ecole de musique toulon, cours de piano
     
 
 
 
 
 
menu
 
 

INCONSCIENT ET NEUROSCIENCES ...

 

 

 

 

 

 

 

 L'inconscient au crible des neurosciences
François Ansermet,Pierre Magistretti dans mensuel 397
Réservé aux abonnés du site
Existe-t-il un point de rencontre pour les neurosciences et la psychanalyse ? Un nouveau paradigme émerge : considérer les bases biologiques de l'inconscient à travers le mécanisme de plasticité du réseau neuronal. Grâce à ce mécanisme, le cerveau est ouvert au changement, tout en gardant une trace des événements passés.
Un rapprochement entre neurosciences et psychanalyse est-il possible ? Freud n'en doutait pas, qui pensait que la biologie parviendrait un jour à prouver les concepts de base de la psychanalyse. « Nous devons nous souvenir que toutes nos idées provisoires en psychologie seront probablement basées un jour sur une infrastructure organique », écrivait-il en 1914 [1] . Quelques années plus tard, il ajoutait : « Les insuffisances de notre description s'effaceraient sans doute si nous pouvions déjà mettre en oeuvre, à la place des termes psychologiques, les termes physiologiques ou chimiques [2] . » Sous ces propos, pointait la notion d'un possible recouvrement entre fait biologique et fait psychique, le second résultant du premier. Il n'empêche que, durant les décennies suivantes, la neurobiologie et la psychanalyse ont été le plus souvent considérées comme des domaines absolument séparés dans leurs fondements, car de logique différente. Tout dialogue était donc impossible.

Un retournement de situation est toutefois perceptible depuis quelques années : les tenants de la neuropsychanalyse proposent de considérer le fait psychique comme un phénomène émergeant du fait biologique. Dans cette optique, il s'agit, pour les neurosciences, de démontrer la psychanalyse, et pour la psychanalyse, de prendre en compte les avancées des neurosciences. Aux yeux du neurobiologiste Eric Kandel, Prix Nobel de physiologie et de médecine en 2000 : « La psychanalyse sortirait revigorée d'un rapprochement avec la biologie en général, et les neurosciences cognitives en particulier [3] . »

Intersection des champs
Mais à travers ce type de rapprochement, neurosciences et psychanalyse se retrouveraient indissolublement liées, au risque de perdre, chacune, leurs fondements. Aussi proposons-nous une autre démarche, qui est de considérer le fait biologique et le fait psychique comme fondamentalement différents, et d'explorer leurs éventuelles intersections.

Il ne s'agit pas ici d'étudier les mécanismes que les neurobiologistes regroupent sous le nom d'« inconscient cognitif », que nous préférons qualifier de « non conscients », pour les différencier de l'inconscient freudien. En effet, ce dernier n'a rien à voir avec un arc réflexe, un automatisme ou une mémoire procédurale lire « L'inconscient cognitif n'est pas freudien », p. 39. L'idée freudienne de l'inconscient va de pair avec l'idée de traces laissées par l'expérience, des traces qui, par leur existence même et surtout les associations qu'elles réalisent entre elles, participent à la constitution de la singularité du sujet. Or, les avancées les plus marquantes de la neurobiologie moderne portent elles aussi sur la notion de traces : en l'occurrence, il s'agit des modifications que toute expérience laisse dans l'agencement du réseau neuronal. De notre point de vue, la notion de traces laissées par l'expérience constitue donc un champ privilégié d'interrogation du rapport entre neurosciences et psychanalyse.

L'hypothèse, puis la démonstration de ce que l'expérience laisse des traces dans le réseau neuronal découlent entre autres des travaux du neurohistologiste Santiago Ramon y Cajal à la fin du XIXe siècle, de ceux du psychologue canadien Donald Hebb dans les années 1940, et enfin de ceux d'Eric Kandel et de nombreux autres neurobiologistes dès les années 1970. La conclusion générale de ces travaux est que le réseau neuronal n'est pas une structure déterminée une fois pour toutes. Il est au contraire soumis à un changement permanent. En effet, les synapses, sites des transferts d'information entre les neurones, sont constamment remodelées au gré de l'expérience : c'est ce qu'on appelle la plasticité synaptique [4] . L'activité simultanée de neurones interconnectés renforce les connexions synaptiques entre ces neurones, tant sur le plan structurel que fonctionnel : la forme et la taille des synapses changent, et de nouvelles synapses se forment [fig. 1] .

Bien sûr, certaines de ces modifications sont et demeurent en relation directe avec l'expérience visuelle, auditive, tactile ou autre qui leur a donné naissance : c'est sur elles que reposent les phénomènes de mémorisation. Ainsi, des modifications des synapses ont par exemple été mises en évidence lors d'expériences de conditionnement chez le rat. Nous proposons d'aller plus loin : les mécanismes de plasticité seraient également à l'origine de la construction d'une réalité interne inconsciente, par le biais d'un réarrangement d'une partie des traces mnésiques initiales.

Perception et réalité
Cette notion de réarrangement des traces a des conséquences importantes. En particulier, cela signifie que la réalité interne inconsciente est dissociée de la perception initiale, et n'est pas un reflet de la réalité externe. Il en résulte le paradoxe suivant : au niveau de l'inconscient, l'inscription de l'expérience sépare de l'expérience. On retrouve ici la contradiction intrinsèque à la théorie psychanalytique concernant la question de la perception. Pour Freud, d'un côté « toutes les représentations sont issues de perceptions » [5] . Et de l'autre, les processus de la vie psychique et de l'inscription de l'expérience vécue « rendent impossible la découverte de la connexion originelle » [6] . À l'aune de la plasticité, il est clair en tout cas que l'inconscient n'est pas un système de mémoire !

Une question essentielle se pose concernant la constitution de la réalité interne inconsciente : les traces laissées par la perception des stimuli sensoriels externes entrent-elles seules en ligne de compte ? Ou les stimuli internes provenant du corps lui-même sont-ils également impliqués ?

À la fin du XIXe siècle, le psychologue William James avait postulé qu'un stimulus externe a deux types d'effets. D'une part, il active le système de perception sensorielle concerné. D'autre part, il déclenche une réponse somatique - par exemple, un changement du rythme cardiaque. Autrement dit, à toute perception est associé un état somatique, dont James pensait en outre qu'il provoquait les émotions ressenties par le sujet : « Quelle sensation de peur resterait-il, si l'on ne pouvait ressentir ni les battements accélérés du coeur, ni le souffle court, ni les lèvres tremblantes, ni les membres faibles, ni le mal de ventre ? » disait-il [7] . Le neurologue de l'université de l'Iowa Antonio Damasio, qui a réactualisé la théorie de James au cours des dix dernières années, parle quant à lui de « marqueurs somatiques », autrement dit de « marqueurs de l'état du corps » [8] . Selon Damasio, ces marqueurs somatiques font que l'évocation de souvenirs s'accompagne de la résurgence de sensations liées à des états du corps.

L'amygdale et l'insula
D'après les travaux de Damasio et du neurobiologiste Joseph LeDoux, de l'université de New York [9] , deux systèmes neuronaux jouent un rôle central dans cette association : il s'agit de l'amygdale, une structure cérébrale située à la face interne du cortex temporal [fig. 2] , et de l'insula, localisée dans le cortex somato-sensoriel pariétal. En simplifiant à l'extrême, on peut dire que l'amygdale est un transducteur de signal. En amont, elle est activée par les différents systèmes sensoriels vision, audition..., sur un mode que l'on qualifie de direct car le signal n'est pas préalablement traité par le cortex sensoriel. En aval, elle déclenche les réponses somatiques, en envoyant des signaux aux systèmes neurovégétatif et endocrinien qui gèrent le rythme cardiaque, la transpiration, la libération de telle ou telle hormone, etc. L'insula, quant à elle, permet au cerveau de détecter ces changements physiologiques. Elle est un relais du système neuronal dit intéroceptif, qui informe en permanence le cerveau de l'état du corps. Une première boucle est ainsi bouclée, qui permet au cerveau de percevoir l'état somatique associé à la perception d'un stimulus externe. Le fait que l'amygdale et l'insula soient toutes deux connectées au cortex préfrontal, impliqué dans certaines formes de mémoire, permet de boucler une seconde boucle, celle du souvenir : il suffit que l'individu se remémore la situation source du stimulus, pour qu'il ressente à nouveau les sensations physiques associées.

Pour notre part, nous postulons que les mêmes mécanismes entrent en jeu quand l'inconscient freudien est activé : des états somatiques sont associés à chacune des traces ou associations de traces qui le constituent. L'état somatique est véhiculé tout au long de la chaîne de réaménagement des traces, et se retrouve finalement associé à l'un des éléments constitutifs de la réalité interne inconsciente, un fantasme donné par exemple. De ce point de vue, l'amygdale jouerait un rôle central dans la constitution de la réalité interne inconsciente. C'est donc l'une des voies par lesquelles un stimulus externe pourrait activer un scénario fantasmatique et l'état somatique qui lui est lié.

Rétablir l'équilibre physiologique
En tout état de cause, le cerveau réagit aux modifications de l'équilibre physiologique interne en tentant de le rétablir, via des signaux qu'il envoie par exemple au coeur ou aux glandes sécrétrices d'hormones. C'est en quelque sorte l'organe suprême du maintien de la constance du milieu intérieur. Or, selon les circonstances, l'état somatique est soit un état de plaisir, soit un état de déplaisir [10] . Sous cet angle, le rétablissement de l'équilibre physiologique peut être considéré comme le correspondant biologique du principe de plaisir/déplaisir freudien : il s'agit de rétablir l'état somatique de plaisir, ou, du moins, d'échapper au déplaisir. On rejoint ici le concept freudien de la pulsion [11] , lui aussi à l'interface entre le somatique et le psychique, la pulsion ayant pour but de décharger un état de tension en revenant à un état basal, ce qui produit la satisfaction. La fonction de la pulsion, centrale dans la théorie psychanalytique, a donc une portée physiologique claire dans le champ des neurosciences.

À travers l'association entre les traces laissées par l'expérience et des états somatiques, les concepts psychanalytiques d'inconscient et de pulsion se trouvent ainsi avoir une résonance biologique. Autrement dit, le modèle issu de la psychanalyse se révèle ici pertinent pour les neurosciences. Aussi parions-nous sur le fait que les données contemporaines issues de la neurobiologie gagneraient à être intégrées au modèle psychanalytique. À nos yeux, le cadre psychanalytique constitue en effet le cadre conceptuel le plus approprié pour guider les neurosciences dans la neurobiologie de l'inconscient : précisément parce qu'il est théorique, il pourrait permettre aux neurosciences de construire une théorie globale du cerveau qui n'exclut pas la dimension propre au sujet. Neurosciences et psychanalyse se rencontrent ainsi de façon inattendue autour de l'incontournable question de l'émergence de l'individualité.

EN DEUX MOTS Depuis une dizaine d'années, la « neuropsychanalyse » tente de réconcilier la psychanalyse et les neurosciences, en cherchant à démontrer la première par les secondes. Une autre approche se dégage aujourd'hui : explorer d'éventuelles intersections entre ces domaines. À cette aune, neurosciences et psychanalyse se rencontrent autour de la notion de « traces ». Les traces qu'une expérience laisse dans le psychisme et celles qu'elle laisse dans le réseau neuronal via la réorganisation des connexions entre les neurones. De ces traces résulte la réalité interne inconsciente du sujet.
[1] S. Freud, Pour introduire le narcissisme 1914, in La Vie sexuelle, PUF, 1969 réédition 2002, collection « Bibliothèque de psychanalyse ».


[2] S. Freud, Au-delà du principe de plaisir 1920, in Essais de psychanalyse, Payot, « Petite Bibliothèque », 2001.


[3] E. R. Kandel, Am. J. Psychiatry, 156 4, 505, 1999.


[4] S. Laroche, « Comment les neurones stockent les souvenirs », Les Dossiers de La Recherche, février-avril 2006, p 28.


[5] S. Freud, La négation 1925, in Résultats, idées, problèmes II, p. 137, PUF, 1985.


[6] S. Freud, Manuscrit M du 25.5.1897, in Naissance de la psychanalyse, p. 181, PUF, 1956 réédition 2002, collection « Bibliothèque de psychanalyse ».

[7] W. James, The Principles of Psychology 1890, New York, Dover, 1950.


[8] A. Damasio, L'Erreur de Descartes, Odile Jacob, 1994.


[9] J. LeDoux, Le Cerveau des émotions , Odile Jacob, 2005.


[10] A.D. Craig, Nat. Rev. Neurosci., 3 , 655, 2002.


[11] S. Freud, Pulsions et destin des pulsions 1915, in Métapsychologie, p. 11-44, Gallimard, 1976.
IDENTITE : À CHACUN SON CERVEAU
Le fait que l'expérience laisse des traces dans le cerveau par le biais de la plasticité synaptique, et que ces traces soient sans cesse remodelées, ouvre un questionnement sur l'identité du sujet. En effet, la plasticité démontre que le réseau neuronal est ouvert au changement, à la contingence : il est modulable par l'événement. Autrement dit, au-delà des déterminations qu'implique son bagage génétique, chaque individu se révèle unique et imprédictible. La plasticité remaniant constamment les circuits neuronaux, un stimulus identique peut donner des réponses chaque fois différentes en fonction de l'état du cerveau. Nous serions ainsi biologiquement déterminés pour ne pas être biologiquement déterminés. Nous serions biologiquement déterminés pour être libres. Voilà qui implique de revisiter d'une façon complètement nouvelle la question du déterminisme. D'une certaine façon, la question n'est plus de savoir comment nous pouvons changer, mais plutôt de comprendre pourquoi nous ne changeons pas plus !
PROCESSUS : L'INCONSCIENT COGNITIF N'EST PAS FREUDIEN
le neurobiologiste et prix nobel Eric Kandel propose que l'étude de la nature des processus mentaux inconscients est l'un des domaines où biologie et psychanalyse pourraient se rejoindre. C'est un fait, les neurosciences cognitives ne cessent de fournir de nouvelles connaissances sur quantité d'opérations mentales qui s'effectuent sans que nous en ayons conscience [1]. Historiquement, ces processus ont d'abord été mis en évidence chez des patients dont le cerveau avait subi une lésion, tel l'emblématique patient H.M. Atteint d'épilepsie, il subit en 1953 l'ablation bilatérale de la partie du lobe temporal, où est localisé l'hippocampe. L'épilepsie disparut, mais sa capacité à restituer consciemment de nouveaux souvenirs aussi. Pourtant, il était encore capable d'apprentissage non conscient : dans une expérience célèbre, Brenda Milner, la psychologue canadienne qui l'a suivi pendant des années, a montré que sa capacité à effectuer correctement une certaine tâche augmentait de jour en jour, comme chez un sujet sain, alors même qu'au début de chaque session d'entraînement il prétendait être confronté à cette tâche pour la première fois. Nettement moins extrêmes, testables chez n'importe lequel d'entre nous, les effets d'amorçages témoignent eux aussi de processus non conscients de traitement de l'information. Par exemple, l'identification d'un objet donné parmi plusieurs autres est plus rapide si le sujet a préalablement vu l'objet en question. Enfin, on peut bien évidemment citer les innombrables actions que l'on effectue sur un mode « automatique ». Notamment, conduire une voiture : point n'est besoin, à chaque instant, de réfléchir aux gestes à accomplir. La mémoire dite « procédurale » est à l'oeuvre, qui nous permet de conduire sans y penser. Regroupés sous le terme d'« inconscient cognitif », ces processus n'ont rien à voir avec l'inconscient freudien.

[1] A. Cleeremans, « Ces zombies qui nous gouvernent », La Recherche , juillet-août 2003, p. 36 ; A. Berthoz, « Au commencement était l'action », La Recherche , juillet-août 2003, p. 74.


 DOCUMENT   larecherche.fr    LIEN

 
 
 
 

NEUROSCIENCES

 

 

 

 

 

 

 

A l'heure des neurosciences
Jean-Jacques Slotine dans mensuel 350
daté février 2002 -


Connaît-on l'ascidie, ce petit animal marin qui, après s'en être servi pour se mouvoir, digère tranquillement son cerveau, car il n'en a plus besoin ? Plus que jamais à l'école du vivant, la robotique s'aventure aujourd'hui vers la prise en compte de phénomènes qui vont bien au-delà de la conception classique du « cerveau dans la boîte ».
« Alors la babouine demande timidement au babouin, les yeux chastement baissés : Aimez-vous Bach ? » Albert Cohen .


L'heure est au dialogue entre robotique et neurosciences, et, au-delà des analogies les plus évidentes, à l'élaboration de problématiques communes. Partout dans le monde se créent des centres regroupant neurosciences, biologie, modélisation mathématique et robotique. Témoin de l'ampleur du phénomène : le nouveau McGovern Institute, au MIT, qui va y consacrer pas moins de 350 millions de dollars - à peu près autant que le synchrotron Soleil ! Nous sommes sans doute à l'aube d'une véritable approche « système » de la compréhension du cerveau, réalisant le vieux rêve de la cybernétique.

Cette fertilisation croisée, cette coévolution, pourrait-on dire, n'est certes pas nouvelle. La nature inspirait déjà la robotique du temps des tortues de Grey Walter, en 1950. Mais l'accélération considérable au cours des vingt dernières années des découvertes sur le cerveau, la physiologie de l'action, ou encore l'acquisition de la parole et du langage, a changé la donne. Jim Watson, le codécouvreur de la structure de l'ADN et le promoteur du programme « Génome humain », fait avec raison de la compréhension du cerveau le grand défi scientifique du XXIe siècle. Compréhension susceptible de remettre en question notre conception de la science elle-même : c'est avec notre cerveau que nous créons des théories !

Mais à l'inverse, la robotique peut éclairer la physiologie, l'artificiel illuminer le vivant. Comme le remarque le biologiste Edward O. Wilson, dans son classique Consilience : the Unity of Knowledge 1998 « Le moyen le plus sûr d'appréhender la complexité du cerveau, comme de tout autre système biologique, est de le penser comme problème d'ingénierie . »I 1 L'ambition de la robotique est de comprendre de quelles capacités on peut doter une machine en interaction physique avec son environnement, et comment cette machine peut par elle-même s'adapter et apprendre.

En neurosciences, on associe de plus en plus l'évolution et le développement des processus cognitifs au raffinement des fonctions sensori-motrices2. Le neurologue Rodolfo Llinas3, à l'université de New York, cite l'exemple de l'ascidie, petit animal marin qui, après avoir nagé vers le rocher où il s'installera, digère son cerveau, devenu inutile dès lors qu'il n'a plus à se déplacer ! De même, l'interaction physique et dynamique avec l'environnement, le contrôle du mouvement, poussent la robotique au-delà du domaine conceptuel classique de l'intelligence artificielle, du brain in a box cerveau dans une boîte.

Mémoire parfaite. En règle générale, la robotique est très loin d'égaler la nature, mais ses contraintes ne sont pas les mêmes et, pour certaines tâches, elle fait même mieux que la nature. Malgré la grande flexibilité de positionnement des actionneurs moteurs, muscles artificiels, etc. et des capteurs caméras, encodeurs, etc., le hardware mécanique est très à la traîne, tant en complexité qu'en robustesse et en adaptabilité. En revanche, la robotique bénéficie de la possibilité de coder explicitement des relations mathématiques complexes les équations de la mécanique, par exemple, permettant souvent soit des raccourcis à travers les calculs de la nature, soit des techniques fondamentalement différentes. Les robots possèdent également une mémoire parfaite et une capacité de répétition exacte. Si l'on veut qu'un robot apprenne à marquer des paniers au basket-ball, il lui suffit de déterminer une fois pour toutes la relation entre son mouvement et l'endroit où la balle tombe : problème mathématique simple qui conduira à un apprentissage rapide. Le robot dispose également de possibilités de simulation en temps très accéléré, alors qu'il faut à l'homme à peu près autant de temps pour imaginer un mouvement que pour l'effectuer. Un robot peut « penser » en 5 ou 10 dimensions aussi facilement qu'en 3. Enfin la robotique tire profit de l'accélération constante des moyens de calcul4, au point de pouvoir calculer plus vite que la nature elle-même.

Un autre avantage des robots sur les systèmes biologiques est la rapidité de la transmission de l'information. La vitesse de transmission des impulsions nerveuses est bien inférieure à la vitesse du son. Elle est donc environ un million de fois plus petite que celle de l'information dans un câble électrique. De plus, à chaque connexion synapse entre neurones le signal électrique est transformé d'abord en signal chimique, puis de nouveau en signal électrique à l'arrivée, perdant chaque fois environ 1 ms : un peu comme un train qui prend un ferry-boat. Ce rôle central des délais conditionne certains aspects de l'architecture des systèmes biologiques, par exemple l'organisation massivement parallèle des calculs dans les cent milliards de neurones du cerveau et leurs millions de milliards de synapses. Laquelle architecture parallèle, il faut le reconnaître, se prête particulièrement bien aux problèmes d'approximation distribuée, c'est-à-dire d'apprentissage.

Cette question du temps est aussi au coeur de bien des aspects importants de la robotique, qu'il s'agisse de la téléprésence - comment commander un robot à l'autre bout de la planète ou au fond de l'océan, « comme si vous y étiez » -, pour coordonner la vision par ordinateur et la manipulation, et, comme chez les êtres vivants, pour tous les mécanismes permettant l'unité de la perception binding.

Notre laboratoire a beaucoup étudié l'adaptation et la coordination vision-manipulation5,6, et leur illustration expérimentale sur des robots rapides. Comment un robot attrape-t-il un objet qu'on lui lance ? Il doit anticiper la trajectoire de l'objet, sur la base d'informations visuelles - obtenir ces informations avec une précision suffisante peut nécessiter d'utiliser des caméras mobiles, comme le fait l'oeil quand il suit un objet en mouvement. Il doit planifier une trajectoire pour intercepter l'objet et l'attraper - il peut être judicieux, par exemple, d'attraper l'objet tangentiellement à sa trajectoire, de façon à nécessiter moins de précision du timing de la fermeture de la main, et aussi à attraper l'objet plus délicatement. Une fois l'objet attrapé, il faut le décélérer progressivement et ne pas le laisser tomber, en s'adaptant très vite à ses propriétés dynamiques inconnues masse, position du centre de masse, moments d'inertie. Ces travaux nous ont conduits à rechercher des méthodes et des concepts généraux pour aborder systématiquement des questions de plus en plus complexes, impliquant une réflexion plus directe sur ce que nous apprend le monde du vivant.

Primitives motrices. La solution de la nature à la construction progressive de tels systèmes est, bien sûr, l'évolution. Tout objet biologique, et le cerveau en particulier, résulte de l'évolution. Celle-ci procède par accumulation et combinaisons d'éléments intermédiaires stables, créant ainsi des structures fonctionnelles de plus en plus complexes7,8. Selon la formule de François Jacob, « De la bactérie à la drosophile, quel bricolage depuis trois milliards d'années ! » La réponse émotionnelle humaine, par exemple, combine deux éléments intermédiaires stables, une boucle archaïque rapide ne passant pas par le cortex, et une boucle corticale plus lente9. Le système immunitaire humain se compose d'une série de couches fonctionnelles, où se combinent notamment des mécanismes rapides et archaïques d'immunité innée, et des mécanismes plus lents d'immunité acquise ou adaptative, dont le temps de réponse dépend de l'exposition antérieure au pathogène.

De même, l'architecture de contrôle du mouvement chez les vertébrés utilise des combinaisons de primitives motrices. Emilio Bizzi et ses collègues, au MIT, ont fait, sous divers protocoles expérimentaux, l'expérience suivante. On excite la moelle épinière d'une grenouille anesthésiée, et un capteur placé sur la cheville de l'animal mesure le champ de forces ainsi créé. Deux conclusions. Tout d'abord, si l'on déplace l'excitation le long de la moelle épinière, on n'obtient que quatre champs de forces, correspondant à quatre régions de la moelle. De plus, si l'on excite deux régions en même temps, on obtient essentiellement la somme vectorielle des champs de forces. Ces résultats et des expériences plus récentes suggèrent que les mouvements de la grenouille, par exemple quand elle saute pour attraper un insecte, sont obtenus par simples combinaisons de primitives motrices élémentaires, modulées temporellement dans la moelle épinière sur la base d'informations provenant du cerveau.

Les accumulations progressives de configurations stables sont un thème récurrent dans l'histoire de la cybernétique et de l'intelligence artificielle, depuis les tortues de Grey Walter à la « Society of Mind10 » de Marvin Minsky 1986, en passant par les architectures hiérarchiques de Herbert Simon11 1962, les véhicules de Valentino Braitenberg12 1984, et autres insectes de Rodney Brooks13 1986, 1999.

Ces accumulations progressives forment aussi la base de théories récentes sur le fonctionnement du cerveau, qui privilégient l'interaction massive entre structures spécialisées pour expliquer la pensée et la conscience14,15,16.

Un des thèmes centraux des neurosciences est de comprendre comment des informations provenant de diverses modalités sensorielles, traitées par des centaines de régions spécialisées dans le cerveau, aboutissent à une perception unifiée. Dans le seul système visuel, par exemple, certaines aires corticales traitent les contours, d'autres les formes, le mouvement, les distances, la couleur... Mais ces processus sont inconscients. Vous ne voyez qu'un enfant en train de jouer au ballon sur la plage. Des recherches récentes suggèrent que cette unité de la perception, sans système centralisé de coordination « Il n'y a pas d'aire en chef » , comme le dit Gerald Edelman, pourrait essentiellement être le résultat de milliers de connexions réciproques entre aires spécialisées, particulièrement dans le système thalamo-cortical. Le thalamus est une formation qui a évolué avec le cortex. Toutes les informations sensorielles qui arrivent au cortex passent par le thalamus, où elles sont sélectionnées. De plus, beaucoup des connexions entre les différentes aires du cortex passent également par le thalamus17.

Boucles lentes. Il s'agit là de boucles rapides. La description se complique si on intègre l'existence de milliers d'autres boucles, « lentes » et inconscientes, qui partent du cortex, passent par les ganglions de la base ou le cervelet deux structures intervenant notamment dans la planification et dans le contrôle des mouvements, puis par le thalamus, avant de revenir au cortex. D'autres boucles encore passent par l'hippocampe une autre structure, liée à la mémoire à long terme. L'un des rôles de ces boucles pourrait être de permettre une sorte de « jeu des vingt questions » sélectionnant les informations les plus pertinentes pour une tâche donnée. Le délai de transmission de l'information à travers chacune de ces boucles est de l'ordre de 150 ms. Comment le système converge-t-il malgré ces délais ?

Intrinsèquement, accumulations et combinaisons d'éléments stables n'ont aucune raison d'être stables, et donc d'être retenues à l'étape suivante de l'évolution ou du développement. D'où notre hypothèse que l'évolution favorise une forme particulière de stabilité, automatiquement préservée en combinaison. Une telle forme de stabilité peut être caractérisée mathématiquement. Cette propriété, dite de contraction, fournit également un mécanisme très simple de construction progressive de systèmes robotiques arbitrairement complexes à partir d'un grand nombre de sous-systèmes eux-mêmes contractants, en sachant que la stabilité et la convergence des combinaisons seront automatiquement garanties18.

Plus spécifiquement, un système dynamique non linéaire est contractant s'il « oublie » exponentiellement ses conditions initiales. Autrement dit, si l'on perturbe temporairement un tel système, il reviendra à son comportement nominal - il reprendra ce qu'il était en train de faire - en un temps donné. On peut montrer que ce type de système peut être caractérisé par des conditions mathématiques relativement simples. Mais surtout que la propriété de contraction est automatiquement préservée par toute combinaison parallèle, en série ou hiérarchique, et certains types de rétroaction ou recombinaison dynamique de sous-systèmes eux-mêmes contractants. Permettant du coup de jouer au Lego avec des systèmes dynamiques19.

Remarquons qu'au moins pour des petites perturbations, un tel type de robustesse est en fait une condition nécessaire à tout apprentissage : un système dont les réponses seraient fondamentalement différentes à chaque essai serait incompréhensible.

Revenons à la grenouille d'Emilio Bizzi. L'architecture simplifiée mise à jour est intéressante intuitivement, car elle réduit considérablement la dimension et donc la complexité des problèmes d'apprentissage et de planification. Mathématiquement, ce type d'architecture est proche du concept - très classique en robotique - de champs de potentiels, où l'on utilise les moteurs du robot pour créer des « ressorts » virtuels dans des problèmes de navigation et de contrôle. Mais il en est aussi différent, de par la modulation temporelle des primitives, elle-même le résultat de processus dynamiques en amont. On peut montrer que chacune des primitives motrices de la grenouille vérifie la propriété de contraction, et donc que toutes ces combinaisons, parallèles et hiérarchisées, sont automatiquement stables.

Les signaux mesurés dans le système nerveux, par exemple ceux impliqués dans le contrôle du mouvement, correspondent rarement à des quantités physiques « pures », mais plutôt à des mélanges2, par exemple de positions et de vitesses. Alors qu' a priori ces signaux composites pourraient paraître mystérieux ou même être des imperfections, ils relèvent sans doute de bonnes raisons mathématiques. En effet, on peut montrer que l'utilisation de combinaisons judicieuses de variables peut réduire très sensiblement la complexité des problèmes d'estimation et de contrôle, et même réduire l'effet des retards de transmission de l'information.

En théorie du contrôle, par exemple, on utilise souvent des variables dites « de glissement » sliding variables , combinaisons linéaires d'une quantité et de ses dérivées temporelles. Ces combinaisons peuvent être facilement choisies de façon à réduire un problème d'ordre quelconque à un problème du premier ordre, beaucoup plus simple à résoudre. Elles correspondent à créer mathématiquement des séries de modules contractants.

D'autres problèmes que le système nerveux doit résoudre sont essentiellement identiques à des problèmes résolus par les ingénieurs. Dans le système vestibulaire humain l'oreille interne, par exemple, les « otolithes » mesurent l'accélération linéaire, et les « canaux semi-circulaires » mesurent la vitesse angulaire au moyen d'une mesure tres filtrée de l'accélération angulaire. Cette configuration est essentiellement la même que dans les systèmes dits strapdown de navigation inertielle sur les avions modernes, où un algorithme classique utilise ces mêmes mesures pour estimer la position et l'orientation de l'avion.

Faculté de prédire. Une notion essentielle à prendre en compte est la faculté de prédire2,3. Prédire est l'une des principales activités du cerveau. On la retrouve dans l'anticipation de la trajectoire d'une balle à attraper20, l'évitement d'obstacles mobiles, la préparation du corps à l'éveil dans les dernières heures de la nuit, voire dans l'aberrante efficacité de l'effet placebo plus de 30 % dans la plupart des maladies bénignes.

Prédire joue également un rôle fondamental dans la perception active orienter le regard, par exemple et l'attention. Dans le système nerveux, l'information est sélectionnée, filtrée, ou simplifiée à chaque relais sensoriel. Si l'on considère par exemple la partie du thalamus correspondant à la vision, moins de 10 % des synapses amènent des informations provenant des yeux et déjà préfiltrées au passage, et toutes les autres synapses servent à moduler ces informations17 !

Du point de vue mathématique, toutes ces questions relèvent de la théorie des observateurs, qui sont des algorithmes utilisés pour calculer ou pour prédire l'état interne d'un système en général non linéaire à partir de mesures partielles, souvent externes et bruitées. Typiquement, un observateur se compose d'une simulation du système utilisant un « modèle interne » peut-être approximatif, guidée et corrigée par les mesures prises sur le système. Dans les problèmes de perception active et sous certaines conditions, l'observateur permet aussi de sélectionner, a priori , la mesure ou la combinaison fusion de mesures à effectuer qui seront les plus utiles pour améliorer l'estimation de l'état du système à un instant donné, une idée inspirée du système nerveux et utilisée aujourd'hui dans les systèmes de navigation automobile automatique.

Parce qu'ils se fondent sur des mesures partielles, les observateurs permettent aussi de généraliser à des processus dynamiques la notion de mémoire adressable par le contenu content-addressable memory , chère aux amateurs de réseaux de neurones artificiels. Par exemple, une personne peut être reconnue à partir seulement d'une image de ses yeux, un concerto de Ravel à partir des premières mesures. Et, dans un processus physiologique minutieusement décrit, élaboré sur le plus archaïque de nos sens, la madeleine de Proust conduit automatiquement aux huit volumes de la Recherche .

Pour le problème de l'unité de la perception, la notion de contraction suggère un modèle possible pour expliquer la convergence globale des interactions rapides dans le système thalamo-cortical et la variation régulière de la perception au fur et à mesure que les données sensorielles changent : il suffirait que la dynamique de chacune des aires impliquées soit contractante. Inversement, le principe d'un vaste réseau de systèmes contractants spécialisés, totalement décentralisé mais globalement convergent, peut être utilisé dans un système artificiel pour intégrer diverses informations sensorielles et algorithmes de traitement. De plus, on peut montrer que ces boucles d'interaction sont un moyen particulièrement efficace et rapide de partager le traitement de l'information entre divers systèmes, puisque le temps de réponse de l'ensemble ne dépasse pas celui du système le plus lent. Cette rapidité contraste fortement avec celle d'une architecture centralisée ou hiérarchisée, où les temps de réponse s'accumulent et deviennent totalement prohibitifs pour de grands systèmes.

Téléprésence. Petite note historique : en Union soviétique, les discours fleuve annuels sur le socialisme scientifique ont suivi, littéralement, l'évolution de la cybernétique interprétée au sens large comme science du « gouvernement » et ont donc vu apparaître au début des années 1980 les ancêtres des systèmes décentralisés que nous venons de décrire. On connaît la suite.

Un problème similaire à celui des boucles lentes se rencontre en téléprésence, où des délais de transmission non négligeables entre robot-maître et robot-esclave créent d'importants problèmes de stabilité. L'une des façons de le résoudre est d'utiliser pour les transmissions un type particulier de variable composite, qui revient à ce que chaque transmission simule une onde dans une poutre mécanique virtuelle. En effet, une poutre transmet des ondes dans deux directions avec des délais, mais est naturellement stable. Le cerveau utilise-t-il de telles combinaisons dans ses boucles lentes14,18,21 ?

Ce type d'architecture et de telles « variables d'onde » pourraient également être exploités dans d'autres systèmes artificiels. Par exemple, dans les problèmes de calcul asynchrone distribué, où des milliers d'ordinateurs, communiquant entre eux par Internet, doivent être coordonnés pour résoudre un problème commun.
1 Edition française, Robert Laffont, 2000.

2 A. Berthoz, Le Sens du mouvement, Odile Jacob, 1997.

3 R. Llinas, I of the Vortex : from Neurons to Self, MIT Press, 2001.

4 R. Kurzweil, The Age of Intelligent Machines, Viking, 1999.

5 J.J.E. Slotine et W. Li, Applied Nonlinear Control , Prentice-Hall, 1991.

6 S. Massaquoi et J.J.E. Slotine, « The intermediate cerebellum may function as a wave variable processor », Neuroscience Letters, 215 , 1996.

7 R. Dawkins, The Salfish Gene, 2e ed., Oxford University Press, 1994.

8 M. Ridley, Mendel's Demon, Free Press, 2000.

9 J. Ledoux, The Emotional Brain, Simon and Schuster, 1996.

10 M. Minsky, The Society of Mind, MIT Press, 1986.

11 H.A. Simon, The Sciences of the Artificial, 3e éd., MIT Press, 1996.

12 V. Braitenberg, Vehicles, MIT Press, 1984.

13 R. Brooks, Cambrain Intelligence, MIT Press, 1999.

14 S. Massaquoi et J.J.E. Slotine, « The intermediate cerebellum may function as a wave variable processor », Neuroscience Letters, 215 , 1996.

15 S. Hanneton et al. , Biological Cybernetics , 776, 1998.

16 G. Tononi et al., Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 95 , 3198, 1998.

17 S.M. Sherman et C. Koch, « Thalamus », in Synaptic Organization of the Brain , 4th éd., G.M. Shepherd éd., Oxford University Press, p. 289-328, 1998.

18 J.J.E. Slotine et W. Lohmiller, « Modularity, evolution, and the binding problem : A view from stability theory », Neural Networks, 14 , 2001.

19 W. Lohmiller et J.J.E. Slotine, Automatica, 346, 1998.

20 S. Dehaene, M. Kerzberg et J.-P. Changeux, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 95 , 14529, 1998.

21 J. Hong et J.J.E. Slotine, Experiments in Robotics Catching , ISER, 1995.
SAVOIR
:

-G. Edelman et G. Tononi, L'Univers de la conscience , Odile Jacob, 2000.

 

 DOCUMENT       la recherche.fr

 
 
 
 

Rüdiger Gamm, calculateur prodige

 

 

 

 

 

 

Rüdiger Gamm, calculateur prodige
Laure Zago, Mauro Pesenti, Nathalie Tzourio-Mazoyer dans mensuel 344


Des expériences effectuées sur un expert en calcul révèlent, pour la première fois, les aires cérébrales activées pendant ses exploits. Pour résoudre ses problèmes mathématiques, l'Allemand Rüdiger Gamm utilise, contrairement à tout un chacun, sa mémoire à long terme.
Etes-vouscapablesde retenir mentalement les commandes d'une dizaine de clients dans une brasserie, la succession des déplacements des pièces d'une partie entière d'échecs ou une liste de plusieurs dizaines de mots que l'on vient de vous lire ? Si vous n'êtes pas serveur dans un bar, joueur d'échecs chevronné ou mnémoniste professionnel, probablement pas !

La faute est imputable à notre « mémoire de travail à court terme », celle qui nous permet de maintenir à l'esprit des informations diverses le temps nécessaire à leur utilisation. Cette mémoire est en effet ainsi faite que, bien qu'on puisse y faire entrer très rapidement toutes sortes d'informations, elle a une capacité et une durée limitées et est très sensible aux interférences externes. En moyenne, nous pourrons ainsi retenir, durant quelques secondes, 7 ± 2 éléments1 non reliés par exemple, un numéro de téléphone le temps de le composer. Toute pensée ou information nouvelle viendra perturber le maintien et, dans la plupart des cas, effacer irrémédiablement ces éléments, qui seront de toute façon oubliés sitôt utilisés. La mémoire dite « à long terme » contient, quant à elle, toutes nos connaissances et nos souvenirs. Si elle requiert plus de temps d'encodage, elle n'a pas de limites connues et, peu sensible aux interférences, est pratiquement permanente. Pourtant, il est commun pour un serveur de retenir une longue liste de commandes ou, pour un joueur d'échecs, de rappeler les phases d'une partie, alors que ni l'un ni l'autre n'a passé beaucoup de temps pour mémoriser ces informations. Ces experts ont-ils « un truc » ? Possèdent-ils une mémoire à court terme phénoménale qui leur permet d'emmagasiner à volonté toute information qui se présente à eux ? Leurs capacités accrues de mémoire traduisent-elles simplement une accélération et une optimisation d'un processus existant ou au contraire un fonctionnement cérébral différent ?

Mémoire à long terme. A la fin des années 1980 et au début des années 1990, le psychologue américain K. Anders Ericsson et ses collègues tentèrent d'expliquer les performances des experts par l'utilisation de ce qu'ils appelèrent la mémoire de travail à long terme2. Au lieu d'utiliser leur mémoire à court terme et être ainsi soumis aux limites de celle-ci, les experts développeraient, grâce à leur pratique intensive, des réseaux structurés de connaissances et des mécanismes particuliers pour encoder rapidement les éléments dans leur mémoire à long terme. Ils y récupéreraient efficacement toute nouvelle information liée à leur domaine d'expertise. Autrement dit, les experts surmonteraient les limites de la mémoire à court terme en utilisant leur mémoire à long terme. Ils développeraient des procédures d'indiçage efficaces afin de contrecarrer la lenteur des processus d'encodage et de récupération des informations de leur mémoire à long terme. Si cette proposition avait reçu le soutien de quelques observations empiriques portant sur les performances d'experts, il lui manquait encore une démonstration expérimentale forte, tout particulièrement quant à la question du substrat cérébral impliqué dans l'expertise.

Les réseaux cérébraux impliqués chez les experts s'accorderaient-ils avec cette idée d'une mémoire de travail à long terme ? Pour répondre à cette question, nous avons étudié l'activité cérébrale d'un expert en calcul réalisant des calculs mentaux et avons mis en évidence les réseaux cérébraux plus actifs chez lui que chez des sujets non experts. Pour un adulte, la résolution de problèmes arithmétiques simples par exemple, 2 x 3 ou 3 x 6 n'implique pas réellement de calcul. Ces problèmes ont en effet été mémorisés durant l'enfance, sont stockés en mémoire à long terme au sein d'un réseau associatif, et sont tout simplement récupérés directement en mémoire lorsqu'ils sont rencontrés3. Au contraire, des problèmes plus complexes notamment le produit de deux nombres à deux chiffres : 63 x 48 n'ont jamais été mémorisés et requièrent réellement l'application de procédures de calcul. La plupart des adultes scolarisés sont capables de résoudre mentalement ces problèmes au prix de beaucoup de temps et d'efforts. De fait, leurs performances sont généralement assez médiocres. De tels calculs présentent en effet une charge importante pour la mémoire à court terme : il faut garder à l'esprit les éléments du problème, rechercher une stratégie de résolution, appliquer pas à pas cette stratégie et contrôler à chaque étape son application correcte. Il faut de plus rechercher des résultats intermédiaires, les garder temporairement en mémoire, puis les oublier une fois qu'ils ont été utilisés. Enfin, il faut appliquer des règles arithmétiques de base qui permettent de décomposer les éléments et de combiner correctement les résultats intermédiaires. On comprend dès lors aisément les difficultés rencontrées par un sujet tout venant confronté à de tels calculs : les limites de la capacité de sa mémoire à court terme sont rapidement atteintes par le nombre d'informations à retenir et d'opérations à effectuer, ce qui rend la résolution très fastidieuse et sujette à l'erreur.

Il existe pourtant des individus, que l'on appelle « calculateurs prodiges » ou calculateurs experts, capables de réaliser mentalement des calculs complexes, très rapidement et apparemment sans grand effort4. Rüdiger Gamm, un jeune Allemand de 26 ans, est de ceux-là. Il peut élever jusqu'à la puissance 15 tous les nombres à 2 chiffres, multiplier entre eux des nombres à 2 ou 3 chiffres, calculer des sinus et des racines, diviser entre eux deux nombres premiers et donner le résultat avec plus de 60 décimales correctes voir tableau. Il peut encore réaliser des calculs de calendrier, c'est-à-dire donner, pour n'importe quelle date passée ou à venir, le jour de la semaine correspondant. Dans nos travaux5, nous avons étudié les capacités de calcul de Rüdiger et montré que sa bonne connaissance des opérations arithmétiques de base, sa maîtrise d'algorithmes de résolution et son excellente mémoire pour les données numériques sous-tendaient son expertise. Nous avons aussi montré que Rüdiger avait une mémoire à court terme accrue pour les nombres. Il est capable de rappeler à l'endroit et à l'envers 11 chiffres qu'on vient de lui donner, alors que des sujets non experts n'en rappellent que 7 à l'endroit et 5 à l'envers. Cette capacité ne s'applique cependant pas pour des lettres ou des positions spatiales, confirmant par là que les experts ont des capacités de mémoire supérieures uniquement dans leur domaine d'expertise. Enfin, Rüdiger a mémorisé un grand nombre d'informations numériques : il connaît par coeur toutes les puissances des nombres à deux chiffres et peut les donner en moins d'une seconde. Il retient très facilement toute nouvelle information chiffrée puisqu'il peut se souvenir de résultats de problèmes qu'il a résolus quelques heures auparavant. Rüdiger est donc un bon exemple de la manière dont mémoire des nombres et procédures de calcul se combinent pour conduire à l'expertise en calcul.

Activité spécifique. Afin de déterminer les réseaux cérébraux impliqués dans le calcul mental, nous avons mené des études en tomographie par émission de positons TEP au cours desquelles nous avons demandé à Rüdiger6, ainsi qu'à des volontaires masculins non experts en calcul7, de résoudre deux types de problèmes, complexes et simples. Les premiers impliquent l'utilisation de procédures de calcul, tandis que les seconds sont directement récupérés en mémoire. Parmi les processus impliqués lors de la résolution de problèmes complexes, certains le sont aussi lors de la résolution de problèmes simples le traitement visuel du stimulus, la récupération de résultats en mémoire et la production de la réponse. Dès lors, lorsqu'on soustrait l'activité enregistrée pendant la résolution de problèmes simples récupérés en mémoire de l'activité enregistrée durant la résolution de problèmes complexes calculés, on peut isoler les processus de la mémoire de travail à court terme spécifiquement liés au calcul proprement dit. Chez Rüdiger, tout comme chez les sujets non experts, ceux-ci impliquent essentiellement des aires postérieures lobes pariétaux et occipitaux dans les deux hémisphères, et des aires frontales uniquement dans l'hémisphère gauche en vert sur les coupes du cerveau. Or, ces réseaux d'aires ont été observés dans des études sur la mémoire de travail visuo-spatiale8 la partie supérieure du cortex pariétal intérieur et le sillon frontal supérieur gauche et sur l'imagerie mentale visuelle9 les gyri* occipitaux et temporaux inférieurs bilatéraux. Lors de la résolution de problèmes complexes, Rüdiger et les sujets non experts utilisent donc des stratégies imagées visualiser le problème, les étapes, les reports, etc..

Aires cérébrales. Restait à déterminer si Rüdiger présente une quelconque spécificité liée à son expertise : trouvait-on, chez cet expert, des activations susceptibles de démontrer le recours à une mémoire de travail à long terme ? Nous avons dégagé les aires cérébrales plus actives, chez notre expert uniquement, durant le calcul mental. Celles-ci résident essentiellement dans l'hémisphère droit, dans les aires préfrontales et médio-temporales en rouge sur les coupes du cerveau. Or, ces aires font bien partie des réseaux de la mémoire à long terme. Elles sont le siège de processus liés à la mémoire dite « épisodique ». Celle-ci renvoie à l'ensemble des souvenirs d'événements et de faits personnels du sujet qui se souvient, et couvre l'acquisition d'informations à un moment donné afin de créer une nouvelle trace en mémoire l'encodage, le maintien et la consolidation de cette trace à travers le temps, et sa restitution lors d'une occasion ultérieure la récupération. Les activations observées dans le cortex frontal, parahippocampique et cingulaire antérieur droits s'accordent bien avec l'encodage et le rappel des résultats intermédiaires. On sait en outre que le cortex cingulaire antérieur participe également à la détection d'erreurs et de conflit entre des réponses compétitrices. Il joue un rôle de régulateur des processus cognitifs qui reflète bien l'expertise dans l'adaptation du comportement à des situations complexes. Cela se traduit par la capacité qu'a Rüdiger de détecter et de corriger immédiatement ses erreurs occasionnelles de calcul. Enfin, les structures temporales médianes droites hippocampe, parahippocampe et régions proches sont plus particulièrement impliquées dans les aspects visuo-spatiaux de la mémoire épisodique, la région parahippocampique droite prenant en charge le stockage et le maintien d'informations sur de longs délais. Ceci est donc en accord non seulement avec les résultats montrant l'implication de la mémoire de travail à court terme visuo-spatiale, mais aussi avec l'idée de l'implication d'une mémoire de travail, cette fois à long terme.

Dans le cas de Rüdiger Gamm, l'expertise cognitive ne correspond donc pas uniquement à une accélération de processus existants ou à une modulation locale des activations. Elle implique des stratégies cognitives radicalement différentes, sous-tendues par des aires cérébrales différentes, qui permettent de circonvenir aux limitations de la mémoire à court terme. Contrairement aux autres, l'expert en calcul sait s'appuyer sur sa mémoire de travail à long terme. Il reste maintenant à démontrer que d'autres formes d'expertise correspondent à ce schéma.
1 G.A. Miller, Psychological Review, 63, 81, 1956.

2 K.A. Ericsson, W. Kintsch, Psychol. Review, 102 2, 211, 1995.

3 M.H. Ashcraft, Cognition, 44, 75, 1992.

4 S.B. Smith, The G reat M ental C alculators, Columbia University Press, 1983.

5 M. Pesenti et al., Mathematical Cognition, 5, 97, 1999.

6 M. Pesenti et al., Nature Neuroscience, 4, 103, 2001.

7 L. Zago et al., NeuroImage, 13, 314, 2001.

8 J.V. Haxby et al., NeuroImage, 11 2, 145, 2000.

9 E. Mellet et al., Neuroimage, 8, 129, 1998.
NOTES
*Les gyri sont des structures anatomiques cérébrales : ils correspondent aux plis du cerveau, alors que les sillons correspondent aux creux.

 

  DOCUMENT      larecherche.fr      LIEN

 
 
 
 

LES TRACES CACHÉES DE NOS SOUVENIRS

 

Les traces cachées de nos souvenirs
Pierre Gagnepain, Karine Lebreton, Béatrice Desgranges,Francis Eustache dans mensuel 432


Notre mémoire inconsciente rappelle sans que nous nous en apercevions des informations qui nous aident à reconnaître des visages, des mots ou des sons. On vient de découvrir qu'elle a aussi un rôle essentiel dans la formation de nos souvenirs conscients.
Tous les souvenirs qui constituent notre mémoire n'ont pas le même degré de précision. Certains sont riches et vivaces, d'autres paraissent lointains, telle une vieille histoire, voire une sensation imprécise [1] . Dans ces deux cas, on parle de mémoire « explicite ». On oppose souvent cette forme de mémoire à la mémoire « implicite », ou inconsciente, qui nous conduit, par exemple, à « réinventer » involontairement des choses vues ou entendues.

La plupart des travaux d'imagerie cérébrale réalisés jusqu'à présent ont permis de montrer que la mémoire implicite et la mémoire explicite dépendent de structures et de réseaux cérébraux relativement distincts. Ces deux réseaux sont-ils pour autant fonctionnellement indépendants ? De récents travaux, menés notamment par notre équipe à l'Inserm, suggèrent qu'il existe en réalité une contribution importante de la mémoire implicite à la formation des souvenirs explicites.

Pour le comprendre, commençons par nous pencher sur la nature de la mémoire explicite. Prenons, par exemple, cette situation anodine : vous croisez un ami dans la rue avec qui vous avez dîné au restaurant quelques jours auparavant. Une multitude de détails relatifs à cette soirée vont probablement vous revenir au cours de votre discussion : ce que vous vous êtes raconté, le nom du restaurant, ce que vous avez mangé, les personnes présentes, votre état émotionnel, etc. Cet ensemble constitue un souvenir « épisodique » et caractérise un événement précis de votre vie : vous avez quasiment l'impression de « revivre » la scène. Maintenant, supposons que la personne que vous croisez vous est familière, mais que vous êtes incapable de vous rappeler où et quand vous l'avez rencontrée : la situation devient alors beaucoup plus délicate pour vous ! Qu'est-ce qui différencie, dans notre cerveau, un souvenir d'un simple sentiment de familiarité ?

Réseaux spécialisés
Depuis de nombreuses années, les chercheurs ont compris que l'hippocampe, une petite structure enfouie à l'intérieur du lobe temporal, joue un rôle primordial pour distinguer ces deux formes de mémoire explicite [2] . D'un point de vue physiologique, l'hippocampe peut être considéré comme le tube d'un entonnoir vers lequel la plupart des informations traitées par le cortex cérébral convergent. Le cortex cérébral permet de traiter et d'analyser les différentes informations qui composent notre environnement. Par exemple, il existe un réseau cortical spécialisé dans le traitement des visages, un autre dans le traitement des lieux, et de même pour les objets, les mots, les sons, etc. Toutes ces informations sont précieuses pour former un souvenir épisodique riche et détaillé.

L'hippocampe permet l'établissement d'un lien entre ces différentes informations traitées par le cortex. C'est probablement grâce à ce lien que le narrateur de Marcel Proust put se remémorer ses souvenirs à partir du simple goût d'une madeleine [3] ! En revanche, si ce lien n'est pas établi par l'hippocampe, seul un type d'information est mémorisé par exemple un visage ; le souvenir du visage n'est alors pas associé à un contexte particulier lieux, objets environnants, émotions et ne pourra alors générer qu'un sentiment de familiarité.

Prenons un autre exemple, qui caractérise cette fois-ci la mémoire implicite : vous arrivez en retard à une séance de cinéma où vous aviez rendez-vous avec un ami. Celui-ci est déjà installé, et le film a commencé. Malgré la pénombre et le fait que vous ne disposiez que d'informations partielles sur son visage vu de biais, il vous est tout de même assez aisé de retrouver votre ami. Pour accomplir une telle tâche, votre cerveau utilise à votre insu tous les « souvenirs » dont il dispose sur le visage. Les chercheurs ne parlent pas de « souvenirs » mais plutôt de représentations dans ce cas précis. Ainsi, afin de reconnaître un visage, un mot ou un son, nous utilisons de manière plus ou moins consciente les représentations mentales dont nous disposons.

Pour objectiver expérimentalement ces phénomènes de mémoire implicite, les psychologues ont recours au paradigme d'amorçage : le fait d'avoir été exposé une première fois à un stimulus visage, son, mot, etc. permet d'identifier plus efficacement et rapidement ce même stimulus lors d'une seconde présentation. Ce phénomène n'est pas en soi un résultat extraordinaire. Bien plus intéressant, en revanche, est le fait que les sujets n'ont pas conscience d'utiliser leur mémoire et le souvenir de la première présentation, tout comme lors de la situation du cinéma prise pour exemple.

Principe d'économie
Comment ces phénomènes de mémoire implicite se produisent-ils dans le cerveau ? Lors d'une expérience récente utilisant l'imagerie par résistance magnétique fonctionnelle IRMf, nous avons enregistré l'activité cérébrale associée aux effets d'amorçage pendant que des sujets sains jeunes entendaient des mots [4] . Lors de la seconde présentation des mots, la voix était filtrée comme si les mots étaient entendus derrière une porte situation similaire, pour la perception auditive, à l'exemple du visage dans la pénombre. Selon nos résultats, les populations neuronales qui réagissent habituellement à l'écoute des mots, notamment dans le cortex auditif, diminuent le niveau de leur réponse lors de la seconde présentation des mots [fig. 1] . En outre, cette réponse diminue d'autant plus que les sujets sont rapides pour identifier les mots entendus.

Ce résultat est un peu contre-intuitif car on pourrait penser que plus l'identification d'un mot est rapide, et plus la réponse neuronale sous-jacente devrait être forte. En réalité, tout se passe comme si la première présentation des mots avait agi tel un entraînement, permettant aux neurones, lors de la seconde présentation, de produire une réponse plus faible, mais en même temps plus ciblée, plus précise et moins coûteuse en énergie. Cela met en lumière une fonction essentielle de la mémoire implicite : le principe d'« économie », qui permet au cerveau de percevoir le monde qui nous entoure plus rapidement et efficacement en utilisant peu d'énergie grâce à l'exploitation inconsciente des représentations en mémoire. La mémoire implicite optimise en quelque sorte le rapport qualité-prix !

Comment la mémoire implicite peut-elle influencer la nature du souvenir ? Ce principe d'« économie » cérébrale lié à la mémoire implicite permet-il seulement de percevoir plus facilement le monde qui nous entoure ou modifie-t-il également les souvenirs que nous en formons ? Reprenons l'exemple du cinéma. Comme nous l'avons vu, le cerveau utilise à notre insu les représentations en mémoire afin de faciliter la détection du visage. Cette mémoire implicite influence-t-elle en retour le souvenir épisodique qui sera formé de cette situation ?

Bien que certains auteurs aient envisagé ce dialogue entre mémoire implicite et mémoire explicite, très peu d'études permettent d'étayer ce point [5] . Nous avons réalisé une expérience originale qui repose sur notre procédure d'amorçage de mots entendus. Cependant, cette fois, lors de la seconde présentation des mots, ceux-ci étaient rendus difficilement audibles en les mélangeant à un contexte sonore un bruit de moto ou des applaudissements - une situation fréquente dans la vie de tous les jours. Une fois l'épreuve d'amorçage terminée, nous avons interrogé les sujets sur les souvenirs qu'ils avaient des mots et du contexte sonore. Si les sujets étaient capables de restituer le mot et son contexte sonore, il s'agissait alors d'un véritable souvenir épisodique précis et détaillé. En revanche, si seul le mot était mémorisé, leur réponse reflétait davantage un simple sentiment de familiarité.

Contexte perturbateur
Nous avons étudié ces phénomènes d'un point de vue comportemental préalablement à une étude d'imagerie cérébrale [6] . Comme nous l'espérions, les sujets étaient plus rapides pour identifier les mots lors de la seconde présentation car ils avaient utilisé leur « souvenir implicite » de la première présentation. De manière intéressante, cette habileté était corrélée avec le nombre de souvenirs épisodiques qu'ils étaient capables de restituer. Ainsi, plus les sujets étaient rapides pour identifier le mot, et plus ils retenaient en mémoire épisodique le mot et son contexte sonore ! En d'autres termes, plus les sujets exploitaient inconsciemment des informations pour comprendre un mot entendu dans un contexte sonore perturbateur, et plus leur capacité à se souvenir de ce mot et de son contexte était renforcée. Les données d'imagerie cérébrale que nous avons récemment acquises appuient également cette conclusion : plus la réponse du cortex diminue, en accord avec le principe d'économie caractérisant le fonctionnement de la mémoire implicite, et plus le traitement opéré par l'hippocampe est efficace.

Le cheminement de cette conception dans la communauté scientifique dépendra de notre capacité à mieux comprendre ces mécanismes dans le cerveau. Et ce n'est pas une mince affaire ! En effet, l'IRMf bien que spatialement très précise souffre d'une résolution temporelle relativement éloignée des processus neuronaux. Par ailleurs, les techniques de mesure non invasives en électrophysiologie qui ne souffrent pas de cette critique, comme la mesure des ondes cérébrales à l'aide d'électrodes, sont quant à elles très peu sensibles aux structures profondes du cerveau telles que l'hippocampe.

À terme, une meilleure compréhension des relations unissant les différentes formes de mémoire [7] permettra de proposer des stratégies novatrices pour la prise en charge des pathologies de la mémoire, notamment la maladie d'Alzheimer. En effet, certaines stratégies consistent à exploiter les capacités de mémoire implicite préservées de ces patients pour remédier à leurs déficits de mémoire explicite.

EN DEUX MOTS Contrairement à ce que l'on a longtemps pensé, la mémoire explicite ce dont nous nous souvenons consciemment et la mémoire implicite inaccessible à la conscience ne fonctionnent pas de façon indépendante. Selon des résultats récents, la mémoire implicite modifie la manière dont nous enregistrons des informations en mémoire explicite. Restent à préciser les relations fines entre les principales zones concernées, le cortex cérébral et l'hippocampe.
[1] E. Tulving, Annual Review of Psychology, 53, 1, 2002.

[2] H. Eichenbaum et al., Annual Review of Neuroscience, 30, 123, 2007.

[3] F. Eustache et al., Sciences humaines, 201, 47, 2009.

[4] P. Gagnepain, et al., Journal of Neuroscience, 28, 5281, 2008.

[5] C.J. Berry et al., Trends in Cognitive Science, 12, 367, 2008.

[6] P. Gagnepain et al., Consciousness and Cognition, 17, 276, 2008.

[7] F. Eustache et B. Desgranges, Neuropsychology Review, 18, 53, 2008.


DOCUMENT      larecherche.fr      LIEN

 
 
 
Page : [ 1 2 3 4 5 6 7 ] Précédente - Suivante
 
 
 


Accueil - Initiation musicale - Instruments - Solf�ge - Harmonie - Instruments - Vidéos - Nous contacter - Liens - Mentions légales /confidentialit�

Initiation musicale Toulon

-

Cours de guitare Toulon

-

Initiation à la musique Toulon

-

Cours de musique Toulon

-

initiation piano Toulon

-

initiation saxophone Toulon

-
initiation flute Toulon
-

initiation guitare Toulon

Google