ecole de musique toulon, cours de piano
     
 
 
 
 
 
menu
 
 

NEUROSCIENCES

 

 

 

 

 

 

 

A l'heure des neurosciences
Jean-Jacques Slotine dans mensuel 350
daté février 2002 -


Connaît-on l'ascidie, ce petit animal marin qui, après s'en être servi pour se mouvoir, digère tranquillement son cerveau, car il n'en a plus besoin ? Plus que jamais à l'école du vivant, la robotique s'aventure aujourd'hui vers la prise en compte de phénomènes qui vont bien au-delà de la conception classique du « cerveau dans la boîte ».
« Alors la babouine demande timidement au babouin, les yeux chastement baissés : Aimez-vous Bach ? » Albert Cohen .


L'heure est au dialogue entre robotique et neurosciences, et, au-delà des analogies les plus évidentes, à l'élaboration de problématiques communes. Partout dans le monde se créent des centres regroupant neurosciences, biologie, modélisation mathématique et robotique. Témoin de l'ampleur du phénomène : le nouveau McGovern Institute, au MIT, qui va y consacrer pas moins de 350 millions de dollars - à peu près autant que le synchrotron Soleil ! Nous sommes sans doute à l'aube d'une véritable approche « système » de la compréhension du cerveau, réalisant le vieux rêve de la cybernétique.

Cette fertilisation croisée, cette coévolution, pourrait-on dire, n'est certes pas nouvelle. La nature inspirait déjà la robotique du temps des tortues de Grey Walter, en 1950. Mais l'accélération considérable au cours des vingt dernières années des découvertes sur le cerveau, la physiologie de l'action, ou encore l'acquisition de la parole et du langage, a changé la donne. Jim Watson, le codécouvreur de la structure de l'ADN et le promoteur du programme « Génome humain », fait avec raison de la compréhension du cerveau le grand défi scientifique du XXIe siècle. Compréhension susceptible de remettre en question notre conception de la science elle-même : c'est avec notre cerveau que nous créons des théories !

Mais à l'inverse, la robotique peut éclairer la physiologie, l'artificiel illuminer le vivant. Comme le remarque le biologiste Edward O. Wilson, dans son classique Consilience : the Unity of Knowledge 1998 « Le moyen le plus sûr d'appréhender la complexité du cerveau, comme de tout autre système biologique, est de le penser comme problème d'ingénierie . »I 1 L'ambition de la robotique est de comprendre de quelles capacités on peut doter une machine en interaction physique avec son environnement, et comment cette machine peut par elle-même s'adapter et apprendre.

En neurosciences, on associe de plus en plus l'évolution et le développement des processus cognitifs au raffinement des fonctions sensori-motrices2. Le neurologue Rodolfo Llinas3, à l'université de New York, cite l'exemple de l'ascidie, petit animal marin qui, après avoir nagé vers le rocher où il s'installera, digère son cerveau, devenu inutile dès lors qu'il n'a plus à se déplacer ! De même, l'interaction physique et dynamique avec l'environnement, le contrôle du mouvement, poussent la robotique au-delà du domaine conceptuel classique de l'intelligence artificielle, du brain in a box cerveau dans une boîte.

Mémoire parfaite. En règle générale, la robotique est très loin d'égaler la nature, mais ses contraintes ne sont pas les mêmes et, pour certaines tâches, elle fait même mieux que la nature. Malgré la grande flexibilité de positionnement des actionneurs moteurs, muscles artificiels, etc. et des capteurs caméras, encodeurs, etc., le hardware mécanique est très à la traîne, tant en complexité qu'en robustesse et en adaptabilité. En revanche, la robotique bénéficie de la possibilité de coder explicitement des relations mathématiques complexes les équations de la mécanique, par exemple, permettant souvent soit des raccourcis à travers les calculs de la nature, soit des techniques fondamentalement différentes. Les robots possèdent également une mémoire parfaite et une capacité de répétition exacte. Si l'on veut qu'un robot apprenne à marquer des paniers au basket-ball, il lui suffit de déterminer une fois pour toutes la relation entre son mouvement et l'endroit où la balle tombe : problème mathématique simple qui conduira à un apprentissage rapide. Le robot dispose également de possibilités de simulation en temps très accéléré, alors qu'il faut à l'homme à peu près autant de temps pour imaginer un mouvement que pour l'effectuer. Un robot peut « penser » en 5 ou 10 dimensions aussi facilement qu'en 3. Enfin la robotique tire profit de l'accélération constante des moyens de calcul4, au point de pouvoir calculer plus vite que la nature elle-même.

Un autre avantage des robots sur les systèmes biologiques est la rapidité de la transmission de l'information. La vitesse de transmission des impulsions nerveuses est bien inférieure à la vitesse du son. Elle est donc environ un million de fois plus petite que celle de l'information dans un câble électrique. De plus, à chaque connexion synapse entre neurones le signal électrique est transformé d'abord en signal chimique, puis de nouveau en signal électrique à l'arrivée, perdant chaque fois environ 1 ms : un peu comme un train qui prend un ferry-boat. Ce rôle central des délais conditionne certains aspects de l'architecture des systèmes biologiques, par exemple l'organisation massivement parallèle des calculs dans les cent milliards de neurones du cerveau et leurs millions de milliards de synapses. Laquelle architecture parallèle, il faut le reconnaître, se prête particulièrement bien aux problèmes d'approximation distribuée, c'est-à-dire d'apprentissage.

Cette question du temps est aussi au coeur de bien des aspects importants de la robotique, qu'il s'agisse de la téléprésence - comment commander un robot à l'autre bout de la planète ou au fond de l'océan, « comme si vous y étiez » -, pour coordonner la vision par ordinateur et la manipulation, et, comme chez les êtres vivants, pour tous les mécanismes permettant l'unité de la perception binding.

Notre laboratoire a beaucoup étudié l'adaptation et la coordination vision-manipulation5,6, et leur illustration expérimentale sur des robots rapides. Comment un robot attrape-t-il un objet qu'on lui lance ? Il doit anticiper la trajectoire de l'objet, sur la base d'informations visuelles - obtenir ces informations avec une précision suffisante peut nécessiter d'utiliser des caméras mobiles, comme le fait l'oeil quand il suit un objet en mouvement. Il doit planifier une trajectoire pour intercepter l'objet et l'attraper - il peut être judicieux, par exemple, d'attraper l'objet tangentiellement à sa trajectoire, de façon à nécessiter moins de précision du timing de la fermeture de la main, et aussi à attraper l'objet plus délicatement. Une fois l'objet attrapé, il faut le décélérer progressivement et ne pas le laisser tomber, en s'adaptant très vite à ses propriétés dynamiques inconnues masse, position du centre de masse, moments d'inertie. Ces travaux nous ont conduits à rechercher des méthodes et des concepts généraux pour aborder systématiquement des questions de plus en plus complexes, impliquant une réflexion plus directe sur ce que nous apprend le monde du vivant.

Primitives motrices. La solution de la nature à la construction progressive de tels systèmes est, bien sûr, l'évolution. Tout objet biologique, et le cerveau en particulier, résulte de l'évolution. Celle-ci procède par accumulation et combinaisons d'éléments intermédiaires stables, créant ainsi des structures fonctionnelles de plus en plus complexes7,8. Selon la formule de François Jacob, « De la bactérie à la drosophile, quel bricolage depuis trois milliards d'années ! » La réponse émotionnelle humaine, par exemple, combine deux éléments intermédiaires stables, une boucle archaïque rapide ne passant pas par le cortex, et une boucle corticale plus lente9. Le système immunitaire humain se compose d'une série de couches fonctionnelles, où se combinent notamment des mécanismes rapides et archaïques d'immunité innée, et des mécanismes plus lents d'immunité acquise ou adaptative, dont le temps de réponse dépend de l'exposition antérieure au pathogène.

De même, l'architecture de contrôle du mouvement chez les vertébrés utilise des combinaisons de primitives motrices. Emilio Bizzi et ses collègues, au MIT, ont fait, sous divers protocoles expérimentaux, l'expérience suivante. On excite la moelle épinière d'une grenouille anesthésiée, et un capteur placé sur la cheville de l'animal mesure le champ de forces ainsi créé. Deux conclusions. Tout d'abord, si l'on déplace l'excitation le long de la moelle épinière, on n'obtient que quatre champs de forces, correspondant à quatre régions de la moelle. De plus, si l'on excite deux régions en même temps, on obtient essentiellement la somme vectorielle des champs de forces. Ces résultats et des expériences plus récentes suggèrent que les mouvements de la grenouille, par exemple quand elle saute pour attraper un insecte, sont obtenus par simples combinaisons de primitives motrices élémentaires, modulées temporellement dans la moelle épinière sur la base d'informations provenant du cerveau.

Les accumulations progressives de configurations stables sont un thème récurrent dans l'histoire de la cybernétique et de l'intelligence artificielle, depuis les tortues de Grey Walter à la « Society of Mind10 » de Marvin Minsky 1986, en passant par les architectures hiérarchiques de Herbert Simon11 1962, les véhicules de Valentino Braitenberg12 1984, et autres insectes de Rodney Brooks13 1986, 1999.

Ces accumulations progressives forment aussi la base de théories récentes sur le fonctionnement du cerveau, qui privilégient l'interaction massive entre structures spécialisées pour expliquer la pensée et la conscience14,15,16.

Un des thèmes centraux des neurosciences est de comprendre comment des informations provenant de diverses modalités sensorielles, traitées par des centaines de régions spécialisées dans le cerveau, aboutissent à une perception unifiée. Dans le seul système visuel, par exemple, certaines aires corticales traitent les contours, d'autres les formes, le mouvement, les distances, la couleur... Mais ces processus sont inconscients. Vous ne voyez qu'un enfant en train de jouer au ballon sur la plage. Des recherches récentes suggèrent que cette unité de la perception, sans système centralisé de coordination « Il n'y a pas d'aire en chef » , comme le dit Gerald Edelman, pourrait essentiellement être le résultat de milliers de connexions réciproques entre aires spécialisées, particulièrement dans le système thalamo-cortical. Le thalamus est une formation qui a évolué avec le cortex. Toutes les informations sensorielles qui arrivent au cortex passent par le thalamus, où elles sont sélectionnées. De plus, beaucoup des connexions entre les différentes aires du cortex passent également par le thalamus17.

Boucles lentes. Il s'agit là de boucles rapides. La description se complique si on intègre l'existence de milliers d'autres boucles, « lentes » et inconscientes, qui partent du cortex, passent par les ganglions de la base ou le cervelet deux structures intervenant notamment dans la planification et dans le contrôle des mouvements, puis par le thalamus, avant de revenir au cortex. D'autres boucles encore passent par l'hippocampe une autre structure, liée à la mémoire à long terme. L'un des rôles de ces boucles pourrait être de permettre une sorte de « jeu des vingt questions » sélectionnant les informations les plus pertinentes pour une tâche donnée. Le délai de transmission de l'information à travers chacune de ces boucles est de l'ordre de 150 ms. Comment le système converge-t-il malgré ces délais ?

Intrinsèquement, accumulations et combinaisons d'éléments stables n'ont aucune raison d'être stables, et donc d'être retenues à l'étape suivante de l'évolution ou du développement. D'où notre hypothèse que l'évolution favorise une forme particulière de stabilité, automatiquement préservée en combinaison. Une telle forme de stabilité peut être caractérisée mathématiquement. Cette propriété, dite de contraction, fournit également un mécanisme très simple de construction progressive de systèmes robotiques arbitrairement complexes à partir d'un grand nombre de sous-systèmes eux-mêmes contractants, en sachant que la stabilité et la convergence des combinaisons seront automatiquement garanties18.

Plus spécifiquement, un système dynamique non linéaire est contractant s'il « oublie » exponentiellement ses conditions initiales. Autrement dit, si l'on perturbe temporairement un tel système, il reviendra à son comportement nominal - il reprendra ce qu'il était en train de faire - en un temps donné. On peut montrer que ce type de système peut être caractérisé par des conditions mathématiques relativement simples. Mais surtout que la propriété de contraction est automatiquement préservée par toute combinaison parallèle, en série ou hiérarchique, et certains types de rétroaction ou recombinaison dynamique de sous-systèmes eux-mêmes contractants. Permettant du coup de jouer au Lego avec des systèmes dynamiques19.

Remarquons qu'au moins pour des petites perturbations, un tel type de robustesse est en fait une condition nécessaire à tout apprentissage : un système dont les réponses seraient fondamentalement différentes à chaque essai serait incompréhensible.

Revenons à la grenouille d'Emilio Bizzi. L'architecture simplifiée mise à jour est intéressante intuitivement, car elle réduit considérablement la dimension et donc la complexité des problèmes d'apprentissage et de planification. Mathématiquement, ce type d'architecture est proche du concept - très classique en robotique - de champs de potentiels, où l'on utilise les moteurs du robot pour créer des « ressorts » virtuels dans des problèmes de navigation et de contrôle. Mais il en est aussi différent, de par la modulation temporelle des primitives, elle-même le résultat de processus dynamiques en amont. On peut montrer que chacune des primitives motrices de la grenouille vérifie la propriété de contraction, et donc que toutes ces combinaisons, parallèles et hiérarchisées, sont automatiquement stables.

Les signaux mesurés dans le système nerveux, par exemple ceux impliqués dans le contrôle du mouvement, correspondent rarement à des quantités physiques « pures », mais plutôt à des mélanges2, par exemple de positions et de vitesses. Alors qu' a priori ces signaux composites pourraient paraître mystérieux ou même être des imperfections, ils relèvent sans doute de bonnes raisons mathématiques. En effet, on peut montrer que l'utilisation de combinaisons judicieuses de variables peut réduire très sensiblement la complexité des problèmes d'estimation et de contrôle, et même réduire l'effet des retards de transmission de l'information.

En théorie du contrôle, par exemple, on utilise souvent des variables dites « de glissement » sliding variables , combinaisons linéaires d'une quantité et de ses dérivées temporelles. Ces combinaisons peuvent être facilement choisies de façon à réduire un problème d'ordre quelconque à un problème du premier ordre, beaucoup plus simple à résoudre. Elles correspondent à créer mathématiquement des séries de modules contractants.

D'autres problèmes que le système nerveux doit résoudre sont essentiellement identiques à des problèmes résolus par les ingénieurs. Dans le système vestibulaire humain l'oreille interne, par exemple, les « otolithes » mesurent l'accélération linéaire, et les « canaux semi-circulaires » mesurent la vitesse angulaire au moyen d'une mesure tres filtrée de l'accélération angulaire. Cette configuration est essentiellement la même que dans les systèmes dits strapdown de navigation inertielle sur les avions modernes, où un algorithme classique utilise ces mêmes mesures pour estimer la position et l'orientation de l'avion.

Faculté de prédire. Une notion essentielle à prendre en compte est la faculté de prédire2,3. Prédire est l'une des principales activités du cerveau. On la retrouve dans l'anticipation de la trajectoire d'une balle à attraper20, l'évitement d'obstacles mobiles, la préparation du corps à l'éveil dans les dernières heures de la nuit, voire dans l'aberrante efficacité de l'effet placebo plus de 30 % dans la plupart des maladies bénignes.

Prédire joue également un rôle fondamental dans la perception active orienter le regard, par exemple et l'attention. Dans le système nerveux, l'information est sélectionnée, filtrée, ou simplifiée à chaque relais sensoriel. Si l'on considère par exemple la partie du thalamus correspondant à la vision, moins de 10 % des synapses amènent des informations provenant des yeux et déjà préfiltrées au passage, et toutes les autres synapses servent à moduler ces informations17 !

Du point de vue mathématique, toutes ces questions relèvent de la théorie des observateurs, qui sont des algorithmes utilisés pour calculer ou pour prédire l'état interne d'un système en général non linéaire à partir de mesures partielles, souvent externes et bruitées. Typiquement, un observateur se compose d'une simulation du système utilisant un « modèle interne » peut-être approximatif, guidée et corrigée par les mesures prises sur le système. Dans les problèmes de perception active et sous certaines conditions, l'observateur permet aussi de sélectionner, a priori , la mesure ou la combinaison fusion de mesures à effectuer qui seront les plus utiles pour améliorer l'estimation de l'état du système à un instant donné, une idée inspirée du système nerveux et utilisée aujourd'hui dans les systèmes de navigation automobile automatique.

Parce qu'ils se fondent sur des mesures partielles, les observateurs permettent aussi de généraliser à des processus dynamiques la notion de mémoire adressable par le contenu content-addressable memory , chère aux amateurs de réseaux de neurones artificiels. Par exemple, une personne peut être reconnue à partir seulement d'une image de ses yeux, un concerto de Ravel à partir des premières mesures. Et, dans un processus physiologique minutieusement décrit, élaboré sur le plus archaïque de nos sens, la madeleine de Proust conduit automatiquement aux huit volumes de la Recherche .

Pour le problème de l'unité de la perception, la notion de contraction suggère un modèle possible pour expliquer la convergence globale des interactions rapides dans le système thalamo-cortical et la variation régulière de la perception au fur et à mesure que les données sensorielles changent : il suffirait que la dynamique de chacune des aires impliquées soit contractante. Inversement, le principe d'un vaste réseau de systèmes contractants spécialisés, totalement décentralisé mais globalement convergent, peut être utilisé dans un système artificiel pour intégrer diverses informations sensorielles et algorithmes de traitement. De plus, on peut montrer que ces boucles d'interaction sont un moyen particulièrement efficace et rapide de partager le traitement de l'information entre divers systèmes, puisque le temps de réponse de l'ensemble ne dépasse pas celui du système le plus lent. Cette rapidité contraste fortement avec celle d'une architecture centralisée ou hiérarchisée, où les temps de réponse s'accumulent et deviennent totalement prohibitifs pour de grands systèmes.

Téléprésence. Petite note historique : en Union soviétique, les discours fleuve annuels sur le socialisme scientifique ont suivi, littéralement, l'évolution de la cybernétique interprétée au sens large comme science du « gouvernement » et ont donc vu apparaître au début des années 1980 les ancêtres des systèmes décentralisés que nous venons de décrire. On connaît la suite.

Un problème similaire à celui des boucles lentes se rencontre en téléprésence, où des délais de transmission non négligeables entre robot-maître et robot-esclave créent d'importants problèmes de stabilité. L'une des façons de le résoudre est d'utiliser pour les transmissions un type particulier de variable composite, qui revient à ce que chaque transmission simule une onde dans une poutre mécanique virtuelle. En effet, une poutre transmet des ondes dans deux directions avec des délais, mais est naturellement stable. Le cerveau utilise-t-il de telles combinaisons dans ses boucles lentes14,18,21 ?

Ce type d'architecture et de telles « variables d'onde » pourraient également être exploités dans d'autres systèmes artificiels. Par exemple, dans les problèmes de calcul asynchrone distribué, où des milliers d'ordinateurs, communiquant entre eux par Internet, doivent être coordonnés pour résoudre un problème commun.
1 Edition française, Robert Laffont, 2000.

2 A. Berthoz, Le Sens du mouvement, Odile Jacob, 1997.

3 R. Llinas, I of the Vortex : from Neurons to Self, MIT Press, 2001.

4 R. Kurzweil, The Age of Intelligent Machines, Viking, 1999.

5 J.J.E. Slotine et W. Li, Applied Nonlinear Control , Prentice-Hall, 1991.

6 S. Massaquoi et J.J.E. Slotine, « The intermediate cerebellum may function as a wave variable processor », Neuroscience Letters, 215 , 1996.

7 R. Dawkins, The Salfish Gene, 2e ed., Oxford University Press, 1994.

8 M. Ridley, Mendel's Demon, Free Press, 2000.

9 J. Ledoux, The Emotional Brain, Simon and Schuster, 1996.

10 M. Minsky, The Society of Mind, MIT Press, 1986.

11 H.A. Simon, The Sciences of the Artificial, 3e éd., MIT Press, 1996.

12 V. Braitenberg, Vehicles, MIT Press, 1984.

13 R. Brooks, Cambrain Intelligence, MIT Press, 1999.

14 S. Massaquoi et J.J.E. Slotine, « The intermediate cerebellum may function as a wave variable processor », Neuroscience Letters, 215 , 1996.

15 S. Hanneton et al. , Biological Cybernetics , 776, 1998.

16 G. Tononi et al., Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 95 , 3198, 1998.

17 S.M. Sherman et C. Koch, « Thalamus », in Synaptic Organization of the Brain , 4th éd., G.M. Shepherd éd., Oxford University Press, p. 289-328, 1998.

18 J.J.E. Slotine et W. Lohmiller, « Modularity, evolution, and the binding problem : A view from stability theory », Neural Networks, 14 , 2001.

19 W. Lohmiller et J.J.E. Slotine, Automatica, 346, 1998.

20 S. Dehaene, M. Kerzberg et J.-P. Changeux, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 95 , 14529, 1998.

21 J. Hong et J.J.E. Slotine, Experiments in Robotics Catching , ISER, 1995.
SAVOIR
:

-G. Edelman et G. Tononi, L'Univers de la conscience , Odile Jacob, 2000.

 

 DOCUMENT       la recherche.fr

 
 
 
 

Rüdiger Gamm, calculateur prodige

 

 

 

 

 

 

Rüdiger Gamm, calculateur prodige
Laure Zago, Mauro Pesenti, Nathalie Tzourio-Mazoyer dans mensuel 344


Des expériences effectuées sur un expert en calcul révèlent, pour la première fois, les aires cérébrales activées pendant ses exploits. Pour résoudre ses problèmes mathématiques, l'Allemand Rüdiger Gamm utilise, contrairement à tout un chacun, sa mémoire à long terme.
Etes-vouscapablesde retenir mentalement les commandes d'une dizaine de clients dans une brasserie, la succession des déplacements des pièces d'une partie entière d'échecs ou une liste de plusieurs dizaines de mots que l'on vient de vous lire ? Si vous n'êtes pas serveur dans un bar, joueur d'échecs chevronné ou mnémoniste professionnel, probablement pas !

La faute est imputable à notre « mémoire de travail à court terme », celle qui nous permet de maintenir à l'esprit des informations diverses le temps nécessaire à leur utilisation. Cette mémoire est en effet ainsi faite que, bien qu'on puisse y faire entrer très rapidement toutes sortes d'informations, elle a une capacité et une durée limitées et est très sensible aux interférences externes. En moyenne, nous pourrons ainsi retenir, durant quelques secondes, 7 ± 2 éléments1 non reliés par exemple, un numéro de téléphone le temps de le composer. Toute pensée ou information nouvelle viendra perturber le maintien et, dans la plupart des cas, effacer irrémédiablement ces éléments, qui seront de toute façon oubliés sitôt utilisés. La mémoire dite « à long terme » contient, quant à elle, toutes nos connaissances et nos souvenirs. Si elle requiert plus de temps d'encodage, elle n'a pas de limites connues et, peu sensible aux interférences, est pratiquement permanente. Pourtant, il est commun pour un serveur de retenir une longue liste de commandes ou, pour un joueur d'échecs, de rappeler les phases d'une partie, alors que ni l'un ni l'autre n'a passé beaucoup de temps pour mémoriser ces informations. Ces experts ont-ils « un truc » ? Possèdent-ils une mémoire à court terme phénoménale qui leur permet d'emmagasiner à volonté toute information qui se présente à eux ? Leurs capacités accrues de mémoire traduisent-elles simplement une accélération et une optimisation d'un processus existant ou au contraire un fonctionnement cérébral différent ?

Mémoire à long terme. A la fin des années 1980 et au début des années 1990, le psychologue américain K. Anders Ericsson et ses collègues tentèrent d'expliquer les performances des experts par l'utilisation de ce qu'ils appelèrent la mémoire de travail à long terme2. Au lieu d'utiliser leur mémoire à court terme et être ainsi soumis aux limites de celle-ci, les experts développeraient, grâce à leur pratique intensive, des réseaux structurés de connaissances et des mécanismes particuliers pour encoder rapidement les éléments dans leur mémoire à long terme. Ils y récupéreraient efficacement toute nouvelle information liée à leur domaine d'expertise. Autrement dit, les experts surmonteraient les limites de la mémoire à court terme en utilisant leur mémoire à long terme. Ils développeraient des procédures d'indiçage efficaces afin de contrecarrer la lenteur des processus d'encodage et de récupération des informations de leur mémoire à long terme. Si cette proposition avait reçu le soutien de quelques observations empiriques portant sur les performances d'experts, il lui manquait encore une démonstration expérimentale forte, tout particulièrement quant à la question du substrat cérébral impliqué dans l'expertise.

Les réseaux cérébraux impliqués chez les experts s'accorderaient-ils avec cette idée d'une mémoire de travail à long terme ? Pour répondre à cette question, nous avons étudié l'activité cérébrale d'un expert en calcul réalisant des calculs mentaux et avons mis en évidence les réseaux cérébraux plus actifs chez lui que chez des sujets non experts. Pour un adulte, la résolution de problèmes arithmétiques simples par exemple, 2 x 3 ou 3 x 6 n'implique pas réellement de calcul. Ces problèmes ont en effet été mémorisés durant l'enfance, sont stockés en mémoire à long terme au sein d'un réseau associatif, et sont tout simplement récupérés directement en mémoire lorsqu'ils sont rencontrés3. Au contraire, des problèmes plus complexes notamment le produit de deux nombres à deux chiffres : 63 x 48 n'ont jamais été mémorisés et requièrent réellement l'application de procédures de calcul. La plupart des adultes scolarisés sont capables de résoudre mentalement ces problèmes au prix de beaucoup de temps et d'efforts. De fait, leurs performances sont généralement assez médiocres. De tels calculs présentent en effet une charge importante pour la mémoire à court terme : il faut garder à l'esprit les éléments du problème, rechercher une stratégie de résolution, appliquer pas à pas cette stratégie et contrôler à chaque étape son application correcte. Il faut de plus rechercher des résultats intermédiaires, les garder temporairement en mémoire, puis les oublier une fois qu'ils ont été utilisés. Enfin, il faut appliquer des règles arithmétiques de base qui permettent de décomposer les éléments et de combiner correctement les résultats intermédiaires. On comprend dès lors aisément les difficultés rencontrées par un sujet tout venant confronté à de tels calculs : les limites de la capacité de sa mémoire à court terme sont rapidement atteintes par le nombre d'informations à retenir et d'opérations à effectuer, ce qui rend la résolution très fastidieuse et sujette à l'erreur.

Il existe pourtant des individus, que l'on appelle « calculateurs prodiges » ou calculateurs experts, capables de réaliser mentalement des calculs complexes, très rapidement et apparemment sans grand effort4. Rüdiger Gamm, un jeune Allemand de 26 ans, est de ceux-là. Il peut élever jusqu'à la puissance 15 tous les nombres à 2 chiffres, multiplier entre eux des nombres à 2 ou 3 chiffres, calculer des sinus et des racines, diviser entre eux deux nombres premiers et donner le résultat avec plus de 60 décimales correctes voir tableau. Il peut encore réaliser des calculs de calendrier, c'est-à-dire donner, pour n'importe quelle date passée ou à venir, le jour de la semaine correspondant. Dans nos travaux5, nous avons étudié les capacités de calcul de Rüdiger et montré que sa bonne connaissance des opérations arithmétiques de base, sa maîtrise d'algorithmes de résolution et son excellente mémoire pour les données numériques sous-tendaient son expertise. Nous avons aussi montré que Rüdiger avait une mémoire à court terme accrue pour les nombres. Il est capable de rappeler à l'endroit et à l'envers 11 chiffres qu'on vient de lui donner, alors que des sujets non experts n'en rappellent que 7 à l'endroit et 5 à l'envers. Cette capacité ne s'applique cependant pas pour des lettres ou des positions spatiales, confirmant par là que les experts ont des capacités de mémoire supérieures uniquement dans leur domaine d'expertise. Enfin, Rüdiger a mémorisé un grand nombre d'informations numériques : il connaît par coeur toutes les puissances des nombres à deux chiffres et peut les donner en moins d'une seconde. Il retient très facilement toute nouvelle information chiffrée puisqu'il peut se souvenir de résultats de problèmes qu'il a résolus quelques heures auparavant. Rüdiger est donc un bon exemple de la manière dont mémoire des nombres et procédures de calcul se combinent pour conduire à l'expertise en calcul.

Activité spécifique. Afin de déterminer les réseaux cérébraux impliqués dans le calcul mental, nous avons mené des études en tomographie par émission de positons TEP au cours desquelles nous avons demandé à Rüdiger6, ainsi qu'à des volontaires masculins non experts en calcul7, de résoudre deux types de problèmes, complexes et simples. Les premiers impliquent l'utilisation de procédures de calcul, tandis que les seconds sont directement récupérés en mémoire. Parmi les processus impliqués lors de la résolution de problèmes complexes, certains le sont aussi lors de la résolution de problèmes simples le traitement visuel du stimulus, la récupération de résultats en mémoire et la production de la réponse. Dès lors, lorsqu'on soustrait l'activité enregistrée pendant la résolution de problèmes simples récupérés en mémoire de l'activité enregistrée durant la résolution de problèmes complexes calculés, on peut isoler les processus de la mémoire de travail à court terme spécifiquement liés au calcul proprement dit. Chez Rüdiger, tout comme chez les sujets non experts, ceux-ci impliquent essentiellement des aires postérieures lobes pariétaux et occipitaux dans les deux hémisphères, et des aires frontales uniquement dans l'hémisphère gauche en vert sur les coupes du cerveau. Or, ces réseaux d'aires ont été observés dans des études sur la mémoire de travail visuo-spatiale8 la partie supérieure du cortex pariétal intérieur et le sillon frontal supérieur gauche et sur l'imagerie mentale visuelle9 les gyri* occipitaux et temporaux inférieurs bilatéraux. Lors de la résolution de problèmes complexes, Rüdiger et les sujets non experts utilisent donc des stratégies imagées visualiser le problème, les étapes, les reports, etc..

Aires cérébrales. Restait à déterminer si Rüdiger présente une quelconque spécificité liée à son expertise : trouvait-on, chez cet expert, des activations susceptibles de démontrer le recours à une mémoire de travail à long terme ? Nous avons dégagé les aires cérébrales plus actives, chez notre expert uniquement, durant le calcul mental. Celles-ci résident essentiellement dans l'hémisphère droit, dans les aires préfrontales et médio-temporales en rouge sur les coupes du cerveau. Or, ces aires font bien partie des réseaux de la mémoire à long terme. Elles sont le siège de processus liés à la mémoire dite « épisodique ». Celle-ci renvoie à l'ensemble des souvenirs d'événements et de faits personnels du sujet qui se souvient, et couvre l'acquisition d'informations à un moment donné afin de créer une nouvelle trace en mémoire l'encodage, le maintien et la consolidation de cette trace à travers le temps, et sa restitution lors d'une occasion ultérieure la récupération. Les activations observées dans le cortex frontal, parahippocampique et cingulaire antérieur droits s'accordent bien avec l'encodage et le rappel des résultats intermédiaires. On sait en outre que le cortex cingulaire antérieur participe également à la détection d'erreurs et de conflit entre des réponses compétitrices. Il joue un rôle de régulateur des processus cognitifs qui reflète bien l'expertise dans l'adaptation du comportement à des situations complexes. Cela se traduit par la capacité qu'a Rüdiger de détecter et de corriger immédiatement ses erreurs occasionnelles de calcul. Enfin, les structures temporales médianes droites hippocampe, parahippocampe et régions proches sont plus particulièrement impliquées dans les aspects visuo-spatiaux de la mémoire épisodique, la région parahippocampique droite prenant en charge le stockage et le maintien d'informations sur de longs délais. Ceci est donc en accord non seulement avec les résultats montrant l'implication de la mémoire de travail à court terme visuo-spatiale, mais aussi avec l'idée de l'implication d'une mémoire de travail, cette fois à long terme.

Dans le cas de Rüdiger Gamm, l'expertise cognitive ne correspond donc pas uniquement à une accélération de processus existants ou à une modulation locale des activations. Elle implique des stratégies cognitives radicalement différentes, sous-tendues par des aires cérébrales différentes, qui permettent de circonvenir aux limitations de la mémoire à court terme. Contrairement aux autres, l'expert en calcul sait s'appuyer sur sa mémoire de travail à long terme. Il reste maintenant à démontrer que d'autres formes d'expertise correspondent à ce schéma.
1 G.A. Miller, Psychological Review, 63, 81, 1956.

2 K.A. Ericsson, W. Kintsch, Psychol. Review, 102 2, 211, 1995.

3 M.H. Ashcraft, Cognition, 44, 75, 1992.

4 S.B. Smith, The G reat M ental C alculators, Columbia University Press, 1983.

5 M. Pesenti et al., Mathematical Cognition, 5, 97, 1999.

6 M. Pesenti et al., Nature Neuroscience, 4, 103, 2001.

7 L. Zago et al., NeuroImage, 13, 314, 2001.

8 J.V. Haxby et al., NeuroImage, 11 2, 145, 2000.

9 E. Mellet et al., Neuroimage, 8, 129, 1998.
NOTES
*Les gyri sont des structures anatomiques cérébrales : ils correspondent aux plis du cerveau, alors que les sillons correspondent aux creux.

 

  DOCUMENT      larecherche.fr      LIEN

 
 
 
 

LES TRACES CACHÉES DE NOS SOUVENIRS

 

Les traces cachées de nos souvenirs
Pierre Gagnepain, Karine Lebreton, Béatrice Desgranges,Francis Eustache dans mensuel 432


Notre mémoire inconsciente rappelle sans que nous nous en apercevions des informations qui nous aident à reconnaître des visages, des mots ou des sons. On vient de découvrir qu'elle a aussi un rôle essentiel dans la formation de nos souvenirs conscients.
Tous les souvenirs qui constituent notre mémoire n'ont pas le même degré de précision. Certains sont riches et vivaces, d'autres paraissent lointains, telle une vieille histoire, voire une sensation imprécise [1] . Dans ces deux cas, on parle de mémoire « explicite ». On oppose souvent cette forme de mémoire à la mémoire « implicite », ou inconsciente, qui nous conduit, par exemple, à « réinventer » involontairement des choses vues ou entendues.

La plupart des travaux d'imagerie cérébrale réalisés jusqu'à présent ont permis de montrer que la mémoire implicite et la mémoire explicite dépendent de structures et de réseaux cérébraux relativement distincts. Ces deux réseaux sont-ils pour autant fonctionnellement indépendants ? De récents travaux, menés notamment par notre équipe à l'Inserm, suggèrent qu'il existe en réalité une contribution importante de la mémoire implicite à la formation des souvenirs explicites.

Pour le comprendre, commençons par nous pencher sur la nature de la mémoire explicite. Prenons, par exemple, cette situation anodine : vous croisez un ami dans la rue avec qui vous avez dîné au restaurant quelques jours auparavant. Une multitude de détails relatifs à cette soirée vont probablement vous revenir au cours de votre discussion : ce que vous vous êtes raconté, le nom du restaurant, ce que vous avez mangé, les personnes présentes, votre état émotionnel, etc. Cet ensemble constitue un souvenir « épisodique » et caractérise un événement précis de votre vie : vous avez quasiment l'impression de « revivre » la scène. Maintenant, supposons que la personne que vous croisez vous est familière, mais que vous êtes incapable de vous rappeler où et quand vous l'avez rencontrée : la situation devient alors beaucoup plus délicate pour vous ! Qu'est-ce qui différencie, dans notre cerveau, un souvenir d'un simple sentiment de familiarité ?

Réseaux spécialisés
Depuis de nombreuses années, les chercheurs ont compris que l'hippocampe, une petite structure enfouie à l'intérieur du lobe temporal, joue un rôle primordial pour distinguer ces deux formes de mémoire explicite [2] . D'un point de vue physiologique, l'hippocampe peut être considéré comme le tube d'un entonnoir vers lequel la plupart des informations traitées par le cortex cérébral convergent. Le cortex cérébral permet de traiter et d'analyser les différentes informations qui composent notre environnement. Par exemple, il existe un réseau cortical spécialisé dans le traitement des visages, un autre dans le traitement des lieux, et de même pour les objets, les mots, les sons, etc. Toutes ces informations sont précieuses pour former un souvenir épisodique riche et détaillé.

L'hippocampe permet l'établissement d'un lien entre ces différentes informations traitées par le cortex. C'est probablement grâce à ce lien que le narrateur de Marcel Proust put se remémorer ses souvenirs à partir du simple goût d'une madeleine [3] ! En revanche, si ce lien n'est pas établi par l'hippocampe, seul un type d'information est mémorisé par exemple un visage ; le souvenir du visage n'est alors pas associé à un contexte particulier lieux, objets environnants, émotions et ne pourra alors générer qu'un sentiment de familiarité.

Prenons un autre exemple, qui caractérise cette fois-ci la mémoire implicite : vous arrivez en retard à une séance de cinéma où vous aviez rendez-vous avec un ami. Celui-ci est déjà installé, et le film a commencé. Malgré la pénombre et le fait que vous ne disposiez que d'informations partielles sur son visage vu de biais, il vous est tout de même assez aisé de retrouver votre ami. Pour accomplir une telle tâche, votre cerveau utilise à votre insu tous les « souvenirs » dont il dispose sur le visage. Les chercheurs ne parlent pas de « souvenirs » mais plutôt de représentations dans ce cas précis. Ainsi, afin de reconnaître un visage, un mot ou un son, nous utilisons de manière plus ou moins consciente les représentations mentales dont nous disposons.

Pour objectiver expérimentalement ces phénomènes de mémoire implicite, les psychologues ont recours au paradigme d'amorçage : le fait d'avoir été exposé une première fois à un stimulus visage, son, mot, etc. permet d'identifier plus efficacement et rapidement ce même stimulus lors d'une seconde présentation. Ce phénomène n'est pas en soi un résultat extraordinaire. Bien plus intéressant, en revanche, est le fait que les sujets n'ont pas conscience d'utiliser leur mémoire et le souvenir de la première présentation, tout comme lors de la situation du cinéma prise pour exemple.

Principe d'économie
Comment ces phénomènes de mémoire implicite se produisent-ils dans le cerveau ? Lors d'une expérience récente utilisant l'imagerie par résistance magnétique fonctionnelle IRMf, nous avons enregistré l'activité cérébrale associée aux effets d'amorçage pendant que des sujets sains jeunes entendaient des mots [4] . Lors de la seconde présentation des mots, la voix était filtrée comme si les mots étaient entendus derrière une porte situation similaire, pour la perception auditive, à l'exemple du visage dans la pénombre. Selon nos résultats, les populations neuronales qui réagissent habituellement à l'écoute des mots, notamment dans le cortex auditif, diminuent le niveau de leur réponse lors de la seconde présentation des mots [fig. 1] . En outre, cette réponse diminue d'autant plus que les sujets sont rapides pour identifier les mots entendus.

Ce résultat est un peu contre-intuitif car on pourrait penser que plus l'identification d'un mot est rapide, et plus la réponse neuronale sous-jacente devrait être forte. En réalité, tout se passe comme si la première présentation des mots avait agi tel un entraînement, permettant aux neurones, lors de la seconde présentation, de produire une réponse plus faible, mais en même temps plus ciblée, plus précise et moins coûteuse en énergie. Cela met en lumière une fonction essentielle de la mémoire implicite : le principe d'« économie », qui permet au cerveau de percevoir le monde qui nous entoure plus rapidement et efficacement en utilisant peu d'énergie grâce à l'exploitation inconsciente des représentations en mémoire. La mémoire implicite optimise en quelque sorte le rapport qualité-prix !

Comment la mémoire implicite peut-elle influencer la nature du souvenir ? Ce principe d'« économie » cérébrale lié à la mémoire implicite permet-il seulement de percevoir plus facilement le monde qui nous entoure ou modifie-t-il également les souvenirs que nous en formons ? Reprenons l'exemple du cinéma. Comme nous l'avons vu, le cerveau utilise à notre insu les représentations en mémoire afin de faciliter la détection du visage. Cette mémoire implicite influence-t-elle en retour le souvenir épisodique qui sera formé de cette situation ?

Bien que certains auteurs aient envisagé ce dialogue entre mémoire implicite et mémoire explicite, très peu d'études permettent d'étayer ce point [5] . Nous avons réalisé une expérience originale qui repose sur notre procédure d'amorçage de mots entendus. Cependant, cette fois, lors de la seconde présentation des mots, ceux-ci étaient rendus difficilement audibles en les mélangeant à un contexte sonore un bruit de moto ou des applaudissements - une situation fréquente dans la vie de tous les jours. Une fois l'épreuve d'amorçage terminée, nous avons interrogé les sujets sur les souvenirs qu'ils avaient des mots et du contexte sonore. Si les sujets étaient capables de restituer le mot et son contexte sonore, il s'agissait alors d'un véritable souvenir épisodique précis et détaillé. En revanche, si seul le mot était mémorisé, leur réponse reflétait davantage un simple sentiment de familiarité.

Contexte perturbateur
Nous avons étudié ces phénomènes d'un point de vue comportemental préalablement à une étude d'imagerie cérébrale [6] . Comme nous l'espérions, les sujets étaient plus rapides pour identifier les mots lors de la seconde présentation car ils avaient utilisé leur « souvenir implicite » de la première présentation. De manière intéressante, cette habileté était corrélée avec le nombre de souvenirs épisodiques qu'ils étaient capables de restituer. Ainsi, plus les sujets étaient rapides pour identifier le mot, et plus ils retenaient en mémoire épisodique le mot et son contexte sonore ! En d'autres termes, plus les sujets exploitaient inconsciemment des informations pour comprendre un mot entendu dans un contexte sonore perturbateur, et plus leur capacité à se souvenir de ce mot et de son contexte était renforcée. Les données d'imagerie cérébrale que nous avons récemment acquises appuient également cette conclusion : plus la réponse du cortex diminue, en accord avec le principe d'économie caractérisant le fonctionnement de la mémoire implicite, et plus le traitement opéré par l'hippocampe est efficace.

Le cheminement de cette conception dans la communauté scientifique dépendra de notre capacité à mieux comprendre ces mécanismes dans le cerveau. Et ce n'est pas une mince affaire ! En effet, l'IRMf bien que spatialement très précise souffre d'une résolution temporelle relativement éloignée des processus neuronaux. Par ailleurs, les techniques de mesure non invasives en électrophysiologie qui ne souffrent pas de cette critique, comme la mesure des ondes cérébrales à l'aide d'électrodes, sont quant à elles très peu sensibles aux structures profondes du cerveau telles que l'hippocampe.

À terme, une meilleure compréhension des relations unissant les différentes formes de mémoire [7] permettra de proposer des stratégies novatrices pour la prise en charge des pathologies de la mémoire, notamment la maladie d'Alzheimer. En effet, certaines stratégies consistent à exploiter les capacités de mémoire implicite préservées de ces patients pour remédier à leurs déficits de mémoire explicite.

EN DEUX MOTS Contrairement à ce que l'on a longtemps pensé, la mémoire explicite ce dont nous nous souvenons consciemment et la mémoire implicite inaccessible à la conscience ne fonctionnent pas de façon indépendante. Selon des résultats récents, la mémoire implicite modifie la manière dont nous enregistrons des informations en mémoire explicite. Restent à préciser les relations fines entre les principales zones concernées, le cortex cérébral et l'hippocampe.
[1] E. Tulving, Annual Review of Psychology, 53, 1, 2002.

[2] H. Eichenbaum et al., Annual Review of Neuroscience, 30, 123, 2007.

[3] F. Eustache et al., Sciences humaines, 201, 47, 2009.

[4] P. Gagnepain, et al., Journal of Neuroscience, 28, 5281, 2008.

[5] C.J. Berry et al., Trends in Cognitive Science, 12, 367, 2008.

[6] P. Gagnepain et al., Consciousness and Cognition, 17, 276, 2008.

[7] F. Eustache et B. Desgranges, Neuropsychology Review, 18, 53, 2008.


DOCUMENT      larecherche.fr      LIEN

 
 
 
 

NAISSANCE D'UNE BIOLOGIE DU LANGAGE

 

Naissance d' une biologie du langage
Richard Wise dans mensuel 289


La parole est liée à des variations précisément localisées de l'activité cérébrale. L'analyse n'en est pas facile : l'énonciation est l'acte moteur le plus complexe qu'il nous soit donné de réaliser. Par ailleurs, l'imagerie cérébrale présente une résolution temporelle et spatiale insuffisante pour suivre en temps réel le processus d'énonciation d'un mot. Une cartographie du langage s'esquisse cependant, de même qu'une sorte de dynamique du discours. Ainsi constate-t-on que dire des mots abstraits se traduit par un débit sanguin plus élevé que l'énonciation de mots concrets...
Ce que nous savons du monde est emmagasiné dans des mémoires à long terme, que nous partageons avec tous les membres de notre culture. Par exemple, tous les automobilistes du monde réagissent de la même façon quand ils voient s'allumer les feux de stop du véhicule qui les précède. Ce qui nous distingue des autres primates est que nous pouvons exprimer par des mots le sens de notre comportement : en levant le pied de l'accélérateur, le chauffeur saura précisément que, même s'ils n'ont pas remarqué le signal de la voiture de devant, ses passagers comprendront immédiatement ce qu'il dira pour expliquer son comportement, dès lors qu'ils partagent sa culture et son langage.

Cela est rendu possible par l'existence dans le cerveau humain de systèmes neuraux spécialisés, dont nous pouvons localiser la distribution approximative par l'examen de sujets présentant une pathologie liée à une lésion cérébrale bien localisée. La coupe présentée en figure 1 est l'image par résonance magnétique IRM du cerveau d'une patiente qui, justement, avait perdu la compréhension du sens des feux de stop. Un jour, elle demanda à sa fille ce que les autres automobilistes voulaient dire avec leurs feux rouges - sa fille eut la présence d'esprit de lui interdire le volant. La personne ne perdait pas seulement la connaissance du sens et des conventions attachés à beaucoup d'objets du monde réel, mais aussi du sens de nombreux mots entendus ou lus. Son élocution était aisée et grammaticalement correcte, elle répétait sans mal des mots et des phrases, mais ses énoncés spontanés étaient relativement « vides » , elle semblait incapable de trouver les mots exprimant ses pensées et ses désirs. On constate sur l'image une atrophie très nette de l'aspect inféro-latéral du lobe temporal gauche, consécutive à une maladie neurodégénérative. Le déficit des connaissances sémantiques pourrait être attribué à cette atrophie cérébrale.

La figure 2 illustre le cas d'une autre patiente qui n'avait, elle, rien perdu de ses connaissances sur le monde, mais conservait d'un infarctus cérébral des troubles du langage. L'infarctus avait irrémédiablement abîmé le gyrus* du lobe temporal gauche. Deux ans après l'accident, la patiente pouvait convenablement comprendre et parler, mais lentement, et en sautant parfois des mots. Elle comprenait mal les phrases complexes et ne pouvait répéter que des énoncés très courts. En revanche, elle réussissait parfaitement les épreuves de connaissance sémantique.

Ces deux cas résument 150 ans d'observations. La conclusion globale en est que les représentations des mots sont représentées dans le cortex périsylvien adjacent à la scissure de Sylvius gauche et, dans une certaine mesure, par les lobes temporaux, pariétaux et frontaux. Le sens des mots, des images et des objets est pour sa part représenté dans le cortex extrasylvien gauche, notamment dans le cortex temporal inféro-latéral, mais probablement aussi dans le lobe pariétal et le cortex préfrontal gauches. Par exemple, un petit carnivore domestiqué à fourrure qui ronronne est un animal familier dont le savoir que nous en avons est représenté dans le cortex gauche extrasylvien, tandis que la structure sonore du mot désignant cet animal en anglais, « cat » , en français « chat » , en persan « gorbe » est représentée dans le gyrus supérieur temporal gauche.

On admet généralement que chez la plupart des droitiers et un grand nombre de gauchers, les mots et leur sens sont latéralisés à gauche. C'est pourquoi on attribue volontiers les troubles de la communication à des lésions localisées dans l'hémisphère gauche, telles que les accidents ischémiques*. Les troubles du langage consécutifs à une lésion de l'hémisphère droit sont moins marqués, mais se manifestent notamment par la perte de l'accent tonique dans l'acte énonciatif et l'incapacité à saisir les formes d'humour.

La localisation des fonctions à partir des données lésionnelles pose plusieurs problèmes méthodologiques. De toute évidence, l'avènement de la tomodensitométrie aux rayons X assistée par ordinateur et, plus récemment, de l'imagerie par résonance magnétique IRM a permis de localiser les lésions avec une précision que n'atteignait naguère que l'examen post mortem. Cependant, avant d'associer un processus psychologique normal à un endroit du cerveau par la méthode de l'analyse des déficits observation de la perte de certaines facultés plutôt que d'autres et de la localisation des lésions sur des images cérébrales, il faut poser un certain nombre d'hypothèses. La fonction étudiée - dans notre exposé, le langage - doit être modélisée comme un ensemble de processus liés à une région cérébrale. Il faut alors trouver un patient dont les fonctions langagières résiduelles s'expliquent au mieux par le dysfonctionnement d'un ou de quelques-uns de ces processus. Cela suppose que le déficit comportemental ne provienne pas d'un mécanisme parallèle et moins efficace mis en oeuvre par le patient pour compenser la perte totale de la fonction. Quand ces conditions sont réunies, rien ne prouve que l'emplacement de la lésion soit en rapport direct avec le site d'une fonction donnée. Les lésions focales, consécutives à un infarctus cérébral ou à un traumatisme crânien par exemple, sont contrôlées par des facteurs anatomiques et échappent aux frontières fonctionnelles. Il n'est pas rare qu'elles soient importantes, voire multiples. Elles peuvent affecter les voies conductrices de la substance blanche ou les noyaux profonds du cerveau, ainsi que la substance grise corticale. L'anomalie fonctionnelle que l'on observe alors peut tout aussi bien provenir de la défaillance d'une fonction mobilisant des régions cérébrales diverses et intactes que de la détérioration corticale due à la lésion.

L'imagerie cérébrale fonctionnelle a permis d'établir un lien entre structure et fonction. Sur des sujets normaux, les régions corticales sollicitées par une tâche donnée se révèlent par l'augmentation du débit sanguin des zones cérébrales1.

Les nouvelles techniques permettent de déceler d'infimes variations de cette activité. L'imagerie cérébrale présente bien entendu des limites, mais elles n'ont rien de rédhibitoire tant qu'elles sont prises en compte lors de la conception des études. Le temps est la première de cette limite. L'énonciation est l'acte moteur le plus complexe qu'il nous soit donné de réaliser et nous pouvons produire 10 à 15 phonèmes par seconde. Mais la mesure du flux sanguin des zones cérébrales prend plusieurs dizaines de secondes par la tomographie par émission de positons TEP et quelques secondes par l'IRM fonctionnelle - un délai trop long pour saisir en temps réel le déroulement de l'analyse acoustique d'un mot entendu, dont les variations extrêmement rapides de fréquence du signal énonciatif sont détectées par le cerveau en quelques dizaines de millisecondes.

La résolution spatiale est une autre limite des techniques d'imagerie cérébrale fonctionnelle : elle est de 5 à 10 mm en TEP, de 2 à 4 mm en IRM fonctionnelle. Ces techniques ne fournissent donc une résolution des variations de l'activité cérébrale que pour des régions comptant des millions de neurones reliés par des milliards de synapses.

Je vais maintenant résumer les résultats obtenus au moyen de la TEP sur le traitement auditif de mots isolés chez le sujet normal. La lecture a donné lieu à bien d'autres études intéressantes, fondées sur les mêmes principes que les travaux portant sur les mots entendus. En revanche, mis à part les recherches de Mazoyer et de son équipe, le traitement des phrases a rarement été abordé2. Le principal problème réside dans le fait que la syntaxe surajoute du sens à la signification propre des mots, et cette complexité fait des études sur les phrases un objectif que beaucoup jugent pour l'instant trop ambitieux.

Ecouter des mots provoque une activation des deux côtés du cortex auditif primaire et du cortex périauditif situé à sa périphérie. Les autres sons étudiés par imagerie cérébrale fonctionnelle tons, bruits parasites, mots inversés et interjections sollicitent ces mêmes régions. L'activité du cortex auditif augmente proportionnellement au rythme d'audition des mots3. Ce phénomène est illustré par l'étude d'un seul sujet auquel on a fait entendre des mots en accroissant leur rythme de 0 à 90 mots par seconde, l'activation étant mesurée en douze images. L'analyse a identifié deux régions répondant par une augmentation du débit sanguin à l'accélération du rythme d'audition des mots : sur les deux hémisphères, dans les cortex auditifs primaires ou dans leur voisinage immédiat fig. 3.

Les mots étant les sons acoustiques les plus complexes que nous soyons capables d'entendre et d'analyser, leur audition devrait en toute logique se manifester par l'activation d'une zone plus vaste du cortex associatif auditif que lors de l'audition de sons plus simples. C'est ce qui a été démontré en demandant à des sujets d'écouter des mots, puis de repérer dans chacun la présence ou l'absence de phonèmes spécifiques. On leur a par ailleurs demandé d'évaluer la hauteur de ton des sons entendus. En confrontant les résultats des deux exercices, on ne constatait plus l'activation dans la partie postérieure des premiers gyri temporaux, dans la région du cortex auditif primaire, car l'évaluation de la hauteur de ton produisait une activation tout aussi intense dans ces régions : ainsi, il n'était pas possible de distinguer la réponse aux mots de la réponse à d'autres sons. On observait en revanche que le repérage de phonèmes spécifiques entraînait une activité accrue dans les régions plus antérieures des premiers gyri temporaux de chaque hémisphère, légèrement plus intense à gauche4,5.

Une étude récente, dont les résultats ne sont pas encore publiés, nous a permis de confirmer que les sons non-linguistiques complexes et les mots activaient de la même manière le cortex auditif primaire et, à sa périphérie immédiate, le cortex périauditif. Cela ne signifie pas que ces régions ne présentent pas de neurones réagissant différemment. Cependant, la variation moyenne de l'activité synaptique, évaluée sur plusieurs dizaines de millions de synapses, attestait d'une même augmentation globale de l'activité, que les sons soient linguistiques ou non. Comme le laissaient présager les études précédentes, les parties plus antérieures des premiers gyri temporaux n'ont été activées que par des mots. L'audition des mots ne se traduisait par aucune asymétrie des réactions des lobes temporaux, à l'exception de la région la plus postérieure des premiers gyri temporaux, qui présente une réponse à gauche mais pas à droite.

Tout ceci suggère qu'en début de processus le traitement acoustique des mots sollicite très largement la partie antérieure du cortex associatif auditif des deux hémisphères. Ce système est probablement redondant, dans la mesure où les patients présentant des lésions importantes du lobe temporal gauche ou droit conservent la faculté de distinguer les sons des mots. L'activation asymétrique de la région postérieure du premier gyrus temporal gauche indique la présence d'une zone de spécialisation de l'hémisphère gauche pour le traitement des mots - zone où toute lésion risque fort d'entraîner un grave déficit des fonctions langagières.

Nous avons également mis en évidence une région du lobe temporal gauche qui réagit différemment aux mots, selon qu'ils sont abstraits altruisme, idée ou concrets autobus, rhinocéros, etc.. Lorsque nous avons fait écouter à nos sujets des listes de mots mêlant les lexiques abstrait et concret, une partie du cortex associatif auditif réagissait de façon diverse, manifestant une activité plus intense à l'audition des mots les plus abstraits et une baisse d'activité pour les mots les plus concrets. On conçoit aisément les différences fondamentales qui interviennent dans le traitement de ces types de mots : il est en effet plus facile d'expliquer la distinction entre un avion et un planeur qu'entre l'altruisme et la charité. Cette différenciation psychologique a son corrélat physiologique dans le lobe temporal gauche fig. 4. Dans la mesure où le degré d'abstraction d'un mot tient non pas à sa forme sonore mais à sa forme sémantique, cette étude a démontré que les corrélations d'activité peuvent être sensibles aux représentations mentales dans ce cas, de la mémoire sémantique ainsi qu'aux perceptions sensorielles différence de rythme d'émission des mots entendus, par exemple, comme le montre la figure 3.

Il n'est pas nécessaire de comprendre un mot entendu pour le répéter - ce qui nous permet de répéter des mots inversés, tout à fait inédits pour nous, ou d'apprendre des mots dans une langue étrangère avant même d'en connaître le sens. Cette tâche active le cortex sensori-moteur primaire contrôlant la motricité des muscles de l'articulation1. Les études par TEP réalisées à ce jour suggèrent que les activations du cortex auditif associées à l'audition de sa propre voix après répétition ou lecture à voix haute d'un mot sont très semblables à celles que suscite la voix d'un tiers. Cependant, nous nous attendons à entendre notre propre voix au moment même où nous parlons, et si l'on introduit un décalage de l'écoute au moyen de filtres électroniques, ce décalage, aussi bref soit-il, nous déroute inévitablement. Par conséquent, bien qu'il soit tout à fait logique que le même système intervienne pour analyser les contenus de notre discours et de celui d'un autre sans quoi il y aurait une duplication superflue, tout laisse à penser que la perception auditive est modulée par l'anticipation de l'articulation.

Lors de la répétition des mots mono- ou bisyllabiques, le phénomène le plus frappant est l'extraordinaire symétrie de l'activation fig. 5. L'audition de mots et du son de sa propre voix après articulation active les cortex auditif et périauditif, alors que la commande de la motricité des muscles de la phonation muscles de la respiration, larynx et voile du palais, langue, lèvres et mâchoire déclenche une activation sensori-motrice bilatérale.

La restitution de mots isolés peut être obtenue en réponse à un certain nombre d'indices. Une technique largement mise en oeuvre dans les expériences par TEP consiste à demander au sujet de penser à autant de mots que possible commençant par une lettre donnée, ou appartenant à une catégorie sémantique précise animaux, ustensiles de cuisine, etc.. La restitution pouvant porter sur des mots relevant de différentes classes grammaticales, on peut ensuite demander aux sujets d'apparier des verbes associés à la représentation visuelle ou auditive d'un substantif ainsi, le substantif « seau » appellerait des verbes tels que « remplir, vider, porter, tinter » .

La méthode de rappel libre en réponse à une lettre initiale, la restitution de noms à partir d'une catégorie sémantique ou de verbes à partir d'un substantif, sont autant d'exercices qui déclenchent des activations très étendues des surfaces latérales et médianes du lobe frontal gauche6. La partie postérieure du cortex temporal inféro-latéral gauche et la partie postérieure et inférieure du lobe pariétal gauche sont également activées. Contrairement à l'écoute simple ou à la répétition de mots, qui suscitent des activations symétriques autour des deux scissures de Sylvius, la restitution dirigée de mots entraîne une activation importante à l'écart de cette scissure, essentiellement latéralisée à gauche. L'aisance verbale est un processus complexe qui fait intervenir un certain nombre de mécanismes psychologiques indépendants. Dans un premier temps, il s'agit d'une simple tâche analytique, amorçant une stratégie d'aide à la restitution lexicale. Or, pendant cette opération, le sujet doit garder en mémoire l'indice de départ ainsi que ses réponses précédentes, de façon à ne pas se répéter. Il doit faire appel à son bagage cognitif pour récupérer des mots adéquats et rejeter les autres par un mécanisme interne de vérification.

Des études plus spécifiques engagent les sujets à retrouver des mots en réponse à des images. Il peut s'agir de nommer l'objet, de décrire l'utilisation d'un objet utilitaire, ou encore d'évoquer la couleur la plus caractéristique d'un objet dont le dessin est présenté en noir et blanc. Ces travaux ont mis en évidence des activations latéralisées à gauche à l'écart de la scissure de Sylvius, particulièrement dans la partie inférieure et postérieure du cortex temporal7,8. Une étude récente a montré que la reconnaissance des visages célèbres, des animaux et des outils, sollicitent des régions distinctes du lobe temporal gauche, et le site de ces activations, révélé par image TEP, est très proche de l'emplacement des lésions provoquant un déficit du traitement de certaines catégories de mots. Un patient atteint de ce type de trouble nommera par exemple difficilement des outils, mais remettra sans difficulté un nom sur des visages célèbres ou des animaux9.

Au total, les études par tomographie par émission de positons de l'augmentation du débit sanguin des différentes zones cérébrales en réponse aux tâches d'audition et de répétition de mots ont mis en évidence des activations bilatérales autour des deux scissures de Sylvius. Les exercices tels que la compréhension de mots, la restitution de noms à partir de représentations visuelles d'objets inanimés, d'animaux ou de visages, exigeant un traitement des mots plus approfondi, déclenchent des activations largement latéralisées à gauche et distribuées à l'écart de la scissure de Sylvius gauche. Ces études ont permis de localiser le siège du traitement acoustique et phonique des mots, symboles du langage parlé fonctions périsylviennes, et les régions dans lesquelles s'opèrent le traitement sémantique et la dénomination des objets cortex extra-sylvien gauche, essentiellement dans le lobe temporal gauche.
1 S.E. Petersen et al., Nature, 331, 585, 1988.

2 B.M. Mazoyer et al., Journal of Cognitive Neuroscience, 5, 467, 1993.

3 C. Price et al., Neuroscience Letters, 146, 179, 1992.

4 R.J. Zatorre et al., Cerebral Cortex, 6, 21, 1996.

5 J.-F. Demonet et al., Brain, 115, 1753, 1992.

6 E. Warburton et al., Brain, 119, 159, 1996.

7 A. Martin et al., Nature, 379, 649, 1996.

8 A. Martin et al., Science, 270, 102, 1995.

9 H. Damasio et al., Nature, 380, 449, 1996.
NOTES
GYRUS

circonvolution cérébrale située à la surface du cortex.

ACCIDENT ISCHEMIQUE

provoqué par un arrêt ou une insuffisance de la circulation du sang dans un organe ou un tissu.

 

 DOCUMENT       larecherche.fr       LIEN

 
 
 
Page : [ 1 2 3 4 5 6 ] Précédente - Suivante
 
 
 


Accueil - Initiation musicale - Instruments - Solf�ge - Harmonie - Instruments - Vidéos - Nous contacter - Liens - Mentions légales /confidentialit�

Initiation musicale Toulon

-

Cours de guitare Toulon

-

Initiation à la musique Toulon

-

Cours de musique Toulon

-

initiation piano Toulon

-

initiation saxophone Toulon

-
initiation flute Toulon
-

initiation guitare Toulon

Google