Fermi ». Cette physique se retrouve dans les métaux, car les électrons sont également des fermions. C'est pour cela que les études effectuées sur l'3He liquide ont permis de mieux comprendre la physique des métaux.
Il serait injuste de ne pas citer ici l'un des plus beaux effets de la physique des basses températures : la superfluidité de l'3He, observée par D.D. Osheroff, R.C. Richardson et D. Lee, Prix Nobel de Physique. Tout comme les électrons, les atomes d'3He forment des paires de Cooper qui condensent pour donner lieu à l'état superfluide. Les études conduites sur ce système ont permis de comprendre les propriétés observées 20 ans plus tard dans les « supraconducteurs à haute température critique ». D'autres analogies ont été développées, peut-être plus surprenantes comme, par exemple la description de la formation de cordes cosmiques dans l'Univers primordial à partir d'expériences réalisées dans l'3He superfluide à ultra-basse température. En fait, l'ordre de la matière de l'Univers après le big-bang est décrit par des symétries similaires à celles de l'3He superfluide !
Les fluides cryogéniques
Si l'hélium joue un rôle important pour la physique des basses températures, il en est de même en ce qui concerne la technologie qui lui est associée : la Cryogénie. Des réservoirs contenant de l'4He liquide sont présents dans tous les laboratoires de basses températures. Pourtant, la liquéfaction de l'hélium est relativement récente. Auparavant, des pionniers avaient ouvert la voie : Cailletet et Pictet, en liquéfiant l'oxygène (1877), Cailletet en obtenant de l'azote liquide la même année ; puis James Dewar, en 1898, en réussissant la liquéfaction de l'hydrogène. Finalement, en 1906 Heike Kammerlingh Onnes réussit à obtenir de l'hélium (4He) liquide, dont il observera la superfluidité.
Actuellement, l'azote liquide et l'hélium liquide constituent la source de froid préférée des cryogénistes. L'azote liquide, sous la pression atmosphérique, est en équilibre avec sa vapeur à une température de 77 Kelvins. Le liquide se manipule facilement, même si des précautions doivent être prises pour éviter les « brûlures cryogéniques ». Afin de limiter son évaporation, on le stocke dans des conteneurs isolés thermiquement à partir desquels il est transféré dans les dispositifs que l'on souhaite refroidir : vases d'azote liquide destinés à des expériences, pièges cryogéniques, etc. Parfois, le stockage cryogénique n'est motivé que par le gain de place, le liquide étant plus dense que le gaz.
Le stockage et la manipulation de l'hélium posent des problèmes plus sévères. En effet, l'hélium liquide n'est qu'à 4.2 Kelvins (en équilibre avec sa vapeur, sous la pression atmosphérique). De plus, sa chaleur latente d'évaporation est très faible, ce qui conduit à l'utilisation de vases très bien isolés thermiquement. Les vases de Dewar, du nom de leur inventeur, sont constitués d'une double enceinte sous vide. Les parois du vase sont réalisées avec des matériaux conduisant très mal la chaleur. Grâce aux progrès de la Cryogénie, on réussit actuellement à limiter l'évaporation des conteneurs d'hélium à quelques litres par mois.
Réfrigération au-dessous de 1 K
Kammerlingh Onnes ne s'était pas contenté des 4.2 Kelvins correspondant à la température de l'hélium liquide sous la pression atmosphérique. En utilisant des pompes très puissantes, il avait rapidement obtenu des températures de l'ordre de 0.8 Kelvins. À basse pression, en effet, l'équilibre liquide-gaz se trouve décalé vers les basses températures. Malheureusement, la pression décroît exponentiellement à basse température, et à ce stade même les pompes les plus puissantes ne réussiront à arracher au liquide que très peu d'atomes. Le processus de réfrigération par pompage de l'4He s'essouffle au voisinage de 1 Kelvin !
Les appareils de réfrigération (cryostats) utilisés dans les laboratoires comportent un vase de Dewar extérieur contenant de l'azote liquide (77 K) servant de première garde thermique et, à l'intérieur, un deuxième vase de Dewar contenant de l'hélium liquide (4,2 K). Au sein de l'hélium liquide se trouve un récipient étanche, sous vide, appelé « calorimètre ». C'est dans ce dernier, grâce à l'isolation thermique procurée par le vide et des écrans contre le rayonnement thermique, que l'on va pouvoir atteindre des températures encore plus basses. Pour refroidir un échantillon placé dans le calorimètre, on utilise une petite boîte « à 1 K », dans laquelle on laisse entrer par un tube capillaire un petit filet d'hélium liquide à partir du « bain » (c'est-à-dire du vase de Dewar contenant l'hélium). Un tuyau de grand diamètre permet de pomper efficacement cette boîte pour atteindre environ 1,4 K.
L'3He, particulièrement cher, peut être mis en Suvre grâce à une technique similaire. Le cryostat décrit ci-dessus permet en effet d'atteindre une température suffisamment basse pour condenser, sous une faible pression, de l'3He gazeux. Celui-ci est apporté dans le cryostat (circuit d'injection) par un tube capillaire passant dans l'hélium du « bain », puis rentrant dans le calorimètre où il est mis en contact thermique avec la boîte à 1 K afin de le condenser. L'3He devenu liquide est introduit dans un petit récipient où il est pompé. Ces « cryostats à 3He » opèrent « en mode continu » : en effet, le gaz pompé est réintroduit par le circuit d'injection, complétant le cycle. On atteint avec ces machines une température de l'ordre de 0,3 Kelvins !
La course vers le zéro absolu devait-elle s'arrêter là ? Il ne restait plus de candidats : l'hélium avait eu l'honneur d'être le dernier élément à subir la liquéfaction !
H. London proposa alors une idée séduisante : la dilution de 3He dans 4He liquide. Les premiers prototypes de réfrigérateurs à dilution atteignirent une température de 0,22 K, apportant la preuve que le principe fonctionnait. Plusieurs laboratoires, notamment à La Jolla et à Grenoble, ont développé des méthodes permettant de d'obtenir en mode continu des températures de l'ordre de 2 milliKelvins.
Si l'on ne connaît pas aujourd'hui d'autre méthode permettant de refroidir en continu, il existe un moyen d'atteindre de manière transitoire des températures encore plus basses. Le principe, énoncé par W.F. Giauque en 1926, est fondé sur les propriétés des substances paramagnétiques. En appliquant un champ élevé on peut aimanter les corps en question, ce qui produit un dégagement de chaleur, associé à la réduction de l'entropie : le système est « ordonné » par le champ. On isole ensuite le système en le découplant de son environnement au moyen d'un « interrupteur thermique ». L'entropie du système isolé reste constante si l'on procède à une réduction très lente du champ magnétique : il n'y a pas d'apport de chaleur, mais uniquement un « travail magnétique ». Cette « désaimantation adiabatique » permet de préserver le degré d'ordre des spins ; en réduisant progressivement le champ magnétique, l'agent extérieur qui avait induit cet ordre, on obtient donc une diminution de la température.
On peut atteindre des températures très inférieures à 1 milliKelvin en utilisant les spins nucléaires de certains atomes. Des fils de cuivre constituant l'étage à désaimantation nucléaire sont d'abord refroidis à moins de 10 milliKelvins au moyen d'un réfrigérateur à dilution sous un champ magnétique élevé (8 Teslas). On isole le système puis on le désaimante lentement. Cette méthode (« désaimantation adiabatique nucléaire ») permet d'atteindre des températures extrêmement basses : les spins nucléaires peuvent être refroidis à des nanoKelvins !
Les vibrations atomiques (« phonons ») et les électrons, par contre, resteront plus chauds, car le couplage thermique devient très faible à basse température et les entrées de chaleur parasites sont inévitables. Les difficultés deviennent rapidement très importantes lorsque l'on souhaite refroidir un échantillon à ultra-basse température ; par exemple, l'3He superfluide a été étudié à une centaine de microKelvins à Lancaster et à Grenoble en utilisant les dispositifs les plus performants.
Des méthodes très différentes, issues de l'optique et mettant en Suvre des lasers, ont permis récemment de refroidir à des températures de l'ordre des nanoKelvins des gaz très dilués d'atomes de Césium ou de Rubidium. Ce tour de force a montré de nombreux phénomènes analogues à ceux que nous avons évoqués pour l'hélium, comme la condensation de Bose, la cohérence quantique, la formation de tourbillons quantifiés, etc. Ce nouveau domaine de recherches est très riche et en fort développement[2].
Thermométrie à basse température
La mesure de la température est une entreprise délicate, car il n'existe aucun thermomètre susceptible de fournir la température absolue T dans toute la gamme de températures ! On a donc mis au point une série de dispositifs thermométriques. Ceux-ci sont appelés « primaires » lorsqu'ils fournissent la température à partir de grandeurs mesurées indépendamment. C'est le cas du thermomètre à gaz, malheureusement limité à des températures supérieures à 10 K, de certains thermomètres magnétiques permettant d'effectuer des cycles thermodynamiques entre deux températures, et des thermomètres à bruit Johnson, où la température est déduite du bruit électrique sur une résistance. Les thermomètres secondaires, par contre, doivent être étalonnés par rapport à des thermomètres primaires. Dans certains cas, il est possible d'établir des « tables » de propriétés mesurées permettant de reproduire facilement l'échelle thermométrique officielle. C'est le cas de la tension de vapeur de l'3He et l'4He : la mesure de la pression d'équilibre liquide-vapeur permet de déterminer la température aux alentours de 1 Kelvin à partir des valeurs tabulées. L'Echelle Internationale de Températures reconnue actuellement, ITS90, ne défint la température que jusqu'à 0,65 K. En octobre 2000 le Comité International des Poids et Mesures a adopté une échelle provisoire pour les bases températures, définie par la courbe de fusion de l'3He (PLTS2000). Elle couvre la gamme de températures allant de 0,9 milliKelvins à 1 Kelvin.
Applications des basses températures
Les techniques cryogéniques permettent d'obtenir des gaz très purs. De ce fait, l'activité industrielle dans le domaine des gaz liquéfiés est très importante, notamment en France. Elle concerne le gaz naturel, l'azote, l'oxygène, l'hydrogène, l'hélium, etc. Les fluides cryogéniques sont utilisés dans de nombreux secteurs : électronique, métallurgie, chimie, espace, etc. Par exemple, le combustible des fusées Ariane 5 est constitué d'oxygène et d'hydrogène liquides, et la fabrication de composants semi-conducteurs, comme les microprocesseurs de nos ordinateurs, exige l'utilisation d'azote très pur obtenu par évaporation du liquide.
Des applications médicales de pointe ont vu le jour récemment. Les scanners RMN utilisent le champ magnétique produit par des bobines supraconductrices placées dans un vase de Dewar contenant de l'hélium liquide. La cryopréservation d'organes ou de cellules (sang, sperme, etc...) fait intervenir de l'azote liquide et des réservoirs de stockage cryogénique. On utilise également l'azote liquide dans le domaine de la cryochirurgie.
Les grands instruments scientifiques comptent parmi les utilisateurs du froid. Le futur accélérateur de particules du CERN, le LHC, sera équipé d'aimants supraconducteurs situés dans de l'4He superfluide, sur un périmètre de 27 kilomètres. De nombreux laboratoires ont installé des aimants supraconducteurs destinés à fournir des champs très intenses. On les retrouve dans les installations d'expérimentation sur les plasmas (Tore Supra, par exemple), dont on espère obtenir une source d'énergie pour l'avenir.
A basse température, un très faible apport de chaleur provoque une augmentation de température perceptible, d'où l'idée d'utiliser les techniques cryogéniques pour détecter des particules cosmiques. Plusieurs instruments dits « bolométriques » existent actuellement dans les laboratoires d'Astrophysique.
Les propriétés quantiques de la matière permettent de concevoir de nouveaux étalons de grandeurs fondamentales ou appliquées : c'est le cas du Volt ou de l'Ohm, définis par l'effet Josephson et l'effet Hall Quantique et réalisés par des dispositifs à très basse température.
Les dispositifs électrotechniques supraconducteurs sont susceptibles d'autoriser un gain d'énergie important par rapport aux systèmes classiques. Dans le domaine de la forte puissance, transformateurs, alternateurs et limiteurs de courant sont progressivement installés sur les réseaux électriques. D'autre part, les applications dans le domaine des télécommunications se sont rapidement développées depuis quelques années, en particulier au niveau des filtres très sélectifs pour les téléphones mobiles, réalisés au moyen de supraconducteurs à « haute température critique » maintenus à la température de l'azote liquide.
D autres applications ont pour motivation la très grande sensibilité et le faible bruit électrique de certains dispositifs fonctionnant à basse température, comme les amplificateurs cryogéniques. Les SQUIDs, instruments révolutionnaires, constituent les magnétomètres les plus sensibles existant actuellement ; ils sont capables de mesurer des tensions de l'ordre du picoVolt !
Les circuits électroniques atteignent des tailles nanométriques, et de ce fait ils sont particulièrement sensibles aux perturbations thermiques. Les nano-objets actuellement étudiés dans les laboratoires au voisinage du Zéro Absolu de température sont la source de nombreuses découvertes fondamentales sur lesquelles se bâtit la technologie de demain.
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TOUT L'UNIVERS DANS UN ATOME |
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Tout lunivers dans un atome
Gerardus t Hooft
Dans cet exposé, je vais expliquer que lunivers gigantesque dans lequel nous vivons abrite un nombre incroyable de minuscules univers : les atomes. Ils présentent une structure extrêmement riche qui a permis aux physiciens dexercer leur sagacité durant tout le siècle précédent. Le sujet de cet exposé est cet univers microscopique que lon trouve à lintérieur des atomes mais il est intimement relié à lunivers macroscopique qui nous est rendu plus familier par les images des médias comme celle de la conquête spatiale.
Au début nexistait quun point, et rien dautre que ce point. Il y a plus de 13 milliards dannées, ce point explosa, marquant le début de lunivers tout entier. Depuis ce moment, lunivers est régi par les lois de la physique. Lors de ses premiers instants, il évolua extrêmement rapidement. Des choses complexes arrivèrent alors, que lon comprend difficilement.
La première lumière de lunivers, que lon observe maintenant, est apparue 380 000 ans après cette explosion. Ce nest quun milliard dannées plus tard que lunivers commence à ressembler à ce quil est aujourdhui : un univers constitué détoiles, situées à lintérieur de galaxies séloignant les unes des autres.
Deux choses remarquables caractérisent lunivers. La première, cest quil est presque vide : il existe de grands espaces désertiques entre les étoiles et les galaxies, de telle sorte quen moyenne, lunivers présente une densité de quelques atomes seulement par kilomètre cube. La deuxième, cest que tous les objets de lunivers obéissent aux lois de la physique de manière extrêmement précise. Des expériences de toutes sortes, ainsi que des calculs complexes établissent une chose qui nétait pas évidente a priori : les lois de la physique semblent partout les mêmes, peu importe la direction dans laquelle on observe lunivers. Lune de ces lois est celle de la gravitation. Cest elle qui fait que les planètes décrivent autour du soleil des ellipses presque parfaites. Elle implique également que les planètes accélèrent à proximité du soleil et décélèrent quand elles sen éloignent. Il sagit dune loi parmi dautres mais dont les effets sont clairement visibles.
Lunivers compte un nombre démesurément grand datomes et dans ces mondes minuscules que sont les atomes, on trouve des objets, les électrons, qui se déplacent selon des lois physiques ressemblant beaucoup à celles régissant le mouvement des planètes autour du soleil. Les électrons tournent autour dun objet central que lon appelle le noyau atomique. Latome constitue ainsi un univers à lui tout seul, mais avec des dimensions minuscules.
La structure de latome
Dire quun atome peut être assimilé à un système planétaire serait en fait mentir. Latome est gouverné par des lois beaucoup plus complexes, celles de la mécanique quantique. Celle-ci dit quen moyenne, les électrons se déplacent selon des orbites elliptiques ; mais cela en moyenne seulement. Leur mouvement est en fait aléatoire, il semble incontrôlé. Autour dun noyau, certaines régions sont dépeuplées délectrons alors que dautres en fourmillent. Ce sont les lois de la mécanique quantique qui permettent de faire la distinction entre ces régions.
Latome possède une autre caractéristique qui le rapproche de lunivers : il est quasiment vide. En effet, le noyau atomique est environ 100 000 fois plus petit que les orbites des électrons, ce qui rend latome beaucoup plus vide en réalité quun système planétaire. Cest ce noyau, dont lunité de taille est le Fermi, 10-15 m, qui est la partie la plus intéressante et la plus complexe de latome.
Il y a plusieurs décennies, les physiciens découvrirent que le noyau atomique est constitué de deux sortes dobjets : les protons et les neutrons. Les premiers sont électriquement chargés alors que les seconds sont neutres, mais hormis cette différence, ces deux objets sont similaires. Ce qui a été découvert plus récemment dans lhistoire de la physique des particules est quils sont tous les deux constitués de trois sous-unités appelées quarks. Ces derniers obéissent à des lois très particulières qui seront évoquées plus loin.
Il y a 35 ans lexistence des quarks était à peine vérifiée. On ne comprenait pas leur comportement, ni pourquoi protons et neutrons étaient constitués de trois dentre eux. Toutes les particules observées à lépoque étaient cependant regroupées en plusieurs classes, de la même façon quen biologie les espèces danimaux et de plantes sont classées en familles. Il existait une distinction entre les leptons, particules insensibles à ce qui fut appelé plus tard la force forte, et les hadrons, qui y étaient sensibles et avaient donc un comportement totalement différent. Les hadrons furent ensuite séparés entre mésons et baryons. Enfin, il existait une troisième sorte de particules, les photons, qui avec leur comportement radicalement différent des autres, constituaient une famille à eux seuls.
Les leptons, dont on connaissait deux représentants à lépoque, électrons et muons, peuvent être chargés électriquement, le plus souvent de manière négative, ou bien être neutres : on les appelle alors neutrinos. De manière générale, les particules sont caractérisées par leur charge électrique ainsi que par leur spin, propriété liée à leur rotation. Elles sont également accompagnées de leurs « contraires », si lon peut dire, leurs antiparticules. Il existe ainsi des antileptons et des antibaryons. Les mésons, eux, sont identiques à leurs antiparticules.
Beaucoup de questions émergent de cette classification : Comment peut-on expliquer le comportement de toutes ces particules ? Comment peut-on les décrire ? Enfin, comment sagencent-elles pour former les atomes ? Pour répondre à ces questions, il a été nécessaire de les étudier.
Les outils pour étudier la structure de latome
Pour étudier les atomes, il a été nécessaire de construire de très grandes machines, les accélérateurs de particules. Lun deux est situé à la frontière de la Suisse et de la France, près de Genève. Sil nétait pas situé sous terre, parfois à cent mètres de profondeur, dun avion on pourrait constater quil a la forme dun cercle de 26 km de circonférence. Il sagit dun circuit que des particules parcourent chacune dans un sens opposé pour se heurter de plein fouet. Les investigations des physiciens concernent ce qui se déroule lors de telles collisions. Cette machine appelée LEP, pour Large Electron-Positron Collider, a été démontée il y a quelques années pour être remplacée par une autre machine, le LHC, acronyme pour Large Hadron Collider. La première a intensivement étudié les leptons, comme lélectron et son antiparticule, alors que la nouvelle génération daccélérateurs étudiera les hadrons. Les physiciens doivent cependant attendre encore plusieurs années avant de recevoir les premiers résultats du LHC, prévus en 2007.
La photographie (fig.1) représente un des nombreux détecteurs de particules utilisés dans les accélérateurs. Comparés à la taille dun homme, ces objets sont particulièrement grands. Ceci est une source de questionnement pour les néophytes : pourquoi nutilise-t-on pas de petits détecteurs pour étudier des particules si minuscules ? Ny gagnerait-on pas en résolution ? Il se trouve que non. Pour bien voir de petits objets, il faut de grosses machines. Par exemple, on pourrait penser que les insectes, avec leurs petits yeux, se voient très bien. Cest tout le contraire. Nous voyons beaucoup mieux les insectes quils ne se voient eux-mêmes, car nos yeux sont beaucoup plus gros que les leurs. Cest pour cela que les insectes ont des antennes, comblant ainsi leur déficit sensoriel. Ainsi, former des images de minuscules particules nécessite dénormes appareils. Les physiciens, qui cherchent à sonder la matière le plus profondément possible, doivent par conséquent construire les machines les plus imposantes qui soient& tout en respectant un certain budget.
Les forces dinteractions et les particules de Yang-Mills
Revenons encore trente cinq ans en arrière. A cette époque, il fallait comprendre leurs interactions pour pouvoir décrire les particules & Quelles soient déviées, crées ou annihilées, les physiciens ont réuni tous ces phénomènes dans le concept de force. Ils ont ainsi découvert que trois sortes de forces totalement différentes agissaient sur les noyaux atomiques. Lune delles est assez familière, il sagit de lélectromagnétisme. Cest la force qui est utilisée de manière prédominante dans les microphones et les télévisions. Les uns utilisent la force électromagnétique pour amplifier la voix, les autres pour créer une image sur lécran. De manière plus simple, on peut voir leffet de cette force quand un aimant se déplace à proximité dun autre aimant, ou dun objet en fer. Ou bien même quand on se coiffe par temps sec et que les cheveux sélectrisent. Il existe également deux autres forces actives dans le domaine des particules élémentaires : la force forte et la force faible. On connaissait peu de leurs propriétés il y a 35 ans, et par bien des aspects, elles restaient énigmatiques : comment affectent-elles le comportement des particules ?
Il est très difficile de répondre à cette question. On savait quelles devaient obéir à la fois à la théorie de la relativité dEinstein et aux lois de la mécanique quantique. Mais ces lois sont complexes, et il est très difficile de les réconcilier pour que les mouvements observés des particules respectent ces deux théories fondamentales. Ce nest quen 1954 quune avancée fut effectuée. Deux physiciens américains, Robert-Mills, étudiant à lépoque et Chen Ning Yang, futur prix Nobel, proposèrent ensemble une façon de décrire les particules subatomiques. Leur réflexion fut la suivante : certaines forces de la nature sont déjà connues, les forces électromagnétiques ; peut-on imaginer une nouvelle force, quelque chose de plus général que lélectricité et le magnétisme, quon pourrait décrire avec des équations similaires et qui serait cohérente avec les connaissances acquises par ailleurs en physique ? Ils trouvèrent une réponse à cette question mais ils se rendirent compte très tôt quelle était probablement erronée. Beaucoup de physiciens avaient eu des idées similaires mais les avaient rejetées car ils ne leur trouvaient aucun sens. Peut-être navaient-t-elles aucun sens mais elles étaient tellement belles quils publièrent néanmoins leurs travaux, malgré les critiques de leurs pairs, laissant aux autres le soin de sinquiéter du fait quelles naient rien de réel.
Quont-ils donc inventé qui allait devenir si important, seulement quelques décennies plus tard ? Yang et Mills imaginèrent quil existait un autre champ, ressemblant beaucoup aux champs électriques et magnétiques, mais qui en serait également différent par certains aspects : une particule évoluant dans un tel champ changerait didentité. Au passage, rappelons que lidentité est une caractéristique essentielle des particules : la modifier a dénormes conséquences sur leur comportement. Un champ électromagnétique naltère pas cette identité, mais Yang et Mills imaginèrent quune particule puisse transmuter en une autre quand elle traverserait le champ quils ont décrit. Un proton, par exemple, deviendrait neutron. Le point fondamental est que deux particules initialement identiques pourraient ainsi devenir différentes.
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DE L'ATOME AU CRISTAL |
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Transcription de la 580e conférence de l'Université de tous les savoirs prononcée le 23 juin 2005
De l'atome au cristal : Les propriétés électroniques de la matière
Par Antoine Georges
Les ordres de grandeur entre l'atome et le matériau :
1. Il existe entre l'atome et le matériau macroscopique un très grand nombre d'ordres de grandeur, d'échelles de longueur. Prenons l'exemple d'un lingot d'or : quelqu'un muni d'une loupe très puissante pourrait observer la structure de ce matériau à l'échelle de l'atome : il verrait des atomes d'or régulièrement disposés aux nSuds d'un réseau périodique. La distance entre deux de ces atomes est de l'ordre de l'Angstrom, soit 10-10m. Ainsi, dans un lingot cubique de un millimètre de côté, il y a 10 millions (107) d'atomes dans chaque direction soit 1021 atomes au total ! Les échelles spatiales comprises entre la dimension atomique et macroscopique couvrent donc 7 ordres de grandeur. Il s'agit alors de comprendre le fonctionnement d'un système composé de 1021 atomes dont les interactions sont régies par les lois de la mécanique quantique.
2. Malheureusement, une telle loupe n'existe évidemment pas. Cependant, il est possible de voir les atomes un par un grâce à des techniques très modernes, notamment celle du microscope électronique à effet tunnel. Il s'agit d'une sorte de « gramophone atomique », une pointe très fine se déplace le long d'une surface atomique et peut détecter d'infimes changements de relief par variation du courant tunnel (voir plus loin). Cette découverte a valu à ses inventeurs le prix Nobel de physique de 1986 à Gerd Karl Binnig et Heinrich Rohrer (Allemagne).
3. Nous pouvons ainsi visualiser les atomes mais aussi les manipuler un par un au point de pouvoir « dessiner » des caractères dont la taille ne dépasse pas quelques atomes ! (Le site Internet www.almaden.ibm.com/vis/stm/gallery.html offre de très belles images de microscopie à effet tunnel). Cette capacité signe la naissance du domaine des nanotechnologies où la matière est structurée à l'échelle atomique.
4. Les physiciens disposent d'autres « loupes » pour aller regarder la matière à l'échelle atomique. Parmi elles, le synchrotron est un grand anneau qui produit un rayonnement lumineux très énergétique et qui permet de sonder la structure des matériaux, des molécules ou des objets biologiques, de manière statique ou dynamique. Les applications de ce genre de loupe sont innombrables en physique des matériaux, chimie, biologie et même géologie (par pour l'étude des changements structuraux des matériaux soumis à de hautes pressions).
5. Il existe encore bien d'autres « loupes » comme par exemple la diffusion de neutrons, la spectroscopie de photo-émission, la résonance magnétique... Dans la diffusion de neutrons, un neutron pénètre un cristal pour sonder la structure magnétique du matériau étudié.
La grande diversité des matériaux :
6. Ces différentes techniques révèlent la diversité structurale des matériaux, qu'ils soient naturels ou artificiels. Le sel de cuisine, par exemple, a une structure cristalline très simple. En effet, il est composé d'atomes de sodium et de chlore régulièrement alternés. Il existe également des structures plus complexes, comme par exemple les nanotubes de carbone obtenus en repliant des feuilles de graphite sur elles-mêmes ou la célèbre molécule C60 en forme de ballon de football composée de 60 atomes de carbone (fullerènes)
7. Tous ces matériaux peuvent être soit présents à l'état naturel soit élaborés de manière artificielle. Cette élaboration peut être faite plan atomique par plan atomique en utilisant une technique appelée « épitaxie par jet moléculaire » dans laquelle un substrat est bombardé par des jets moléculaires. Les atomes diffusent pour former des couches monoatomiques. Cette technique permet alors de fabriquer des matériaux contrôlés avec une précision qui est celle de l'atome.
8. La diversité des matériaux se traduit donc pas une grande diversité des structures, mais aussi de leurs propriétés électroniques. Par exemple, la résistivité (c'est-à-dire la capacité d'un matériau à s'opposer au passage d'un courant : R=U/I) varie sur 24 ordres de grandeurs entre de très bons conducteurs et un très bon isolant, ce qui est encore bien plus que les 7 ordres de grandeurs des dimensions spatiales. Il existe donc des métaux (qui sont parfois de très bons conducteurs), des isolants (de très mauvais conducteurs), des semi-conducteurs et même des supraconducteurs. Ces derniers sont des métaux, qui en dessous d'une certaine température, n'exercent aucune forme de résistance et ne dissipent aucune énergie. D'autres matériaux encore voient leur gradient thermique évoluer en fonction du courant qui les traverse, ceci permet par exemple de fabriquer du « froid » avec de l'électricité ou fabriquer de l'électricité avec de la chaleur, ce sont des thermoélectriques. Enfin, la résistivité de certains matériaux est fonction du champ magnétique dans lequel ils sont placés.
9. Ces diversités, autant structurales qu'électroniques, sont et seront de plus en plus mises à profit dans d'innombrables applications. Nous pouvons citer parmi elles, le transistor, le circuit intégré, le lecteur CD, l'imagerie par résonance magnétique etc. Derrière ces applications pratiques, il y a des problèmes de physique et de chimie fondamentales, et pour parfaitement comprendre l'origine de cette diversité, il faut remonter aux lois de la mécanique quantique. Il s'agit donc de jeter un pont entre l'échelle macroscopique et le monde quantique, à travers ces fameux 7 ordres de grandeurs. Particulièrement dans ce domaine, les sciences théoriques et expérimentales interagissent énormément. Nous allons donc partir de l'échelle atomique pour essayer de comprendre le comportement macroscopique d'un matériau.
De l'atome au matériau :
10. Commençons donc par la structure atomique. Un atome est composé d'un noyau, autour duquel gravitent des électrons. L'électron est environ 2000 fois plus léger que les protons et neutrons, constituants de base du noyau. La taille de cet ensemble est d'environ 10-10m (un Angstrom).
11. Le système {noyau+électron} semble comparable au système {Terre+soleil}, dans ce cas, l'électron tournerait sur une orbite bien régulière autour du noyau. Il n'en n'est rien. Même si les physiciens ont, pour un temps, cru au modèle planétaire de l'atome, nous savons depuis les débuts de la mécanique quantique que le mouvement de l'électron est bien différent de celui d'une planète !
12. La première différence notable est que l'électron ne suit pas une trajectoire unique. En fait, nous ne pouvons trouver l'électron qu'avec une certaine probabilité dans une région de l'espace. Cette région est appelée orbitale atomique. La forme de ce nuage de probabilités dépend de l'énergie de l'électron et de son moment cinétique. Si cette région est sphérique, on parle d'orbitale « s », (cas de l'atome d'hydrogène où seul un électron tourne autour du noyau). On parle d'orbitale « p » lorsque le nuage de probabilités est en forme de 8, (atome d'oxygène). Enfin, lorsque ce nuage prend une forme de trèfle à quatre feuilles, on parle d'orbitale « d » (atome de fer). Ainsi, il n'existe pas de trajectoires à l'échelle quantique, mais uniquement des probabilités de présence.
13. De plus, l'énergie d'un électron ne peut prendre que certaines valeurs bien déterminées, l'énergie est quantifiée (origine du terme quantique). La localisation de ces différents niveaux d'énergies et la transition entre ces niveaux par émission ou par absorption a été à l'origine de la mécanique quantique. Ces travaux ont valu à Niels Bohr le prix Nobel de physique de 1922. L'état d'énergie le plus bas est appelé état fondamental de l'atome. Il est par ailleurs possible d'exciter l'électron (avec de la lumière, par exemple) vers des niveaux d'énergie de plus en plus élevés. Ceci est connu grâce aux spectres d'émission et d'absorption de l'atome, qui reflètent les différents niveaux d'énergie possibles.
14. La troisième particularité du mouvement de l'électron est son Spin, celui-ci peut être représenté par une représentation imagée : l'électron peut tourner sur lui-même vers la gauche ou vers la droite, en plus de sa rotation autour du noyau. On parle de moment cinétique intrinsèque ou de deux états de Spin possibles. Pauli, physicien autrichien du XXéme siècle, formula le principe d'exclusion, à savoir qu'un même état d'énergie ne peut être occupé par plus de deux électrons de Spin opposé. Nous verrons plus loin qu'il est impossible de connaître l'état macroscopique d'un matériau sans tenir compte du principe d'exclusion de Pauli. Pour l'atome d'hélium par exemple, la première (et seule) couche contient deux atomes et deux seulement, il serait impossible de rajouter un atome dans cette couche, elle est dite complète.
15. On peut considérer grâce à ces trois principes (description probabiliste, niveaux d'énergies quantifiés et principe d'exclusion) que l'on remplit les couches électroniques d'un atome avec les électrons qui le constituent. Les éléments purs, dans la nature, s'organisent alors de manière périodique, selon la classification de Mendeleïev. Cette classification a été postulée de manière empirique bien avant le début de la mécanique quantique, mais cette organisation reflète le remplissage des couches atomiques, en respectant le principe d'exclusion de Pauli.
16. Un autre aspect du monde quantique est l'effet tunnel. Dans le microscope du même nom, cet effet est mis à profit pour mesurer une variation de relief. L'effet tunnel est une sorte de « passe-muraille quantique ». En mécanique classique, un personnage qui veut franchir un obstacle doit augmenter son niveau d'énergie au dessus d'un certain niveau. En mécanique quantique, en revanche, il est possible de franchir cet obstacle avec une certaine probabilité même si notre énergie est inférieure au potentiel de l'obstacle. Bien sûr, cette probabilité diminue à mesure que cette différence d'énergie augmente.
17. Cet effet tunnel assure la cohésion des solides, et permet aussi à un électron de se délocaliser sur l'ensemble d'un solide. Cet effet tunnel est possible grâce à la dualité de l'électron : il est à la fois une particule et une onde. On peut mettre en évidence cette dualité grâce à l'expérience suivante : une source émet des électrons un par un, ceux-ci ont le choix de passer entre deux fentes possibles. La figure d'interférence obtenue montre que, bien que les électrons soient émis un par un, ils se comportent de manière ondulatoire.
18. Les électrons des couches externes de l'atome (donc les moins fortement liés au noyau) vont pouvoir se délocaliser d'un atome à l'autre par effet tunnel. Ces « sauts », sont à l'origine de la cohésion d'un solide et permettent également la conduction d'un courant électronique à travers tout le solide.
19. Une autre conséquence de cet effet tunnel est que l'énergie d'un solide n'est pas une simple répétition n fois des niveaux d'énergie de chaque atome isolé. En réalité, il apparaît une série d'énergies admissibles qui se répartissent dans une certaine gamme d'énergie, cette gamme est appelée bande d'énergie permise. D'autres gammes restent interdites. Ainsi, si les atomes restent éloignés les uns des autres, les bandes d'énergies admises sont très étroites, mais à mesure que la distance inter-atomique diminue, ces bandes s'élargissent et le solide peut alors admettre une plus large gamme de niveaux d'énergie.
20. Nous pouvons penser, comme dans la classification périodique, que les électrons remplissent ces bandes d'énergies, toujours en respectant le principe d'exclusion de Pauli. L'énergie du dernier niveau rempli est appelée énergie du niveau de Fermi. La manière dont se place ce dernier niveau rempli va déterminer la nature du matériau (métal ou isolant). Si le niveau de Fermi se place dans une bande d'énergie admise, il sera très facile d'exciter les électrons, le matériau sera donc un métal. Si au contraire le niveau de Fermi se place dans une bande d'énergie interdite, il n'est pas possible d'exciter les électrons en appliquant une petite différence de potentiel, nous avons donc affaire à un isolant. Enfin, un semi-conducteur est un isolant dont la bande d'énergie interdite (« gap », en anglais), est suffisamment petite pour que l'on puisse exciter un nombre significatif de porteurs de charge simplement avec la température ambiante.
Nous voyons donc que l'explication de propriétés aussi courantes des matériaux repose sur les principes généraux de la mécanique quantique.
21. Ainsi, dans un solide constitué d'atomes dont la couche électronique externe est complète, les électrons ne peuvent sauter d'un atome à l'autre sans violer le principe d'exclusion de Pauli. Ce solide sera alors un isolant.
22-23. En réalité, les semi-conducteurs intrinsèques (les matériaux qui sont des semi-conducteurs à l'état brut) ne sont pas les plus utiles. On cherche en fait à contrôler le nombre de porteurs de charge que l'on va induire dans le matériau. Pour cela, il faut créer des états d'énergies très proches des bandes permises (bande de conduction ou bande de Valence). On introduit à ces fins des impuretés dans le semi-conducteur (du bore dans du silicium, par exemple) pour fournir ces porteurs de charges. Si on fournit des électrons qui sont des porteurs de charges négatifs, on parlera de dopage N. Si les porteurs de charges sont des trous créés dans la bande de Valence, on parlera de dopage P.
24. L'assemblage de deux semi-conducteurs P et N est la brique de base de toute l'électronique moderne, celle qui permet de construire des transistors (aux innombrables applications : amplificateurs, interrupteurs, portes logiques, etc.). Le bond technologique dû à l'invention du transistor dans les années 1950 repose donc sur tout l'édifice théorique et expérimental de la mécanique quantique. L'invention du transistor a valu le prix Nobel en 1956 à Brattain, Shockley et Bardeen. Le premier transistor mesurait quelques centimètres, désormais la concentration dans un circuit intégré atteint plusieurs millions de transistors au cm². Il existe même une célèbre loi empirique, proposée par Moore, qui observe que le nombre de transistors que l'on peut placer sur un microprocesseur de surface donnée double tous les 18 mois. Cette loi est assez bien vérifiée en pratique depuis 50 ans !
25. En mécanique quantique, il existe un balancier permanent entre théorie et expérience. La technologie peut induire de nouvelles découvertes fondamentales, et réciproquement.
Ainsi, le transistor à effet de champ permet de créer à l'interface entre un oxyde et un semi-conducteur un gaz d'électrons bidimensionnel, qui a conduit à la découverte de « l'effet Hall quantifié ».
26. Cette nappe d'électron présente une propriété remarquable : lorsqu'on applique un champ magnétique perpendiculaire à sa surface, la chute de potentiel dans la direction transverse au courant se trouve quantifiée de manière très précise. Ce phénomène est appelé effet Hall entier (Klaus von Klitzing, prix Nobel 1985) ou effet Hall fractionnaire (Robert Laughlin, Horst Stormer et Daniel Tsui, prix Nobel 1998).
27. L'explication de ces phénomènes fait appel à des concepts fondamentaux de la physique moderne comme le phénomène de localisation d'Anderson, qui explique l'effet des impuretés sur la propagation des électrons dans un solide. Nous voyons donc encore une fois cette interaction permanente entre technologie et science fondamentale.
La supraconductivité :
28. Il existe donc des métaux, des isolants, des semi-conducteurs. Il existe un phénomène encore plus extraordinaire : la supraconductivité. Il s'agit de la manifestation d'un phénomène quantique à l'échelle macroscopique : dans un métal « normal », la résistance tend vers une valeur finie non nulle lorsque la température tend vers 0 alors que dans un métal supraconducteur, la résistance s'annule en dessous d'une certaine température dite critique. Les perspectives technologiques offertes par la supraconductivité paraissent donc évidentes car il serait alors possible de transporter un courant sans aucune dissipation d'énergie. Le problème est de contrôler la qualité des matériaux utilisés, et il serait évidemment merveilleux de pouvoir réaliser ce phénomène à température ambiante...
29. La supraconductivité a été découverte par Kammerlingh Onnes en 1911 quand il refroidit des métaux avec de l'hélium liquide à une température d'environ 4 degrés Kelvin.
30. Ce phénomène ne fut expliqué que 46 ans plus tard, car il fallait tout l'édifice de la mécanique quantique pour réellement le comprendre. Nous devons cette explication théorique à Bardeen, Cooper et Schieffer à la fin des années 1950.
31. Dans un métal, il y a une source naturelle d'attraction entre les électrons. On peut imaginer que chaque électron déforme légèrement le réseau cristallin et y attire un autre électron pour former ce que l'on nomme une paire de Cooper. Ces paires peuvent échapper au principe d'exclusion de Pauli car elles ont un Spin 0. Elles se comportent alors comme des bosons et non plus comme des fermions, et s'écroulent dans un même état d'énergie pour former un état collectif. Le matériau a un comportement analogue à l'état de superfluide de l'hélium 4. Toutes ces paires de Cooper sont donc décrites par une unique fonction d'onde, c'est un état quantique macroscopique. Il existe donc de nombreuses propriétés qui révèlent cet état quantique à l'échelle du matériau.
32. A la fin des années 1950, la théorie de la supraconductivité est enfin comprise et le but est maintenant d'augmenter la température critique. Une véritable course est alors lancée, mais celle-ci n'eut pas que des succès. Alors que en 1911 Kammerlingh Onnes observait la supraconductivité du mercure à une température de 4K, à la fin des années 80, nous en étions encore à environ 30K. En 1986, cette température critique fait un bond considérable et se trouve aujourd'hui aux alentours des 140K. La température de l'azote liquide étant bien inférieure à ces 140K, il est désormais moins coûteux d'obtenir des supraconducteurs.
33. Ces supraconducteurs possèdent des propriétés étonnantes. Par exemple, un champ magnétique ne peut pénétrer à l'intérieur d'un matériau supraconducteur. Ceci permet de faire léviter un morceau de supraconducteur en présence d'un champ magnétique !
34. Cette « lévitation magnétique » offre de nouvelles perspectives : il est par exemple possible de faire léviter un train au dessus de ses rails, il faut alors très peu d'énergie pour propulser ce train à de grandes vitesses. Un prototype japonais a ainsi atteint des vitesses de plus de 500km/h.
Les supraconducteurs permettent de créer des champs magnétiques à la fois très intenses et contrôlés, et servent donc pour l'imagerie par résonance magnétique (IRM). Ceci offre bien sûr de nouvelles possibilités en imagerie médicale.
Les supraconducteurs peuvent être également utilisés pour créer de nouveaux outils pour les physiciens : dans le nouvel accélérateur de particules au CERN à Genève, les aimants sont des supraconducteurs.
35. L'année 1986 voit une véritable révolution dans le domaine de la supraconductivité. Bednorz et Muller découvrent en effet une nouvelle famille de matériaux supraconducteurs qui sont des oxydes de cuivre dopés. En l'absence de dopage, ces matériaux sont des isolants non-conventionnels, dans lesquels le niveau de Fermi semble être dans une bande permise (isolants de Mott). La température critique de ces supraconducteurs est bien plus élevée que dans les supraconducteurs conventionnels : le record est aujourd'hui de 138 degrés Kelvin pour un composé à base de mercure. C'est une très grande surprise scientifique que la découverte de ces nouveaux matériaux, il y a près de vingt ans.
Des matériaux aux propriétés étonnantes :
36. Ces sont donc des isolants d'un nouveau type, dits de Mott. Ces matériaux sont isolants non pas parce que leur couche extérieure est pleine mais parce que les électrons voulant sauter d'un atome à l'autre par effet tunnel se repoussent mutuellement.
37. La compréhension de la physique de ces matériaux étonnants est un grand enjeu pour les physiciens depuis une vingtaine d'années. En particulier, leur état métallique demeure très mystérieux et ne fait à ce jour pas le consensus de la communauté scientifique.
38. Il est également possible de fabriquer des métaux à partir de molécules organiques, nous obtenons alors des « plastiques métalliques » pouvant également devenir supraconducteurs en dessous d'une certaine température (découverte par Denis Jérome et son équipe à Orsay en 1981). Le diagramme de phase des supraconducteurs organiques est au moins voire plus compliqué que celui des oxydes métalliques.
39. Actuellement, des recherches sont menées sur des alliages ternaire, et quaternaires qui semblent offrir encore de nouvelles propriétés. Par exemple, les oxydes de manganèse ont une magnétorésistance colossale, c'est-à-dire que leur résistance varie beaucoup en présence d'un champ magnétique. Cette particularité pourrait être utilisée dans le domaine de l'électronique de Spin, où on utilise le Spin des électrons, en plus de leur charge pour contrôler les courants électriques. Les oxydes de Cobalt, quant à eux, présentent la propriété intéressante d'être des thermoélectriques (i.e capables de produire un courant électrique sous l'action d'un gradient de température).
Il existe donc de très nombreux défis dans ce domaine, ils sont de plusieurs types. D'abord, l'élaboration de structures peut permettre de découvrir de nouveaux matériaux aux nouvelles propriétés qui soulèvent l'espoir de nouvelles applications.
Mais il existe aussi des défis théoriques : est il possible de prédire les propriétés d'un matériau à partir des lois fondamentales ? Des progrès importants ont été réalisés durant la seconde partie du XXème siècle et ont valu à Walter Kohn le prix Nobel de chimie. Cependant, ces méthodes ne sont pas suffisantes pour prédire la physique de tous les matériaux, en particulier de ceux présentant de fortes corrélations entre électrons. Les puissances conjuguées de la physique fondamentale et calculatoire des ordinateurs doivent être mise à service de ce défi. Par ailleurs, de nouveaux phénomènes apparaissent dans ces matériaux qui amèneront certainement des progrès en physique fondamentale.
La chimie, la physique et l'ingénierie des matériaux et de leurs propriétés électroniques semblent donc avoir de beaux jours devant eux !
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