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Rüdiger Gamm, calculateur prodige

 

 

 

 

 

 

Rüdiger Gamm, calculateur prodige
Laure Zago, Mauro Pesenti, Nathalie Tzourio-Mazoyer dans mensuel 344


Des expériences effectuées sur un expert en calcul révèlent, pour la première fois, les aires cérébrales activées pendant ses exploits. Pour résoudre ses problèmes mathématiques, l'Allemand Rüdiger Gamm utilise, contrairement à tout un chacun, sa mémoire à long terme.
Etes-vouscapablesde retenir mentalement les commandes d'une dizaine de clients dans une brasserie, la succession des déplacements des pièces d'une partie entière d'échecs ou une liste de plusieurs dizaines de mots que l'on vient de vous lire ? Si vous n'êtes pas serveur dans un bar, joueur d'échecs chevronné ou mnémoniste professionnel, probablement pas !

La faute est imputable à notre « mémoire de travail à court terme », celle qui nous permet de maintenir à l'esprit des informations diverses le temps nécessaire à leur utilisation. Cette mémoire est en effet ainsi faite que, bien qu'on puisse y faire entrer très rapidement toutes sortes d'informations, elle a une capacité et une durée limitées et est très sensible aux interférences externes. En moyenne, nous pourrons ainsi retenir, durant quelques secondes, 7 ± 2 éléments1 non reliés par exemple, un numéro de téléphone le temps de le composer. Toute pensée ou information nouvelle viendra perturber le maintien et, dans la plupart des cas, effacer irrémédiablement ces éléments, qui seront de toute façon oubliés sitôt utilisés. La mémoire dite « à long terme » contient, quant à elle, toutes nos connaissances et nos souvenirs. Si elle requiert plus de temps d'encodage, elle n'a pas de limites connues et, peu sensible aux interférences, est pratiquement permanente. Pourtant, il est commun pour un serveur de retenir une longue liste de commandes ou, pour un joueur d'échecs, de rappeler les phases d'une partie, alors que ni l'un ni l'autre n'a passé beaucoup de temps pour mémoriser ces informations. Ces experts ont-ils « un truc » ? Possèdent-ils une mémoire à court terme phénoménale qui leur permet d'emmagasiner à volonté toute information qui se présente à eux ? Leurs capacités accrues de mémoire traduisent-elles simplement une accélération et une optimisation d'un processus existant ou au contraire un fonctionnement cérébral différent ?

Mémoire à long terme. A la fin des années 1980 et au début des années 1990, le psychologue américain K. Anders Ericsson et ses collègues tentèrent d'expliquer les performances des experts par l'utilisation de ce qu'ils appelèrent la mémoire de travail à long terme2. Au lieu d'utiliser leur mémoire à court terme et être ainsi soumis aux limites de celle-ci, les experts développeraient, grâce à leur pratique intensive, des réseaux structurés de connaissances et des mécanismes particuliers pour encoder rapidement les éléments dans leur mémoire à long terme. Ils y récupéreraient efficacement toute nouvelle information liée à leur domaine d'expertise. Autrement dit, les experts surmonteraient les limites de la mémoire à court terme en utilisant leur mémoire à long terme. Ils développeraient des procédures d'indiçage efficaces afin de contrecarrer la lenteur des processus d'encodage et de récupération des informations de leur mémoire à long terme. Si cette proposition avait reçu le soutien de quelques observations empiriques portant sur les performances d'experts, il lui manquait encore une démonstration expérimentale forte, tout particulièrement quant à la question du substrat cérébral impliqué dans l'expertise.

Les réseaux cérébraux impliqués chez les experts s'accorderaient-ils avec cette idée d'une mémoire de travail à long terme ? Pour répondre à cette question, nous avons étudié l'activité cérébrale d'un expert en calcul réalisant des calculs mentaux et avons mis en évidence les réseaux cérébraux plus actifs chez lui que chez des sujets non experts. Pour un adulte, la résolution de problèmes arithmétiques simples par exemple, 2 x 3 ou 3 x 6 n'implique pas réellement de calcul. Ces problèmes ont en effet été mémorisés durant l'enfance, sont stockés en mémoire à long terme au sein d'un réseau associatif, et sont tout simplement récupérés directement en mémoire lorsqu'ils sont rencontrés3. Au contraire, des problèmes plus complexes notamment le produit de deux nombres à deux chiffres : 63 x 48 n'ont jamais été mémorisés et requièrent réellement l'application de procédures de calcul. La plupart des adultes scolarisés sont capables de résoudre mentalement ces problèmes au prix de beaucoup de temps et d'efforts. De fait, leurs performances sont généralement assez médiocres. De tels calculs présentent en effet une charge importante pour la mémoire à court terme : il faut garder à l'esprit les éléments du problème, rechercher une stratégie de résolution, appliquer pas à pas cette stratégie et contrôler à chaque étape son application correcte. Il faut de plus rechercher des résultats intermédiaires, les garder temporairement en mémoire, puis les oublier une fois qu'ils ont été utilisés. Enfin, il faut appliquer des règles arithmétiques de base qui permettent de décomposer les éléments et de combiner correctement les résultats intermédiaires. On comprend dès lors aisément les difficultés rencontrées par un sujet tout venant confronté à de tels calculs : les limites de la capacité de sa mémoire à court terme sont rapidement atteintes par le nombre d'informations à retenir et d'opérations à effectuer, ce qui rend la résolution très fastidieuse et sujette à l'erreur.

Il existe pourtant des individus, que l'on appelle « calculateurs prodiges » ou calculateurs experts, capables de réaliser mentalement des calculs complexes, très rapidement et apparemment sans grand effort4. Rüdiger Gamm, un jeune Allemand de 26 ans, est de ceux-là. Il peut élever jusqu'à la puissance 15 tous les nombres à 2 chiffres, multiplier entre eux des nombres à 2 ou 3 chiffres, calculer des sinus et des racines, diviser entre eux deux nombres premiers et donner le résultat avec plus de 60 décimales correctes voir tableau. Il peut encore réaliser des calculs de calendrier, c'est-à-dire donner, pour n'importe quelle date passée ou à venir, le jour de la semaine correspondant. Dans nos travaux5, nous avons étudié les capacités de calcul de Rüdiger et montré que sa bonne connaissance des opérations arithmétiques de base, sa maîtrise d'algorithmes de résolution et son excellente mémoire pour les données numériques sous-tendaient son expertise. Nous avons aussi montré que Rüdiger avait une mémoire à court terme accrue pour les nombres. Il est capable de rappeler à l'endroit et à l'envers 11 chiffres qu'on vient de lui donner, alors que des sujets non experts n'en rappellent que 7 à l'endroit et 5 à l'envers. Cette capacité ne s'applique cependant pas pour des lettres ou des positions spatiales, confirmant par là que les experts ont des capacités de mémoire supérieures uniquement dans leur domaine d'expertise. Enfin, Rüdiger a mémorisé un grand nombre d'informations numériques : il connaît par coeur toutes les puissances des nombres à deux chiffres et peut les donner en moins d'une seconde. Il retient très facilement toute nouvelle information chiffrée puisqu'il peut se souvenir de résultats de problèmes qu'il a résolus quelques heures auparavant. Rüdiger est donc un bon exemple de la manière dont mémoire des nombres et procédures de calcul se combinent pour conduire à l'expertise en calcul.

Activité spécifique. Afin de déterminer les réseaux cérébraux impliqués dans le calcul mental, nous avons mené des études en tomographie par émission de positons TEP au cours desquelles nous avons demandé à Rüdiger6, ainsi qu'à des volontaires masculins non experts en calcul7, de résoudre deux types de problèmes, complexes et simples. Les premiers impliquent l'utilisation de procédures de calcul, tandis que les seconds sont directement récupérés en mémoire. Parmi les processus impliqués lors de la résolution de problèmes complexes, certains le sont aussi lors de la résolution de problèmes simples le traitement visuel du stimulus, la récupération de résultats en mémoire et la production de la réponse. Dès lors, lorsqu'on soustrait l'activité enregistrée pendant la résolution de problèmes simples récupérés en mémoire de l'activité enregistrée durant la résolution de problèmes complexes calculés, on peut isoler les processus de la mémoire de travail à court terme spécifiquement liés au calcul proprement dit. Chez Rüdiger, tout comme chez les sujets non experts, ceux-ci impliquent essentiellement des aires postérieures lobes pariétaux et occipitaux dans les deux hémisphères, et des aires frontales uniquement dans l'hémisphère gauche en vert sur les coupes du cerveau. Or, ces réseaux d'aires ont été observés dans des études sur la mémoire de travail visuo-spatiale8 la partie supérieure du cortex pariétal intérieur et le sillon frontal supérieur gauche et sur l'imagerie mentale visuelle9 les gyri* occipitaux et temporaux inférieurs bilatéraux. Lors de la résolution de problèmes complexes, Rüdiger et les sujets non experts utilisent donc des stratégies imagées visualiser le problème, les étapes, les reports, etc..

Aires cérébrales. Restait à déterminer si Rüdiger présente une quelconque spécificité liée à son expertise : trouvait-on, chez cet expert, des activations susceptibles de démontrer le recours à une mémoire de travail à long terme ? Nous avons dégagé les aires cérébrales plus actives, chez notre expert uniquement, durant le calcul mental. Celles-ci résident essentiellement dans l'hémisphère droit, dans les aires préfrontales et médio-temporales en rouge sur les coupes du cerveau. Or, ces aires font bien partie des réseaux de la mémoire à long terme. Elles sont le siège de processus liés à la mémoire dite « épisodique ». Celle-ci renvoie à l'ensemble des souvenirs d'événements et de faits personnels du sujet qui se souvient, et couvre l'acquisition d'informations à un moment donné afin de créer une nouvelle trace en mémoire l'encodage, le maintien et la consolidation de cette trace à travers le temps, et sa restitution lors d'une occasion ultérieure la récupération. Les activations observées dans le cortex frontal, parahippocampique et cingulaire antérieur droits s'accordent bien avec l'encodage et le rappel des résultats intermédiaires. On sait en outre que le cortex cingulaire antérieur participe également à la détection d'erreurs et de conflit entre des réponses compétitrices. Il joue un rôle de régulateur des processus cognitifs qui reflète bien l'expertise dans l'adaptation du comportement à des situations complexes. Cela se traduit par la capacité qu'a Rüdiger de détecter et de corriger immédiatement ses erreurs occasionnelles de calcul. Enfin, les structures temporales médianes droites hippocampe, parahippocampe et régions proches sont plus particulièrement impliquées dans les aspects visuo-spatiaux de la mémoire épisodique, la région parahippocampique droite prenant en charge le stockage et le maintien d'informations sur de longs délais. Ceci est donc en accord non seulement avec les résultats montrant l'implication de la mémoire de travail à court terme visuo-spatiale, mais aussi avec l'idée de l'implication d'une mémoire de travail, cette fois à long terme.

Dans le cas de Rüdiger Gamm, l'expertise cognitive ne correspond donc pas uniquement à une accélération de processus existants ou à une modulation locale des activations. Elle implique des stratégies cognitives radicalement différentes, sous-tendues par des aires cérébrales différentes, qui permettent de circonvenir aux limitations de la mémoire à court terme. Contrairement aux autres, l'expert en calcul sait s'appuyer sur sa mémoire de travail à long terme. Il reste maintenant à démontrer que d'autres formes d'expertise correspondent à ce schéma.
1 G.A. Miller, Psychological Review, 63, 81, 1956.

2 K.A. Ericsson, W. Kintsch, Psychol. Review, 102 2, 211, 1995.

3 M.H. Ashcraft, Cognition, 44, 75, 1992.

4 S.B. Smith, The G reat M ental C alculators, Columbia University Press, 1983.

5 M. Pesenti et al., Mathematical Cognition, 5, 97, 1999.

6 M. Pesenti et al., Nature Neuroscience, 4, 103, 2001.

7 L. Zago et al., NeuroImage, 13, 314, 2001.

8 J.V. Haxby et al., NeuroImage, 11 2, 145, 2000.

9 E. Mellet et al., Neuroimage, 8, 129, 1998.
NOTES
*Les gyri sont des structures anatomiques cérébrales : ils correspondent aux plis du cerveau, alors que les sillons correspondent aux creux.

 

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LES TRACES CACHÉES DE NOS SOUVENIRS

 

Les traces cachées de nos souvenirs
Pierre Gagnepain, Karine Lebreton, Béatrice Desgranges,Francis Eustache dans mensuel 432


Notre mémoire inconsciente rappelle sans que nous nous en apercevions des informations qui nous aident à reconnaître des visages, des mots ou des sons. On vient de découvrir qu'elle a aussi un rôle essentiel dans la formation de nos souvenirs conscients.
Tous les souvenirs qui constituent notre mémoire n'ont pas le même degré de précision. Certains sont riches et vivaces, d'autres paraissent lointains, telle une vieille histoire, voire une sensation imprécise [1] . Dans ces deux cas, on parle de mémoire « explicite ». On oppose souvent cette forme de mémoire à la mémoire « implicite », ou inconsciente, qui nous conduit, par exemple, à « réinventer » involontairement des choses vues ou entendues.

La plupart des travaux d'imagerie cérébrale réalisés jusqu'à présent ont permis de montrer que la mémoire implicite et la mémoire explicite dépendent de structures et de réseaux cérébraux relativement distincts. Ces deux réseaux sont-ils pour autant fonctionnellement indépendants ? De récents travaux, menés notamment par notre équipe à l'Inserm, suggèrent qu'il existe en réalité une contribution importante de la mémoire implicite à la formation des souvenirs explicites.

Pour le comprendre, commençons par nous pencher sur la nature de la mémoire explicite. Prenons, par exemple, cette situation anodine : vous croisez un ami dans la rue avec qui vous avez dîné au restaurant quelques jours auparavant. Une multitude de détails relatifs à cette soirée vont probablement vous revenir au cours de votre discussion : ce que vous vous êtes raconté, le nom du restaurant, ce que vous avez mangé, les personnes présentes, votre état émotionnel, etc. Cet ensemble constitue un souvenir « épisodique » et caractérise un événement précis de votre vie : vous avez quasiment l'impression de « revivre » la scène. Maintenant, supposons que la personne que vous croisez vous est familière, mais que vous êtes incapable de vous rappeler où et quand vous l'avez rencontrée : la situation devient alors beaucoup plus délicate pour vous ! Qu'est-ce qui différencie, dans notre cerveau, un souvenir d'un simple sentiment de familiarité ?

Réseaux spécialisés
Depuis de nombreuses années, les chercheurs ont compris que l'hippocampe, une petite structure enfouie à l'intérieur du lobe temporal, joue un rôle primordial pour distinguer ces deux formes de mémoire explicite [2] . D'un point de vue physiologique, l'hippocampe peut être considéré comme le tube d'un entonnoir vers lequel la plupart des informations traitées par le cortex cérébral convergent. Le cortex cérébral permet de traiter et d'analyser les différentes informations qui composent notre environnement. Par exemple, il existe un réseau cortical spécialisé dans le traitement des visages, un autre dans le traitement des lieux, et de même pour les objets, les mots, les sons, etc. Toutes ces informations sont précieuses pour former un souvenir épisodique riche et détaillé.

L'hippocampe permet l'établissement d'un lien entre ces différentes informations traitées par le cortex. C'est probablement grâce à ce lien que le narrateur de Marcel Proust put se remémorer ses souvenirs à partir du simple goût d'une madeleine [3] ! En revanche, si ce lien n'est pas établi par l'hippocampe, seul un type d'information est mémorisé par exemple un visage ; le souvenir du visage n'est alors pas associé à un contexte particulier lieux, objets environnants, émotions et ne pourra alors générer qu'un sentiment de familiarité.

Prenons un autre exemple, qui caractérise cette fois-ci la mémoire implicite : vous arrivez en retard à une séance de cinéma où vous aviez rendez-vous avec un ami. Celui-ci est déjà installé, et le film a commencé. Malgré la pénombre et le fait que vous ne disposiez que d'informations partielles sur son visage vu de biais, il vous est tout de même assez aisé de retrouver votre ami. Pour accomplir une telle tâche, votre cerveau utilise à votre insu tous les « souvenirs » dont il dispose sur le visage. Les chercheurs ne parlent pas de « souvenirs » mais plutôt de représentations dans ce cas précis. Ainsi, afin de reconnaître un visage, un mot ou un son, nous utilisons de manière plus ou moins consciente les représentations mentales dont nous disposons.

Pour objectiver expérimentalement ces phénomènes de mémoire implicite, les psychologues ont recours au paradigme d'amorçage : le fait d'avoir été exposé une première fois à un stimulus visage, son, mot, etc. permet d'identifier plus efficacement et rapidement ce même stimulus lors d'une seconde présentation. Ce phénomène n'est pas en soi un résultat extraordinaire. Bien plus intéressant, en revanche, est le fait que les sujets n'ont pas conscience d'utiliser leur mémoire et le souvenir de la première présentation, tout comme lors de la situation du cinéma prise pour exemple.

Principe d'économie
Comment ces phénomènes de mémoire implicite se produisent-ils dans le cerveau ? Lors d'une expérience récente utilisant l'imagerie par résistance magnétique fonctionnelle IRMf, nous avons enregistré l'activité cérébrale associée aux effets d'amorçage pendant que des sujets sains jeunes entendaient des mots [4] . Lors de la seconde présentation des mots, la voix était filtrée comme si les mots étaient entendus derrière une porte situation similaire, pour la perception auditive, à l'exemple du visage dans la pénombre. Selon nos résultats, les populations neuronales qui réagissent habituellement à l'écoute des mots, notamment dans le cortex auditif, diminuent le niveau de leur réponse lors de la seconde présentation des mots [fig. 1] . En outre, cette réponse diminue d'autant plus que les sujets sont rapides pour identifier les mots entendus.

Ce résultat est un peu contre-intuitif car on pourrait penser que plus l'identification d'un mot est rapide, et plus la réponse neuronale sous-jacente devrait être forte. En réalité, tout se passe comme si la première présentation des mots avait agi tel un entraînement, permettant aux neurones, lors de la seconde présentation, de produire une réponse plus faible, mais en même temps plus ciblée, plus précise et moins coûteuse en énergie. Cela met en lumière une fonction essentielle de la mémoire implicite : le principe d'« économie », qui permet au cerveau de percevoir le monde qui nous entoure plus rapidement et efficacement en utilisant peu d'énergie grâce à l'exploitation inconsciente des représentations en mémoire. La mémoire implicite optimise en quelque sorte le rapport qualité-prix !

Comment la mémoire implicite peut-elle influencer la nature du souvenir ? Ce principe d'« économie » cérébrale lié à la mémoire implicite permet-il seulement de percevoir plus facilement le monde qui nous entoure ou modifie-t-il également les souvenirs que nous en formons ? Reprenons l'exemple du cinéma. Comme nous l'avons vu, le cerveau utilise à notre insu les représentations en mémoire afin de faciliter la détection du visage. Cette mémoire implicite influence-t-elle en retour le souvenir épisodique qui sera formé de cette situation ?

Bien que certains auteurs aient envisagé ce dialogue entre mémoire implicite et mémoire explicite, très peu d'études permettent d'étayer ce point [5] . Nous avons réalisé une expérience originale qui repose sur notre procédure d'amorçage de mots entendus. Cependant, cette fois, lors de la seconde présentation des mots, ceux-ci étaient rendus difficilement audibles en les mélangeant à un contexte sonore un bruit de moto ou des applaudissements - une situation fréquente dans la vie de tous les jours. Une fois l'épreuve d'amorçage terminée, nous avons interrogé les sujets sur les souvenirs qu'ils avaient des mots et du contexte sonore. Si les sujets étaient capables de restituer le mot et son contexte sonore, il s'agissait alors d'un véritable souvenir épisodique précis et détaillé. En revanche, si seul le mot était mémorisé, leur réponse reflétait davantage un simple sentiment de familiarité.

Contexte perturbateur
Nous avons étudié ces phénomènes d'un point de vue comportemental préalablement à une étude d'imagerie cérébrale [6] . Comme nous l'espérions, les sujets étaient plus rapides pour identifier les mots lors de la seconde présentation car ils avaient utilisé leur « souvenir implicite » de la première présentation. De manière intéressante, cette habileté était corrélée avec le nombre de souvenirs épisodiques qu'ils étaient capables de restituer. Ainsi, plus les sujets étaient rapides pour identifier le mot, et plus ils retenaient en mémoire épisodique le mot et son contexte sonore ! En d'autres termes, plus les sujets exploitaient inconsciemment des informations pour comprendre un mot entendu dans un contexte sonore perturbateur, et plus leur capacité à se souvenir de ce mot et de son contexte était renforcée. Les données d'imagerie cérébrale que nous avons récemment acquises appuient également cette conclusion : plus la réponse du cortex diminue, en accord avec le principe d'économie caractérisant le fonctionnement de la mémoire implicite, et plus le traitement opéré par l'hippocampe est efficace.

Le cheminement de cette conception dans la communauté scientifique dépendra de notre capacité à mieux comprendre ces mécanismes dans le cerveau. Et ce n'est pas une mince affaire ! En effet, l'IRMf bien que spatialement très précise souffre d'une résolution temporelle relativement éloignée des processus neuronaux. Par ailleurs, les techniques de mesure non invasives en électrophysiologie qui ne souffrent pas de cette critique, comme la mesure des ondes cérébrales à l'aide d'électrodes, sont quant à elles très peu sensibles aux structures profondes du cerveau telles que l'hippocampe.

À terme, une meilleure compréhension des relations unissant les différentes formes de mémoire [7] permettra de proposer des stratégies novatrices pour la prise en charge des pathologies de la mémoire, notamment la maladie d'Alzheimer. En effet, certaines stratégies consistent à exploiter les capacités de mémoire implicite préservées de ces patients pour remédier à leurs déficits de mémoire explicite.

EN DEUX MOTS Contrairement à ce que l'on a longtemps pensé, la mémoire explicite ce dont nous nous souvenons consciemment et la mémoire implicite inaccessible à la conscience ne fonctionnent pas de façon indépendante. Selon des résultats récents, la mémoire implicite modifie la manière dont nous enregistrons des informations en mémoire explicite. Restent à préciser les relations fines entre les principales zones concernées, le cortex cérébral et l'hippocampe.
[1] E. Tulving, Annual Review of Psychology, 53, 1, 2002.

[2] H. Eichenbaum et al., Annual Review of Neuroscience, 30, 123, 2007.

[3] F. Eustache et al., Sciences humaines, 201, 47, 2009.

[4] P. Gagnepain, et al., Journal of Neuroscience, 28, 5281, 2008.

[5] C.J. Berry et al., Trends in Cognitive Science, 12, 367, 2008.

[6] P. Gagnepain et al., Consciousness and Cognition, 17, 276, 2008.

[7] F. Eustache et B. Desgranges, Neuropsychology Review, 18, 53, 2008.


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NAISSANCE D'UNE BIOLOGIE DU LANGAGE

 

Naissance d' une biologie du langage
Richard Wise dans mensuel 289


La parole est liée à des variations précisément localisées de l'activité cérébrale. L'analyse n'en est pas facile : l'énonciation est l'acte moteur le plus complexe qu'il nous soit donné de réaliser. Par ailleurs, l'imagerie cérébrale présente une résolution temporelle et spatiale insuffisante pour suivre en temps réel le processus d'énonciation d'un mot. Une cartographie du langage s'esquisse cependant, de même qu'une sorte de dynamique du discours. Ainsi constate-t-on que dire des mots abstraits se traduit par un débit sanguin plus élevé que l'énonciation de mots concrets...
Ce que nous savons du monde est emmagasiné dans des mémoires à long terme, que nous partageons avec tous les membres de notre culture. Par exemple, tous les automobilistes du monde réagissent de la même façon quand ils voient s'allumer les feux de stop du véhicule qui les précède. Ce qui nous distingue des autres primates est que nous pouvons exprimer par des mots le sens de notre comportement : en levant le pied de l'accélérateur, le chauffeur saura précisément que, même s'ils n'ont pas remarqué le signal de la voiture de devant, ses passagers comprendront immédiatement ce qu'il dira pour expliquer son comportement, dès lors qu'ils partagent sa culture et son langage.

Cela est rendu possible par l'existence dans le cerveau humain de systèmes neuraux spécialisés, dont nous pouvons localiser la distribution approximative par l'examen de sujets présentant une pathologie liée à une lésion cérébrale bien localisée. La coupe présentée en figure 1 est l'image par résonance magnétique IRM du cerveau d'une patiente qui, justement, avait perdu la compréhension du sens des feux de stop. Un jour, elle demanda à sa fille ce que les autres automobilistes voulaient dire avec leurs feux rouges - sa fille eut la présence d'esprit de lui interdire le volant. La personne ne perdait pas seulement la connaissance du sens et des conventions attachés à beaucoup d'objets du monde réel, mais aussi du sens de nombreux mots entendus ou lus. Son élocution était aisée et grammaticalement correcte, elle répétait sans mal des mots et des phrases, mais ses énoncés spontanés étaient relativement « vides » , elle semblait incapable de trouver les mots exprimant ses pensées et ses désirs. On constate sur l'image une atrophie très nette de l'aspect inféro-latéral du lobe temporal gauche, consécutive à une maladie neurodégénérative. Le déficit des connaissances sémantiques pourrait être attribué à cette atrophie cérébrale.

La figure 2 illustre le cas d'une autre patiente qui n'avait, elle, rien perdu de ses connaissances sur le monde, mais conservait d'un infarctus cérébral des troubles du langage. L'infarctus avait irrémédiablement abîmé le gyrus* du lobe temporal gauche. Deux ans après l'accident, la patiente pouvait convenablement comprendre et parler, mais lentement, et en sautant parfois des mots. Elle comprenait mal les phrases complexes et ne pouvait répéter que des énoncés très courts. En revanche, elle réussissait parfaitement les épreuves de connaissance sémantique.

Ces deux cas résument 150 ans d'observations. La conclusion globale en est que les représentations des mots sont représentées dans le cortex périsylvien adjacent à la scissure de Sylvius gauche et, dans une certaine mesure, par les lobes temporaux, pariétaux et frontaux. Le sens des mots, des images et des objets est pour sa part représenté dans le cortex extrasylvien gauche, notamment dans le cortex temporal inféro-latéral, mais probablement aussi dans le lobe pariétal et le cortex préfrontal gauches. Par exemple, un petit carnivore domestiqué à fourrure qui ronronne est un animal familier dont le savoir que nous en avons est représenté dans le cortex gauche extrasylvien, tandis que la structure sonore du mot désignant cet animal en anglais, « cat » , en français « chat » , en persan « gorbe » est représentée dans le gyrus supérieur temporal gauche.

On admet généralement que chez la plupart des droitiers et un grand nombre de gauchers, les mots et leur sens sont latéralisés à gauche. C'est pourquoi on attribue volontiers les troubles de la communication à des lésions localisées dans l'hémisphère gauche, telles que les accidents ischémiques*. Les troubles du langage consécutifs à une lésion de l'hémisphère droit sont moins marqués, mais se manifestent notamment par la perte de l'accent tonique dans l'acte énonciatif et l'incapacité à saisir les formes d'humour.

La localisation des fonctions à partir des données lésionnelles pose plusieurs problèmes méthodologiques. De toute évidence, l'avènement de la tomodensitométrie aux rayons X assistée par ordinateur et, plus récemment, de l'imagerie par résonance magnétique IRM a permis de localiser les lésions avec une précision que n'atteignait naguère que l'examen post mortem. Cependant, avant d'associer un processus psychologique normal à un endroit du cerveau par la méthode de l'analyse des déficits observation de la perte de certaines facultés plutôt que d'autres et de la localisation des lésions sur des images cérébrales, il faut poser un certain nombre d'hypothèses. La fonction étudiée - dans notre exposé, le langage - doit être modélisée comme un ensemble de processus liés à une région cérébrale. Il faut alors trouver un patient dont les fonctions langagières résiduelles s'expliquent au mieux par le dysfonctionnement d'un ou de quelques-uns de ces processus. Cela suppose que le déficit comportemental ne provienne pas d'un mécanisme parallèle et moins efficace mis en oeuvre par le patient pour compenser la perte totale de la fonction. Quand ces conditions sont réunies, rien ne prouve que l'emplacement de la lésion soit en rapport direct avec le site d'une fonction donnée. Les lésions focales, consécutives à un infarctus cérébral ou à un traumatisme crânien par exemple, sont contrôlées par des facteurs anatomiques et échappent aux frontières fonctionnelles. Il n'est pas rare qu'elles soient importantes, voire multiples. Elles peuvent affecter les voies conductrices de la substance blanche ou les noyaux profonds du cerveau, ainsi que la substance grise corticale. L'anomalie fonctionnelle que l'on observe alors peut tout aussi bien provenir de la défaillance d'une fonction mobilisant des régions cérébrales diverses et intactes que de la détérioration corticale due à la lésion.

L'imagerie cérébrale fonctionnelle a permis d'établir un lien entre structure et fonction. Sur des sujets normaux, les régions corticales sollicitées par une tâche donnée se révèlent par l'augmentation du débit sanguin des zones cérébrales1.

Les nouvelles techniques permettent de déceler d'infimes variations de cette activité. L'imagerie cérébrale présente bien entendu des limites, mais elles n'ont rien de rédhibitoire tant qu'elles sont prises en compte lors de la conception des études. Le temps est la première de cette limite. L'énonciation est l'acte moteur le plus complexe qu'il nous soit donné de réaliser et nous pouvons produire 10 à 15 phonèmes par seconde. Mais la mesure du flux sanguin des zones cérébrales prend plusieurs dizaines de secondes par la tomographie par émission de positons TEP et quelques secondes par l'IRM fonctionnelle - un délai trop long pour saisir en temps réel le déroulement de l'analyse acoustique d'un mot entendu, dont les variations extrêmement rapides de fréquence du signal énonciatif sont détectées par le cerveau en quelques dizaines de millisecondes.

La résolution spatiale est une autre limite des techniques d'imagerie cérébrale fonctionnelle : elle est de 5 à 10 mm en TEP, de 2 à 4 mm en IRM fonctionnelle. Ces techniques ne fournissent donc une résolution des variations de l'activité cérébrale que pour des régions comptant des millions de neurones reliés par des milliards de synapses.

Je vais maintenant résumer les résultats obtenus au moyen de la TEP sur le traitement auditif de mots isolés chez le sujet normal. La lecture a donné lieu à bien d'autres études intéressantes, fondées sur les mêmes principes que les travaux portant sur les mots entendus. En revanche, mis à part les recherches de Mazoyer et de son équipe, le traitement des phrases a rarement été abordé2. Le principal problème réside dans le fait que la syntaxe surajoute du sens à la signification propre des mots, et cette complexité fait des études sur les phrases un objectif que beaucoup jugent pour l'instant trop ambitieux.

Ecouter des mots provoque une activation des deux côtés du cortex auditif primaire et du cortex périauditif situé à sa périphérie. Les autres sons étudiés par imagerie cérébrale fonctionnelle tons, bruits parasites, mots inversés et interjections sollicitent ces mêmes régions. L'activité du cortex auditif augmente proportionnellement au rythme d'audition des mots3. Ce phénomène est illustré par l'étude d'un seul sujet auquel on a fait entendre des mots en accroissant leur rythme de 0 à 90 mots par seconde, l'activation étant mesurée en douze images. L'analyse a identifié deux régions répondant par une augmentation du débit sanguin à l'accélération du rythme d'audition des mots : sur les deux hémisphères, dans les cortex auditifs primaires ou dans leur voisinage immédiat fig. 3.

Les mots étant les sons acoustiques les plus complexes que nous soyons capables d'entendre et d'analyser, leur audition devrait en toute logique se manifester par l'activation d'une zone plus vaste du cortex associatif auditif que lors de l'audition de sons plus simples. C'est ce qui a été démontré en demandant à des sujets d'écouter des mots, puis de repérer dans chacun la présence ou l'absence de phonèmes spécifiques. On leur a par ailleurs demandé d'évaluer la hauteur de ton des sons entendus. En confrontant les résultats des deux exercices, on ne constatait plus l'activation dans la partie postérieure des premiers gyri temporaux, dans la région du cortex auditif primaire, car l'évaluation de la hauteur de ton produisait une activation tout aussi intense dans ces régions : ainsi, il n'était pas possible de distinguer la réponse aux mots de la réponse à d'autres sons. On observait en revanche que le repérage de phonèmes spécifiques entraînait une activité accrue dans les régions plus antérieures des premiers gyri temporaux de chaque hémisphère, légèrement plus intense à gauche4,5.

Une étude récente, dont les résultats ne sont pas encore publiés, nous a permis de confirmer que les sons non-linguistiques complexes et les mots activaient de la même manière le cortex auditif primaire et, à sa périphérie immédiate, le cortex périauditif. Cela ne signifie pas que ces régions ne présentent pas de neurones réagissant différemment. Cependant, la variation moyenne de l'activité synaptique, évaluée sur plusieurs dizaines de millions de synapses, attestait d'une même augmentation globale de l'activité, que les sons soient linguistiques ou non. Comme le laissaient présager les études précédentes, les parties plus antérieures des premiers gyri temporaux n'ont été activées que par des mots. L'audition des mots ne se traduisait par aucune asymétrie des réactions des lobes temporaux, à l'exception de la région la plus postérieure des premiers gyri temporaux, qui présente une réponse à gauche mais pas à droite.

Tout ceci suggère qu'en début de processus le traitement acoustique des mots sollicite très largement la partie antérieure du cortex associatif auditif des deux hémisphères. Ce système est probablement redondant, dans la mesure où les patients présentant des lésions importantes du lobe temporal gauche ou droit conservent la faculté de distinguer les sons des mots. L'activation asymétrique de la région postérieure du premier gyrus temporal gauche indique la présence d'une zone de spécialisation de l'hémisphère gauche pour le traitement des mots - zone où toute lésion risque fort d'entraîner un grave déficit des fonctions langagières.

Nous avons également mis en évidence une région du lobe temporal gauche qui réagit différemment aux mots, selon qu'ils sont abstraits altruisme, idée ou concrets autobus, rhinocéros, etc.. Lorsque nous avons fait écouter à nos sujets des listes de mots mêlant les lexiques abstrait et concret, une partie du cortex associatif auditif réagissait de façon diverse, manifestant une activité plus intense à l'audition des mots les plus abstraits et une baisse d'activité pour les mots les plus concrets. On conçoit aisément les différences fondamentales qui interviennent dans le traitement de ces types de mots : il est en effet plus facile d'expliquer la distinction entre un avion et un planeur qu'entre l'altruisme et la charité. Cette différenciation psychologique a son corrélat physiologique dans le lobe temporal gauche fig. 4. Dans la mesure où le degré d'abstraction d'un mot tient non pas à sa forme sonore mais à sa forme sémantique, cette étude a démontré que les corrélations d'activité peuvent être sensibles aux représentations mentales dans ce cas, de la mémoire sémantique ainsi qu'aux perceptions sensorielles différence de rythme d'émission des mots entendus, par exemple, comme le montre la figure 3.

Il n'est pas nécessaire de comprendre un mot entendu pour le répéter - ce qui nous permet de répéter des mots inversés, tout à fait inédits pour nous, ou d'apprendre des mots dans une langue étrangère avant même d'en connaître le sens. Cette tâche active le cortex sensori-moteur primaire contrôlant la motricité des muscles de l'articulation1. Les études par TEP réalisées à ce jour suggèrent que les activations du cortex auditif associées à l'audition de sa propre voix après répétition ou lecture à voix haute d'un mot sont très semblables à celles que suscite la voix d'un tiers. Cependant, nous nous attendons à entendre notre propre voix au moment même où nous parlons, et si l'on introduit un décalage de l'écoute au moyen de filtres électroniques, ce décalage, aussi bref soit-il, nous déroute inévitablement. Par conséquent, bien qu'il soit tout à fait logique que le même système intervienne pour analyser les contenus de notre discours et de celui d'un autre sans quoi il y aurait une duplication superflue, tout laisse à penser que la perception auditive est modulée par l'anticipation de l'articulation.

Lors de la répétition des mots mono- ou bisyllabiques, le phénomène le plus frappant est l'extraordinaire symétrie de l'activation fig. 5. L'audition de mots et du son de sa propre voix après articulation active les cortex auditif et périauditif, alors que la commande de la motricité des muscles de la phonation muscles de la respiration, larynx et voile du palais, langue, lèvres et mâchoire déclenche une activation sensori-motrice bilatérale.

La restitution de mots isolés peut être obtenue en réponse à un certain nombre d'indices. Une technique largement mise en oeuvre dans les expériences par TEP consiste à demander au sujet de penser à autant de mots que possible commençant par une lettre donnée, ou appartenant à une catégorie sémantique précise animaux, ustensiles de cuisine, etc.. La restitution pouvant porter sur des mots relevant de différentes classes grammaticales, on peut ensuite demander aux sujets d'apparier des verbes associés à la représentation visuelle ou auditive d'un substantif ainsi, le substantif « seau » appellerait des verbes tels que « remplir, vider, porter, tinter » .

La méthode de rappel libre en réponse à une lettre initiale, la restitution de noms à partir d'une catégorie sémantique ou de verbes à partir d'un substantif, sont autant d'exercices qui déclenchent des activations très étendues des surfaces latérales et médianes du lobe frontal gauche6. La partie postérieure du cortex temporal inféro-latéral gauche et la partie postérieure et inférieure du lobe pariétal gauche sont également activées. Contrairement à l'écoute simple ou à la répétition de mots, qui suscitent des activations symétriques autour des deux scissures de Sylvius, la restitution dirigée de mots entraîne une activation importante à l'écart de cette scissure, essentiellement latéralisée à gauche. L'aisance verbale est un processus complexe qui fait intervenir un certain nombre de mécanismes psychologiques indépendants. Dans un premier temps, il s'agit d'une simple tâche analytique, amorçant une stratégie d'aide à la restitution lexicale. Or, pendant cette opération, le sujet doit garder en mémoire l'indice de départ ainsi que ses réponses précédentes, de façon à ne pas se répéter. Il doit faire appel à son bagage cognitif pour récupérer des mots adéquats et rejeter les autres par un mécanisme interne de vérification.

Des études plus spécifiques engagent les sujets à retrouver des mots en réponse à des images. Il peut s'agir de nommer l'objet, de décrire l'utilisation d'un objet utilitaire, ou encore d'évoquer la couleur la plus caractéristique d'un objet dont le dessin est présenté en noir et blanc. Ces travaux ont mis en évidence des activations latéralisées à gauche à l'écart de la scissure de Sylvius, particulièrement dans la partie inférieure et postérieure du cortex temporal7,8. Une étude récente a montré que la reconnaissance des visages célèbres, des animaux et des outils, sollicitent des régions distinctes du lobe temporal gauche, et le site de ces activations, révélé par image TEP, est très proche de l'emplacement des lésions provoquant un déficit du traitement de certaines catégories de mots. Un patient atteint de ce type de trouble nommera par exemple difficilement des outils, mais remettra sans difficulté un nom sur des visages célèbres ou des animaux9.

Au total, les études par tomographie par émission de positons de l'augmentation du débit sanguin des différentes zones cérébrales en réponse aux tâches d'audition et de répétition de mots ont mis en évidence des activations bilatérales autour des deux scissures de Sylvius. Les exercices tels que la compréhension de mots, la restitution de noms à partir de représentations visuelles d'objets inanimés, d'animaux ou de visages, exigeant un traitement des mots plus approfondi, déclenchent des activations largement latéralisées à gauche et distribuées à l'écart de la scissure de Sylvius gauche. Ces études ont permis de localiser le siège du traitement acoustique et phonique des mots, symboles du langage parlé fonctions périsylviennes, et les régions dans lesquelles s'opèrent le traitement sémantique et la dénomination des objets cortex extra-sylvien gauche, essentiellement dans le lobe temporal gauche.
1 S.E. Petersen et al., Nature, 331, 585, 1988.

2 B.M. Mazoyer et al., Journal of Cognitive Neuroscience, 5, 467, 1993.

3 C. Price et al., Neuroscience Letters, 146, 179, 1992.

4 R.J. Zatorre et al., Cerebral Cortex, 6, 21, 1996.

5 J.-F. Demonet et al., Brain, 115, 1753, 1992.

6 E. Warburton et al., Brain, 119, 159, 1996.

7 A. Martin et al., Nature, 379, 649, 1996.

8 A. Martin et al., Science, 270, 102, 1995.

9 H. Damasio et al., Nature, 380, 449, 1996.
NOTES
GYRUS

circonvolution cérébrale située à la surface du cortex.

ACCIDENT ISCHEMIQUE

provoqué par un arrêt ou une insuffisance de la circulation du sang dans un organe ou un tissu.

 

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LA MÉMOIRE 3

 


Identité personnelle et apprentissage


la mémoire et l'oubli - par Pierre Jacob dans mensuel n°344 daté juillet 2001 à la page 26 (2608 mots)
Notre système cognitif forme des représentations de représentations mentales, les nôtres ou celles d'autrui : des métareprésentations. Cette capacité nous permet d'accumuler des souvenirs autobiographiques. Elle nous permet aussi de mémoriser des énoncés que nous ne comprenons pas, ce qui facilite nos apprentissages.

Comme d'autres animaux, les êtres humains construisent et renouvellent leur représentation du monde à partir de deux sources fondamentales : la perception et la mémoire. Faute de percevoir, un animal ne saurait rien de son environnement. Sans mémoire, un système physique par exemple, un thermostat ou une cellule photoélectrique peut sans doute traiter des informations ; mais il ne peut pas apprendre. Autrement dit, il ne peut pas adapter sa conduite aux changements de l'environnement. Or, un système incapable d'apprendre n'est pas un système cognitif authentique.

Toutefois, dans le règne animal, seuls les êtres humains se soucient de leur mémoire. Ils sont aussi les seuls à posséder la faculté de langage. En un mot, seul un être humain peut faire ce que fait le lecteur du présent article de La Recherche : à savoir, sacrifier plusieurs minutes de sa précieuse existence dans le seul but de comprendre un ensemble de phrases d'une langue naturelle consacrées à la mémoire humaine. Pourquoi nous soucions-nous donc de notre mémoire ? Quelle capacité permet aux humains de s'inquiéter de la fiabilité de leur mémoire ?

Suivant la voie ouverte entre autres par Dan Sperber1, de l'institut Jean-Nicod du CNRS, je défends l'idée que la réponse générale à cette question, c'est que la cognition humaine comporte une dimension fondamentalement métacognitive. Nous nous soucions non seulement de notre mémoire mais de notre équipement cognitif en général parce que notre cognition comporte une dimension métacognitive.

Les recherches menées en logique, en philosophie et en sciences cognitives depuis une trentaine d'années ont mis en évidence l'importance des capacités métareprésentationnelles dans la cognition humaine. Un système cognitif produit et manipule des représentations mentales et linguistiques d'états de choses de l'environnement. Une fois produite, une représentation mentale, linguistique ou picturale peut être à son tour représentée par une représentation d'ordre supérieur ou métareprésentation voir l'encadré « Les métareprésentations ». Par exemple, le titre du tableau de Magritte représentant une pipe Ceci n'est pas une pipe est une métareprésentation linguistique d'une représentation picturale d'une pipe.

Dès lors qu'une créature peut métareprésenter des représentations, elle peut tout à la fois représenter ses propres représentations et celles d'autrui. Si l'existence des capacités métareprésentationnelles n'a aucune incidence sur les capacités perceptives d'un organisme, il n'en va pas de même de sa mémoire. Le fait qu'une créature puisse représenter ses propres représentations lui confère une véritable mémoire autobiographique, c'est-à-dire une identité personnelle. Le fait qu'une créature puisse représenter les pensées d'autrui lui confère des capacités d'apprentissage exceptionnelles dans le règne animal. Les métareprésentations jouent un rôle crucial dans la formation des savoirs culturels humains, notamment des savoirs scientifiques.

Mémoire autobiographique. Grâce à ses capacités métacognitives, un individu peut représenter ses propres pensées présentes ou passées. Grâce aux métareprésentations de ses propres représentations mentales, il acquiert donc une mémoire autobiographique qui lui assure son sentiment d'identité personnelle. Elle nourrit le dossier d'informations grâce auxquelles une personne se rapporte à elle-même comme à l'unité plus ou moins cohérente et fragile d'une succession d'expériences à travers le temps.

Au sein de la mémoire humaine, les psychologues contemporains distinguent plusieurs sous-systèmes2. Depuis les travaux de Daniel Schacter, de l'université Harvard, dans les années 1980, on distingue la mémoire déclarative et la mémoire procédurale grâce à laquelle un animal acquiert des habitudes et fait l'apprentissage des gestes moteurs caractéristiques de son espèce. La forme de la mémoire déclarative humaine la plus directement impliquée dans la construction de l'identité personnelle est ce que le psychologue Endel Tulving, de l'université de Toronto, nomme la mémoire épisodique et qu'il oppose à la mémoire sémantique3. La mémoire épisodique n'est autre que ce qu'en 1890 le philosophe-psychologue américain William James nommait purement et simplement « la mémoire4 ». Comme son nom l'indique, elle concerne des épisodes de vie ou des événements singuliers. Grâce à sa mémoire épisodique, un individu peut revivre des événements qu'il a déjà vécus. Comme le dit Tulving, « Le souvenir épisodique a la forme d'un voyage mental à travers le temps subjectif 5 . » Seules les expériences que j'ai directement vécues sont donc des souvenirs épisodiques. En revanche, ma mémoire sémantique est constituée par l'ensemble des connaissances objectives de faits et d'événements dont je n'ai pas été directement témoin et auxquels je n'ai pas directement participé. Contrairement à la mémoire sémantique qui est une source de connaissance à la troisième personne, la mémoire épisodique est égocentrée : elle reflète la perspective de l'individu sur les événements qu'il a vécus voir l'article de Mark Wheeler dans ce numéro.

Le langage ordinairement utilisé pour décrire le contenu de nos expériences perceptives et de nos souvenirs suggère un parallélisme entre la perception et la mémoire humaines. En français, il existe deux usages des verbes de perception : je peux « voir l'ordinateur » et je peux aussi « voir que l'ordinateur est allumé ». Autrement dit, le complément d'objet direct du verbe « voir » peut être un syntagme nominal ou une proposition. A la fin des années 1960, le philosophe Fred Dretske, de l'université du Wisconsin, a soutenu qu'à cette distinction linguistique correspond une distinction psychologique entre deux niveaux distincts de la perception visuelle : la perception simple ou non épistémique d'un objet particulier et la perception épistémique d'un fait6. La perception non épistémique requiert une relation causale directe entre l'objet perçu et celui qui le perçoit. La perception épistémique requiert un minimum de conceptualisation. Un bébé humain ou un animal dépourvu du concept d'ordinateur ne peut pas percevoir au sens épistémique le fait que l'ordinateur est allumé. Mais s'il est à la bonne distance, si l'éclairage est suffisant et si son système visuel est en bon état de fonctionnement, le bébé peut parfaitement voir, au sens non épistémique, un ordinateur. Enfin, en un sens « super-épistémique », je peux voir que le réservoir de mon automobile est vide sans même voir le réservoir de mon automobile. Il suffit pour cela que je voie la jauge à essence sur le tableau de bord et que je sache que la position de l'aiguille de la jauge à essence indique la quantité de carburant dans le réservoir.

De même, il existe une distinction parallèle entre deux usages du verbe « se souvenir ». Je peux me souvenir du linguiste Noam Chomsky et je peux me souvenir que Noam Chomsky est l'auteur de Syntactic Structures . Dans le premier cas, le verbe « se souvenir » a pour complément d'objet un nom. D'un point de vue psychologique, tout se passe comme si je me souvenais d'une entité particulière que j'ai perçue directement dans le passé. Dans le second cas, le verbe « se souvenir » prend pour complément une proposition. D'un point de vue psychologique, je me rapporte par la mémoire à un fait. L'usage propositionnel du verbe « se souvenir » semble donc correspondre à la mémoire sémantique et non à la mémoire épisodique. Je peux avoir en mémoire le fait que Chomsky est l'auteur de Syntactic Structures sans avoir jamais rencontré Chomsky ni vu le livre.

Mémoire égocentrée. La perception non épistémique d'un objet est égocentrée car elle requiert une relation spatiale, immédiate et causale entre l'observateur et l'objet perçu. En revanche, la perception épistémique d'un fait résulte d'un processus de conceptualisation et d'abstraction à partir de la perception simple. De même, parce que les souvenirs épisodiques sont des souvenirs subjectifs de l'expérience passée, la mémoire épisodique est une mémoire égocentrée. Parce que les informations stockées dans la mémoire sémantique sont des connaissances objectives, la mémoire sémantique est une mémoire plus détachée que la mémoire épisodique. Faut-il conclure du parallélisme entre la perception et la mémoire que la mémoire épisodique est à la mémoire sémantique ce que la perception non épistémique des objets est à la perception épistémique des faits ? Pour deux raisons complémentaires, la réponse à cette question est négative.

En premier lieu, quoique la mémoire épisodique soit égocentrée, les souvenirs épisodiques n'en sont pas moins des souvenirs de faits. La perception visuelle a notamment pour but de servir l'action visuellement guidée. Ainsi, nous pouvons saisir et manipuler des objets fixes ou mobiles dans notre environnement grâce au fait que nous les voyons. Nous pouvons adapter la position de notre corps pour suivre continûment la trajectoire d'un objet en mouvement. Nous percevons donc directement le mouvement d'un objet qui se déroule dans l'espace et dans le temps. Mais nous ne mémorisons pas le mouvement d'un objet : nous mémorisons le fait qu'un objet s'est déplacé. Or, le fait qu'un objet s'est mu dans l'espace et dans le temps n'est pas lui-même dans l'espace et dans le temps. Si j'ai vu le mouvement d'un objet et si je m'en souviens, mon souvenir du mouvement de l'objet peut être un souvenir épisodique. Mais le contenu de mon souvenir épisodique n'est pas identique au contenu de ma perception non épistémique du mouvement de l'objet.

Mémoire réflexive. La deuxième différence entre la perception non épistémique et la mémoire épisodique repose sur le fait que celle-ci est, selon la terminologie de Tulving, autonoétique du grec noesis qui veut dire « savoir » : la mémoire épisodique est une source de connaissance de soi. Comme l'a récemment souligné en d'autres termes le philosophe Jérome Dokic de l'université de Rouen et de l'institut Jean-Nicod, ce qui distingue la mémoire épisodique de la mémoire sémantique, c'est sa réflexivité7. Mon souvenir épisodique de Chomsky a ceci de singulier que son contenu concerne l'origine même de ce souvenir : je me souviens que Chomsky était impitoyable dans le débat public mais chaleureux en tête à tête et que ce souvenir de Chomsky dérive de ma rencontre avec lui. Le contenu de ce souvenir épisodique est réflexif car il porte en partie sur Chomsky et en partie sur lui-même. En vertu du fait qu'il porte sur lui-même, c'est un souvenir métareprésentationnel ou « souvenir de second ordre ». Un souvenir épisodique est autonoétique parce qu'il représente nécessairement le fait qu'il dérive lui-même de l'expérience personnelle du sujet, et non pas du témoignage d'autrui. Cette réflexivité de la mémoire épisodique, qui la distingue fondamentalement de la perception, est une condition de la connaissance de soi et de l'identité personnelle.

Le fait que la mémoire épisodique a une structure métareprésentationnelle permettrait d'expliquer un phénomène abondamment décrit par les psychologues depuis Freud : le phénomène dit de l'« amnésie infantile », c'est-à-dire le fait que la plupart des êtres humains adultes ne conservent aucun souvenir de leur propre expérience enfantine avant l'âge de quatre ans. Or, la psychologie du développement a montré qu'avant l'âge de 4 ans,un enfant humain ne parvient pas à représenter des croyances différentes des siennes. Si un enfant de moins de quatre ans croit à juste titre que la balle bleue est dans le panier, il ne peut pas concevoir qu'une autre personne puisse croire faussement qu'elle est dans le tiroir. Autrement dit, les capacités métareprésentationnelles des enfants de moins de 4 ans ne sont pas complètement opérationnelles voir l'encadré « Les métareprésentations ». Comme l'a fait remarquer le psychologue Josef Perner, de l'université de Salzbourg, il est frappant que les êtres humains ne sont capables de former des souvenirs épisodiques d'événements dont ils ont eu l'expérience directe qu'à la condition de disposer de capacités métacognitives pleinement opérationnelles8.

Contrairement à la mémoire épisodique, la mémoire sémantique est un savoir objectif : Tulving la qualifie de mémoire noétique. Elle n'est ni égocentrique ni réflexive. Elle n'est pas intrinsèquement métareprésentationnelle, mais elle peut contenir des métareprésentations. Il y a, par exemple, dans ma mémoire sémantique une métareprésentation de la célèbre thèse de Chomsky selon laquelle un automate à états finis ne peut pas engendrer toutes les phrases d'une langue naturelle. Tandis que la mémoire épisodique est au coeur de l'identité personnelle, la mémoire sémantique joue un rôle crucial dans l'apprentissage. Or, certains apprentissages culturels proprement humains, notamment scientifiques, dépendent des capacités métareprésentationnelles humaines. Ils dépendent surtout de la capacité de représenter les représentations d'autrui. Pour agir et naviguer dans l'espace, un animal doit former des représentations de son environnement. Pour un prédateur dépourvu de capacités métareprésentationnelles, toute représentation mentale d'un état de choses de l'environnement, par exemple, le fait qu'une proie soit dans un arbre, doit être stockée en mémoire comme la représentation d'un fait. Faute de capacités métareprésentationnelles, une créature traite inflexiblement une représentation mentale d'un fait comme une croyance véridique.

Depuis Bertrand Russell9, les philosophes analysent les représentations mentales humaines comme des « attitudes propositionnelles » : l'état de choses représenté correspond au contenu représenté et l'individu traite ce contenu en fonction d'une attitude particulière. On peut croire, supposer, vouloir, redouter, espérer, déplorer, etc. que George Bush est ou soit le nouveau Président des Etats-Unis. Or, l'épanouissement des capacités de représentation des pensées d'autrui chez l'homme a rendu possibles conjointement un assouplissement des attitudes et un enrichissement des contenus propositionnels représentables.

Voyons d'abord l'assouplissement des attitudes. N'importe quel être humain adulte peut former et stocker dans sa mémoire sémantique une croyance sur une croyance d'autrui sans souscrire à la croyance d'autrui. Je peux former la croyance que Monique croit que les sorcières possèdent des pouvoirs magiques sans souscrire à la croyance de Monique. Pour former cette croyance d'ordre supérieur sur une croyance de Monique, je dois incontestablement être capable de former la pensée que les sorcières possèdent des pouvoirs magiques. Mais il n'est pas requis que je tienne la croyance de Monique pour vraie. Je peux métareprésenter une représentation sans l'accepter ou la croire vraie. Grâce à l'émergence des capacités métareprésentationnelles, le scepticisme et la science deviennent possibles : une créature peut considérer explicitement la question de savoir si elle doit admettre ou rejeter une proposition. Elle peut suspendre son jugement en attendant des preuves supplémentaires.

Voyons enfin l'enrichissement des contenus propositionnels représentables. Grâce à la communication verbale avec ses congénères, une créature douée de capacités métacognitives peut non seulement former et mémoriser des représentations d'états de choses perçus par autrui et non directement par elle-même, mais elle peut de surcroît concevoir et mémoriser des représentations d'états de choses non perceptibles, comme le sont, par exemple, les représentations mathématiques et religieuses.

Incompréhension mémorisée. Imaginons un élève dont le professeur de mathématique vient de soutenir conjointement que l'ensemble des nombres entiers est infini et que l'ensemble des nombres réels est plus grand que l'ensemble des entiers. L'élève ne comprend pas exactement la seconde proposition, ni comment la concilier avec la première. Si deux ensembles sont infinis, comment l'un peut-il être plus grand que l'autre ? Mais l'élève peut avoir de bonnes raisons de tenir son professeur pour une source fiable d'information et donc de tenir pour vrai l'un de ses énoncés. Il ne serait donc pas irrationnel de sa part de stocker dans sa mémoire sémantique à long terme une représentation mentale de la phrase énoncée par son professeur. Quoiqu'il ne sache pas exactement quelle proposition a exprimé son professeur, il peut néanmoins stocker dans sa mémoire sémantique une métareprésentation de ce qu'a dit son professeur. Il pourra ainsi réexaminer ultérieurement le contenu de l'affirmation de son professeur. Nombreux sont probablement les apprentissages scientifiques qui dépendent ainsi des capacités humaines de représentations des représentations mentales et linguistiques d'autrui.

Si le lecteur est parvenu jusqu'à ce stade du présent article de La Recherche , c'est grâce à ce que le psychologue Alan Baddeley, de l'université de Bristol, nomme sa « mémoire de travail10 ». S'il en retire un bénéfice intellectuel, c'est en partie parce qu'il a stocké dans sa mémoire sémantique des métareprésentations des énoncés plus ou moins ésotériques qu'il aura perçus au cours de sa lecture

Par Pierre Jacob

 

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