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UN VIRUS ÂGÉ DE 30 000 ANS |
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Paris, 3 mars 2014
Découverte d'un nouveau type de virus géant âgé de plus de 30 000 ans
Un nouveau type de virus géant, baptisé « Pithovirus », a été découvert dans le sol gelé de l'extrême Nord-Est sibérien par des chercheurs du laboratoire « Information génomique et structurale » (CNRS/AMU), associés à des équipes du laboratoire Biologie à grande échelle (CEA/Inserm/Université Joseph Fourier), du Génoscope (CEA/CNRS) et de l'Académie des sciences de Russie. Enfoui dans le sol, ce virus géant, inoffensif pour l'Homme et les animaux, a survécu à plus de 30 000 ans de congélation. Bien que sa taille et sa forme en amphore rappelle celles de Pandoravirus, l'analyse de son génome et de son mode de réplication prouve que Pithovirus est très différent. Ces travaux portent ainsi à trois le nombre de familles distinctes de virus géants. Ils sont publiés sur le site des PNAS la semaine du 3 mars 2014.
Avec la famille des Megaviridae (représentée notamment par Mimivirus découvert en 2003) et celle des Pandoraviridae1, les chercheurs pensaient avoir répertorié la diversité des virus géants (seuls virus visibles en microscopie optique du fait d'un diamètre supérieur à 0,5 micron). Ces virus, qui infectent les amibes du genre Acanthamoeba, renferment un très grand nombre de gènes par rapport aux virus courants (les virus comme ceux de la grippe ou du SIDA contiennent une dizaine de gènes). La taille de leur génome est comparable ou dépasse celle du génome de nombreuses bactéries.
En étudiant un échantillon de sol gelé en provenance de l'extrême Nord-Est sibérien (région autonome de Chukotka), les chercheurs ont eu la surprise d'y découvrir un nouveau virus géant âgé de plus de 30 000 ans (contemporain de l'extinction de l'homme de Néanderthal), qu'ils ont appelé « Pithovirus sibericum ». Sa forme en amphore, tel Pandoravirus, a d'abord conduit les scientifiques à penser qu'il s'agissait d'un nouveau membre, certes très ancien, de cette famille. Mais l'analyse génomique de Pithovirus a démontré qu'il n'en était rien : Pithovirus et Pandoravirus n'ont aucune parenté génétique. Le génome de Pithovirus, même s'il reste grand pour un virus, contient beaucoup moins de gènes (environ 500) que celui des Pandoravirus (qui peut atteindre 2 500 gènes). Les chercheurs ont également analysé la composition en protéines (le protéome) de la particule de Pithovirus (longue de 1,5 micron pour 0,5 micron de diamètre). Ils se sont alors aperçus que sur les centaines de protéines qui la constituent, elle n'en partageait qu'une ou deux avec la particule de Pandoravirus.
Une autre différence primordiale entre les deux virus concerne leur mécanisme de réplication à l'intérieur des cellules d'amibe. Alors que les Pandoravirus requièrent la participation de nombreuses fonctions du noyau cellulaire de l'amibe pour se répliquer, l'essentiel de la multiplication des Pithovirus se déroule dans le cytoplasme (en dehors du noyau) de la cellule infectée, rappelant en cela le comportement des grands virus à ADN, comme ceux de la famille des Megaviridae. Paradoxalement, malgré un génome plus petit que celui des Pandoravirus, Pithovirus aurait moins besoin de la machinerie cellulaire de l'amibe pour se propager. Le degré d'autonomie des virus géants par rapport à leur cellule hôte n'apparaît donc pas corrélé avec la taille de leur génome, qui elle-même n'est pas liée à la taille de la particule qui les transporte.
L'analyse approfondie de Pithovirus révèle qu'il n'a quasiment aucun point commun avec les virus géants précédemment caractérisés. Il inaugure donc une nouvelle famille de virus, portant à trois le nombre de familles de virus géants connus à ce jour. Cette découverte, venant rapidement après celle des Pandoravirus, suggère aussi que la diversité des virus en forme d'amphore est peut-être aussi grande que celle des virus dits « icosaédriques »2, qui sont parmi les plus répandus à ce jour. Elle souligne combien notre connaissance de la biodiversité microscopique reste partielle dès que l'on explore de nouveaux environnements.
Enfin, cette étude montre que des virus peuvent survivre dans le pergélisol (couche de sol gelé en permanence des régions arctiques) sur des périodes quasiment géologiques, c'est-à-dire sur plus de 30 000 ans (correspondant au Pléistocène supérieur). Cette démonstration a des implications importantes sur les risques de santé publique liés à l'exploitation des ressources minières et énergétique des régions circumpolaires que le réchauffement climatique rend de plus en plus envisageable. La résurgence de virus considérés aujourd'hui comme éradiqués, tel celui de la variole dont le processus de réplication est similaire à celui des Pithovirus, n'est désormais plus du domaine de la science-fiction. La probabilité d'un tel scénario devrait être estimée de manière réaliste. Le laboratoire « Information génomique et structurale » s'y attèle d'ores et déjà à travers une étude métagénomique du permafrost qui bénéficie du soutien de l'infrastructure nationale France-Génomique (Investissement d'avenir).
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ORIGINE DE L'INTERRUPTION DE LA DIVISION DES OVOCYTES |
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Paris, 18 février 2014
Identification du mécanisme à l'origine de l'interruption de la division des ovocytes
Chez les animaux, les ovocytes, cellules reproductrices femelles, sont arrêtés dans leur cycle de différenciation pendant des mois ou des années, au sein des ovaires. Cette interruption du cycle intéresse les chercheurs depuis plusieurs décennies car il s'agit d'un mécanisme clé de la reproduction. Pourtant, malgré de nombreux travaux, les bases moléculaires de ce phénomène n'étaient pas bien connues. Une équipe du Laboratoire de biologie du développement (CNRS/UPMC) vient de dévoiler l'un des acteurs principaux de cette interruption du cycle. Les chercheurs ont montré, chez un modèle animal, le rôle central d'une protéine appelée ARPP19, laquelle, selon son état de phosphorylation(1), bloque la division des cellules, ou au contraire, l'induit. Ces travaux, qui viennent d'être publiés dans Nature Communications, apportent des informations cruciales sur la maturation des ovocytes et le contrôle de la division cellulaire. En outre, ils pourraient ouvrir de nouvelles pistes en matière de santé humaine.
L'interruption du cycle cellulaire des ovocytes est un phénomène conservé tout au long de l'évolution des animaux. Cet arrêt est essentiel pour la fonction de reproduction. S'il n'a pas lieu, les conséquences sont importantes : la croissance de l'ovocyte n'a pas le temps suffisant pour s'effectuer, produisant des gamètes impropres à la formation d'un embryon ; la cellule peut évoluer en embryon sans fécondation (parthénogenèse) et donner une descendance anormale ou non-viable. Enfin, le potentiel reproducteur de l'ovaire peut aussi s'épuiser rapidement.
Depuis les années 1970, on savait que, chez les vertébrés, l'un des chaînons de la cascade moléculaire permettant cette interruption du cycle était la protéine kinase A (PKA). Sous le contrôle d'un messager chimique, l'AMP cyclique, PKA est responsable de ce blocage. Lorsque, en réponse à un signal hormonal survenant au moment de l'ovulation, son activité baisse, le cycle de différentiation peut reprendre. Cependant, on ne connaissait pas l'étape suivante de la cascade de réactions, à savoir, la protéine sur laquelle agit PKA. Des expériences réalisées sur des ovocytes de xénope, batracien très utilisé dans les recherches sur la reproduction et l'embryologie, ont permis à l'équipe menée par Olivier Haccard de montrer que la cible qui est phosphorylée par PKA est une protéine appelée ARPP19.
Les chercheurs ont montré qu'ARPP19 a un rôle pivot dans le cycle de différenciation des ovocytes. Lorsqu'elle est phosphorylée par PKA, elle interrompt le cycle. Puis, en réponse au signal hormonal de l'ovulation, c'est une autre protéine kinase appelée Greatwall qui à son tour, phosphoryle ARPP19 sur un autre site. Cette réaction a pour effet d'inverser l'action d'ARPP19 : d'inhibiteur de la division cellulaire, elle est alors convertie en un activateur essentiel de la division de l'ovocyte.
Ces travaux dévoilent donc une réaction-clé qui contrôle la maturation des ovocytes et donc la reproduction sexuée. La découverte d'une protéine capable, selon son état de phosphorylation, d'interrompre ou au contraire de provoquer la division, ouvre de nombreuses voies pour la compréhension de certaines infertilités féminines, voire même de nouvelles stratégies pour stopper la multiplication anarchique de cellules cancéreuses.
Notes :
(1) La phosphorylation est l'addition d'un groupe phosphate à une protéine ou à une petite molécule par une enzyme appelée kinase.
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LA DIVERSITÉ IMMUNOLOGIQUE |
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Texte de la 429e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 8 juillet 2002
Jean-Claude Weill,« La diversité immunologique »
Notre système immunitaire possède plusieurs qualités qui lui confèrent son efficacité. Tout d'abord, il est spécifique, et peut donc nous protéger contre une infection précise. Il peut aussi s'améliorer dans le temps, ce qui est une des propriétés de la vaccination : quand il a rencontré un agent pathogène une première fois, l'organisme sait mieux se défendre les fois suivantes. De plus, il est doté d'une mémoire : après vaccination, les lymphocytes qui nous protègent le mieux vont être conservés dans l'organisme pendant vingt ou trente ans et cela sans que l'on sache encore comment. Enfin, à l'aide d'un système de filtrage, il distingue le soi et le non soi ce qui évite que le système immunitaire ne s'attaque à l'organisme et induise des pathologies très graves dites auto-immunes.
La compréhension des mécanismes de fonctionnement du système immunitaire passe tout d'abord par l'étude de ses différents acteurs cellulaires et moléculaires, et notamment les anticorps, les lymphocytes B, et T, les molécules du CMH et les macrophages.
L'histoire de l'immunologie commence en 430 av. J.-C. Thucydide, qui relate un épisode de peste à Athènes, écrit avec beaucoup d'intuition : « On se montrait plus compatissant avec les malades, une fois que l'on avait soi même réussi à surmonter l'épreuve, car tout en sachant par expérience ce qu'il en était, on se sentait à l'abri du danger. En effet le mal ne frappait pas deux fois un même homme ou du moins la rechute n'était pas mortelle. » Il décrit ainsi le principe de la vaccination : une fois que l'on a été infecté par l'agent pathogène, si l'on n'en meurt pas, on est protégé d'une nouvelle rencontre avec celui-ci. Il faudra attendre 2 000 ans pour que Edward Jenner, en 1796, un médecin anglais applique cette leçon de la peste au cas de la variole, dont les gens meurent à cette époque. Partant de l'observation que les bovins peuvent eux aussi attraper la variole, il prend un peu de germe de la variole bovine non infectieuse pour l'homme qu'il inocule à des patients, les protégeant ainsi de la variole humaine. L'acceptation de cette découverte par les médecins, à travers le monde, prendra encore 50 à 60 ans. Un siècle après, Louis Pasteur montre qu'il n'est pas nécessaire de prendre l'agent pathogène d'une autre souche, mais qu'il suffit de chauffer l'agent qui infecte l'humain, ce qui le rend moins virulent, donc incapable de provoquer la maladie mais apte à provoquer la vaccination. La question se pose alors, à cette époque, de savoir ce qui protège les individus contre les maladies : s'agit-il de cellules ou de molécules contenues dans le sang. Cette controverse oppose Louis Pasteur et Robert Koch.
Emil von Behring montre en 1890 que l'immunité peut être transmise par un sérum du sang ne contenant pas de cellules. Il appelle les molécules responsables de l'immunité des anticorps. En 1920, Karl Landsteiner, qui a découvert les groupes sanguins, montre que l'on peut obtenir des anticorps contre n'importe quelle substance. Le système immunitaire peut donc réagir contre tout ce qui lui est présenté. Cela pose le problème de savoir comment fait le système immunitaire pour ne pas reconnaître le soi.
L'ensemble de ces découvertes aboutit à l'oubli total de la théorie cellulaire, et ceci pendant 50 ans à partir de 1900, sans que soit pour autant résolue la question de savoir comment sont produits les anticorps. A partir de la deuxième moitié du 20ème siècle, on redécouvre que le sang contient une multitude de cellules, et l'on s'aperçoit qu'elles dérivent d'un type de cellules particulières, les cellules souches hématopoïétiques. Ces dernières donnent naissance à différents types de lignées : la lignée lymphoïde (qui produira les lymphocytes), la lignée myéloïde (qui produira les lignées phagocytaires, c'est à dire les macrophages, les monocytes, les granulocytes basophiles, neutrophiles, et éosinophiles), la lignée erythroide qui produit les globules rouges. Les anticorps sont produits par des lymphocytes particuliers, de type B. Les lymphocytes de type T produisent, eux, un autre type de molécules de reconnaissance.
Comme souvent dans les polémiques scientifiques les deux théories contribuent à la réalité : des cellules et des molécules sont responsables de l'immunité.
Pour bien comprendre le mode d'action des anticorps, il faut raisonner en terme de reconnaissance. Il faut s'imaginer l'anticorps comme une pince (par exemple anti a) qui s'adapterait parfaitement à l'objet a, qui le reconnaîtrait : la pince anti a est spécifique de l'objet a. En revanche, cette pince anti a reconnaîtrait moins bien un objet b. Tout le système immunitaire va être basé sur ce principe. L'amélioration du système immunitaire, grâce à la vaccination, provient ainsi de l'amélioration de la reconnaissance d'une pince anti x spécifique du bacille du tétanos par exemple, ce qui permettra à cette pince de se débarrasser plus facilement de l'agent pathogène, lors d'une nouvelle rencontre. L'amélioration de cette pince va se faire dans les organes lymphoïdes, rate et ganglions, en une à deux semaines, par hypermutation spécifique des gènes codant cet anticorps (voir plus bas), et c'est cette cellule lymphoïde fabriquant cette pince améliorée qui va rester dans l'organisme dix ou vingt ans. Mémoire et amélioration de la réponse sont donc intimement liées.
Il faut donc un lymphocyte B pour fabriquer un anticorps donné (une pince). Le lymphocyte B porte à sa surface un anticorps que l'on appelle un récepteur et c'est cet anticorps qu'il fabrique. Cette cellule x peut ainsi attraper l'élément X. Il en va de même pour une cellule y avec un élément Y. Le système immunitaire produit ainsi des millions de cellules qui peuvent reconnaître des millions de corps différents. Ainsi, chaque fois qu'un virus, une bactérie ou une cellule greffée est introduite dans l'organisme, il existe un lymphocyte B possédant un récepteur spécifique pour chacun de ces éléments.
C'est dans la moelle osseuse que sont produites, chaque jour, ces cellules, et aucune des cellules produites ne va pouvoir s'attaquer à l'organisme, donc porter de récepteur qui reconnaît le soi. Cela est dû au fait qu'au cours de cette production, dans la moelle osseuse, une cellule qui reconnaît le soi va être éliminée. C'est ce que l'on appelle la sélection négative, qui permet au système immunitaire de reconnaître tout l'extérieur sans attaquer l'intérieur.
Cinq milliards de lymphocytes B sont produits chaque jour dont 95 % vont mourir dans les 48 heures. Il y en a 400 milliards dans le corps, et nous portons en tout approximativement 10 millions de spécificités différentes d'anticorps.
La question de la génération de la diversité (Generation Of Diversity) a interpellé les immunologistes dans les années 70. Il est maintenant connu que le génome ne contient pas plus de 30 000 gènes. Il est donc exclu que chaque anticorps soit codé par un gène différent. Linus Pauling a suggéré que le nombre d'anticorps différents soit en réalité assez restreint, mais que la pince soit assez plastique pour s'adapter à chaque molécule différente qu'elle rencontre. Cette théorie de l'induction s'est cependant avérée fausse.
La compréhension de ce phénomène de GOD s'effectuera grâce à la biologie moléculaire.
En 1954, à Cambridge, Jim Watson et Francis Crick font une des plus belles découvertes du siècle en biologie, et démontrent que le support de l'hérédité est l'ADN, une molécule organisée en une double hélice, qu'utilisent toutes les espèces vivantes. Les longs brins d'ADN sont présents dans chacune de nos cellules, sous la forme repliée et compactée de nos 23 paires de chromosomes. S'ils étaient débobinés et mis bout à bout, ils atteindraient une longueur de 1m40 par cellule. Les brins d'ADN sont composés de la succession de quatre lettres : A, T, G, C que l'on appelle des bases. Le génome humain en compte deux milliards. L'assemblage linéaire de ces bases n'est pas neutre : il s'organise en unités de transcription, des gènes, qui ont un début et une fin, qui codent pour des protéines. Il y a environ 30 000 gènes. Chaque cellule possède le patrimoine génétique complet mais n'exprime qu'un certain nombre de gènes, qui sont différents selon que la cellule est une cellule de rétine ou de peau par exemple. Les autres sont silencieux. Si le gène est exprimé, l'ADN est transcrit en ARN dans le noyau, puis est traduit, dans le cytoplasme, en une protéine, composée d'acides aminés, l'anticorps par exemple, le lymphocyte B 1 exprime l'anticorps 1.
Pour expliquer toutes les spécificités d'anticorps existantes, Susumu Tonegawa démontre qu'il n'existe pas dix millions de gènes, mais que c'est une combinaison qui permet d'aboutir à ce chiffre. Il propose quatre groupes (V, D, J et C) comportant en totalité une centaine d'éléments. Chaque lymphocyte, produit dans la moelle osseuse, va prendre un élément de chaque groupe de manière aléatoire, et ainsi présenter une combinaison unique (par exemple V69D5J4C2) qui va coder pour un récepteur unique. En outre, le réarrangement, la recombinaison entre chacun des segments, se fait de manière imprécise, ce qui aboutit à une diversité supplémentaire. Au moment de l'émigration de la moelle osseuse, il est vérifié pour chaque cellule que la combinaison n'aboutit pas à la production d'un récepteur reconnaissant le soi.
Au moment où l'agent pathogène entre dans l'organisme, il rencontre le lymphocyte B qui a le récepteur spécifique complémentaire de l'antigène à sa surface. Le lymphocyte B va alors sécréter des milliers d'anticorps, identiques au récepteur présent à sa surface, qui vont se lier à l'agent pathogène et l'éliminer. La réponse immédiate du système immunitaire est donc de faire des milliers d'anticorps contre un agent pathogène afin de se fixer à lui et s'en débarrasser.
Quand une bactérie ou un virus sont présents à l'état complet dans le corps, ce sont les lymphocytes B qui vont reconnaître cet agent pathogène par l'intermédiaire de leur anticorps de surface qui va par la suite être sécrété en grande quantité.
Il existe aussi des infections cellulaires, qui sont très rapides, au cours desquelles un virus entre dans l'organisme et va immédiatement se loger à l'intérieur d'une cellule, où il s'intègre dans le génome. Il se sert de la machinerie de la cellule pour subsister : quand les chromosomes se divisent et se répliquent, le virus, qui y est intégré, se réplique aussi, transformant ainsi la cellule en usine à virus. Si ces agents n'ont pas été attaqués lorsqu'ils étaient dans la circulation, le système immunitaire B ne peut plus les reconnaître maintenant qu'ils sont intracellulaires. C'est notre système immunitaire T qui va être capable de s'attaquer aux cellules infectées pour les tuer, et ceci en préservant les cellules saines.
En 1974, Peter Doherty et Rolf Zinkernagel sont à l'origine du concept du soi modifié, qui introduit deux nouveaux acteurs de la réponse immunitaire : le lymphocyte T et le CMH (le Complexe Majeur d'Histocompatibilité, HLA chez l'homme pour Human Leucocyte Antigen), qui représente la carte d'identité biologique d'un individu. Le complexe HLA est formé de trois gènes, A, B et C, présentant chacun 99 types (on parle d'haplotypes). Un individu est par exemple A28B96C3. Ces trois protéines, qui représentent l'équivalent du numéro de sécurité sociale d'un individu, sont présentes à la surface de toutes les cellules de son organisme. Leur rôle premier est de présenter, comme dans une vitrine, un échantillon des protéines présentes dans la cellule, sous forme de fragments peptidiques, que la cellule produit constamment. La plupart du temps, il s'agit de protéines du soi. Si la cellule est infectée par un virus, elle présente aussi des morceaux de virus. C'est cela que reconnaît le lymphocyte T : le soi modifié, le peptide viral présenté dans le contexte du HLA. Le lymphocyte T, qui se différencie dans le thymus, présente lui aussi une pince à sa surface qui reconnaît le HLA, le récepteur T, mais ce dernier n'est jamais sécrété. La cellule T scrute constamment le HLA des cellules qu'elle rencontre. Si elle rencontre une cellule infectée, son récepteur T reconnaît le soi modifié, et le lymphocyte T la tue ; si la cellule rencontrée est saine, il y juste reconnaissance du soi et rien ne se passe. Comme pour le lymphocyte B et l'anticorps présent à sa surface, chaque lymphocyte T porte un récepteur T spécifique à sa surface, soumis aux mêmes règles quant à la génération de la diversité, des groupes de plusieurs centaines de gènes se recombinant de manière aléatoire pour le générer.
En revanche, la sélection des cellules T se fait de manière un peu différente. Alors que la cellule B n'est éliminée que si elle reconnaît, avec une forte affinité, une molécule du soi pendant le développement, la cellule T passe par une étape de sélection supplémentaire. En effet, le lymphocyte T doit reconnaître du soi modifié, c'est à dire un peptide, mais dans le contexte du HLA, alors que le lymphocyte B reconnaît un corps étranger à l'état isolé. Dans le thymus, la cellule T est éliminée si elle reconnaît du HLA qui présente du soi de façon forte : c'est la sélection négative, mais, à la différence de la cellule B, il faut aussi qu'elle reconnaisse un peptide du soi, associé au HLA de façon faible, pour se maintenir dans l'organisme : c'est la sélection positive.
Le dernier partenaire de la réponse immunitaire est le macrophage, une cellule phagocytaire qui lorsqu'elle rencontre une bactérie ou un virus l'intercepte, l'ingère et le dégrade. Le travail d'Elie Metchnikov, en 1900, a beaucoup apporté à la connaissance des macrophages. Il a mis le doigt sur un des acteurs centraux de la réponse immunitaire en remarquant qu'il existait chez l'étoile des mers des cellules capables de se présenter immédiatement au point d'entrée d'un corps étranger, pour l'ingurgiter et le phagocyter. Les rôles du macrophage sont multiples. Non seulement, il phagocyte des micro-organismes infectieux, mais il alerte le système immunitaire, grâce à la sécrétion d'interleukines qui sont des messagers moléculaires, et grâce à la présentation aux lymphocytes des molécules du pathogène.
Lorsqu'un agent pathogène (comme le bacille du tétanos par exemple) pénètre dans l'organisme, il provoque une réponse immédiate (primaire). La première ligne de défense, le macrophage (la réponse innée) reconnaît le virus ou la bactérie, le phagocyte, le fragmente pour le présenter à sa surface avec le HLA et ainsi activer la cellule T, qui est alors en mesure de tuer les cellules infectées qu'elle rencontre en patrouillant dans l'organisme. Dans le même temps, le lymphocyte B approprié reconnaît le bacille du tétanos entier et sécrète les anticorps. Tout est question de rapidité : si l'infection est plus rapide que le système immunitaire, si l'agent pathogène n'est pas tué immédiatement, il peut se propager très vite et provoquer la mort de l'organisme.
Cette réponse primaire a lieu en quelques jours. Si l'infection est endiguée, il faut en garder la mémoire, pendant parfois plus de vingt ans. L'organisation de la mémoire passe par une cellule particulière, le lymphocyte T CD4, à laquelle les macrophages ont aussi présentés l'antigène. Cela va permettre de produire deux types de cellules CD4, l'une chargée d'induire la génération des cellules B à mémoire et la maturation de l'affinité des anticorps, et l'autre d'induire la maturation de la réponse des lymphoctes T. Cette cellule est donc au cSur de la stratégie de défense immunitaire de l'organisme. C'est elle que va reconnaître et détruire le virus du SIDA. C'est pour cette raison que le taux de cellules T CD4 positives dans l'organisme représente un marqueur important de l'évolution de la maladie.
Au niveau spatial, le sang contient donc toutes les cellules concernées par la réponse immune. Lorsqu'un agent infectieux traverse la barrière de la peau suite à une coupure par exemple, les macrophages qui sont présents sur les lieux, le reconnaissent, le phagocytent, et enclenchent une réaction inflammatoire, en sécrétant des cytokines et en recrutant d'autres acteurs, des éosinophiles, rendant les vaisseaux voisins plus perméables, ce qui permet aux cellules présentes dans le sang de rentrer dans le périmètre infecté. Le macrophage chargé d'agents infectieux atteint les organes lymphoïdes, comme la rate et les ganglions, par la circulation lymphatique, et c'est là qu'il active les lymphocytes T et B naïfs spécifiques de l'agent pathogène. Les lymphocytes une fois activés vont revenir sur les lieux de l'infection pour maîtriser celle-ci.
Le système immunitaire ne fonctionne cependant pas toujours aussi bien qu'il le devrait et peut être néfaste pour l'organisme au lieu de le protéger. Charles Richet en a ainsi fait l'expérience en 1902, lorsqu'il a découvert le phénomène d'allergie. Il a piqué son chien une première fois avec une anémone de mer, ce qui n'a pas eu d'effet. Mais, lorsqu'il a recommencé l'opération, le chien en est mort. Au lieu d'avoir provoqué une réaction de vaccination, la piqûre avait provoqué une réaction allergique. Le système immunitaire quand il est déréglé peut ainsi être redoutable, et anéantir un organe, voire un individu. Une maladie auto-immune peut ainsi être déclenchée si l'infection va plus vite que le système immunitaire. La cellule T, activée par un macrophage qui a reconnu l'agent infectieux, tue toutes les cellules infectées, mais, dans le cas, par exemple, où le virus a été plus rapide et a réussi à infecter un organe, ces cellules T vont pouvoir attaquer celui-ci et le détruire. Il peut aussi arriver qu'un antigène bactérien soit identique à un antigène du soi, ce qui peut induire une réaction d'auto-immunité par mimétisme moléculaire : le système immunitaire attaque le soi car il croit combattre l'étranger. Il existe aussi des parties du corps que le système immunitaire ne voit jamais, et donc des antigènes auxquels les lymphocytes n'ont jamais été confrontés (les antigènes séquestrés). Si, à la suite d'un traumatisme ou d'une infection, le système immunitaire entre en contact avec ces antigènes qu'il n'a jamais vu (de l'Sil par ex.) il peut penser qu'il a à faire à du non soi.
En conclusion, il reste de grandes questions à résoudre pour comprendre le fonctionnement du système immunitaire et, notamment, celle de l'amélioration de la réponse. Ce phénomène est connu depuis 50 ans et on commence seulement à comprendre son mécanisme moléculaire. Nous venons de montrer, avec Claude-Agnès Reynaud, que des polymérases spécifiques, dites « error prone », chargées de franchir des lésions lors de la réplication semi-conservative mais, faisant des fautes lorsqu'elles copient l'ADN normal, seraient responsables du processus d'hypermutation permettant cette amélioration.
Par ailleurs, comment expliquer le phénomène, assez étonnant, de la mémoire immunitaire qui permet à une cellule de rester des décennies dans l'organisme, tout en gardant la mémoire de sa première rencontre avec l'antigène ?
VIDEO CANAL U LIEN
(si la video n'est pas accéssible,tapez le titre dans le moteur de recherche de CANAL U.) |
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COEUR ARTIFICIEL... |
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Transcription de la 521e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 18 janvier 2004
Alain Carpentier « Xéno-transplantation ou cSur artificiel, un défi pour demain »
L'insuffisance cardiaque
L'insuffisance cardiaque est une perte de la force de contraction du cSur. Terme ultime des maladies cardio-vasculaires, c'est une affection extrêmement fréquente, en fait la première cause de mortalité chez l'homme avant le cancer. Elle affecte chaque année 600 000 personnes en France et cinq millions de personnes aux Etats-Unis, donc proportionnellement un peu plus aux Etats-Unis qu'en France. Les hommes sont deux fois plus touchés que les femmes, mais du fait de l'évolution des comportements, en matière de tabagisme notamment, l'écart tend à se réduire. Cette maladie est très grave puisque 45 % des malades arrivés au stade de grave insuffisance cardiaque meurent au cours de l'année suivant cette découverte.
Comment se manifeste-t-elle et comment la traiter ? Pour répondre à cette double question, il faut d'abord rappeler ce qu'est le cSur et pour cela faire appel à nos souvenirs de lycée. Le cSur est une pompe qui sert à faire circuler le sang dans tous nos organes. Il comporte deux chambres contractiles, le ventricule droit et le ventricule gauche. Le ventricule droit reçoit le sang veineux, désoxygéné venu de nos organes et le propulse dans les poumons pour qu'il se charge d'oxygène. Le ventricule gauche reçoit le sang oxygéné et le propulse par nos artères vers les organes qui y puisent les nutriments dont ils ont besoin. L'insuffisance cardiaque apparaît lorsque la force de contractilité de l'un ou l'autre des ventricules diminue. Lorsque le ventricule gauche est en cause, le malade s'essouffle à l'effort puis de manière permanente. Si c'est le ventricule droit qui est atteint, un gonflement des jambes et des douleurs dans la région du foie apparaissent. Le plus souvent, les deux ventricules sont impliqués dans l'insuffisance cardiaque et les signes s'additionnent. La moins bonne contraction des ventricules induit un ralentissement de la circulation. Les organes sont donc moins bien nourris. Un cercle vicieux s'installe dans lequel l'état d'un organe retentit sur les autres jusqu'à l'issue fatale. Ainsi, l'insuffisance cardiaque n'est pas seulement une souffrance du cSur, c'est une souffrance de tous les organes. Le moyen d'y pallier est de rendre au cSur sa force contractile.
La médecine a fait, ces cinquante dernières années, des progrès considérables. Auparavant, les seuls remèdes étaient la caféine, l'extrait de digitale et la saignée. Souvenons nous des médecines de Molière : la purge et la saignée résumaient tout leur art. Les saignées soulageaient effectivement le cSur parce qu'il avait ainsi moins de sang à pomper, mais elles rendaient les gens anémiques, ce qui était bien pire. Aujourd'hui, comme pour beaucoup d'autres maladies, le traitement de l'insuffisance cardiaque est une plurithérapie, c'est à dire qu'il recourt à plusieurs médicaments, chacun agissant sur l'une des composantes de la maladie : les vasodilatateurs dilatent les vaisseaux et ainsi diminuent les résistances qui s'opposent au travail du cSur, les tonicardiaques renforcent la contractilité des ventricules, les bêtabloquants ralentissent le cSur, rendant sa contraction plus efficace.
Au cours du temps, progressivement, ces traitements perdent leur efficacité. Il faut alors se tourner vers la chirurgie. Elle offre plusieurs solutions. Certaines ne sont que palliatives : ce sont les appareils d'assistance dont, faute de place, on ne parlera pas dans cet exposé. D'autres sont radicales et comportent purement et simplement le remplacement du cSur par le cSur d'un autre homme, ou par un cSur artificiel.
Transplantation cardiaque
La transplantation cardiaque est le remplacement du cSur malade par un cSur pris sur un autre être humain. Il s'agit d'une opération chirurgicale spectaculaire et fort émouvante.
En 1967, beaucoup d'équipes de recherche travaillaient sur ce sujet lorsque, venue d'Afrique du Sud, la nouvelle arriva que Christian Barnard avait procédé à la toute première transplantation d'un cSur chez l'homme. La nouvelle fit l'effet d'une bombe - à la fois médiatique et médicale car elle représentait un nouvel espoir pour de nombreux malades. Beaucoup d'équipes tentèrent alors l'aventure avec trop de hâte et peu de succès. A l'hôpital Broussais où je travaillais à l'époque, nous étions prêts depuis longtemps ayant réalisé de nombreuses transplantations sur le chien sous la direction du professeur Jean-Paul Cachera. En avril 1968, un père dominicain, le père Damien Boulogne, arrivé au stade terminal d'une insuffisance cardiaque, vint voir notre chef de service, le professeur Charles Dubost et lui proposa d'être son premier opéré. Celui-ci accepta et réalisa, avec l'aide du professeur Cachera et de moi-même, la première transplantation cardiaque réalisée avec succès en Europe.
Une transplantation cardiaque présente aujourd'hui encore de grandes difficultés.
La première concerne le prélèvement du cSur sur le donneur d'organe. On ne peut faire ce prélèvement que sur un homme décédé, mais ceci le plus tôt possible pour que le cSur fonctionne encore. L'espace de temps dont on dispose est très court et très souvent à l'époque le cSur se révélait inutilisable. C'est alors qu'on réalisa que la mort n'est pas tant l'arrêt du cSur que l'arrêt de toutes les fonctions du cerveau. Cette nouvelle définition de la mort était capitale car elle permettait de prélever des organes encore sains chez un sujet dont le cerveau ne fonctionnait plus. Ainsi aujourd'hui le prélèvement d'un organe ne pose plus les graves problèmes éthiques qu'il soulevait autrefois. D'après les textes officiels, toute personne majeure dont le cerveau est mort est déclarée légalement décédée et devient un donneur d'organes potentiel, à moins qu'elle n'en ait manifesté le refus de son vivant. Dans la pratique, c'est la famille qui est sollicitée pour donner son accord. Pour des raisons éthiques, elle ne l'est jamais par le chirurgien transplanteur, mais par un médecin spécialisé. Une fois qu'un organe est disponible, que l'équipe de prélèvement a vérifié son bon fonctionnement, il faut choisir le receveur parmi les malades figurant sur la liste d'attente. Un choix douloureux car il y a toujours trop de malades en attente pour le petit nombre de cSurs disponibles. Le choix se porte sur le malade le plus urgent ou sur celui qui attend depuis le plus longtemps et surtout sur celui qui est le plus compatible, c'est à dire qui tolérera le mieux le coeur étranger. De même que les transfusions de sang ne se font qu'entre personnes de groupes sanguins compatibles, la même règle est respectée pour les organes. Théoriquement, il faudrait étudier aussi les groupes de compatibilité des tissus découverts par le grand scientifique français Jean Dausset. Mais le temps que nécessitent ces tests ne permet pas d'en tenir compte pour la sélection des malades.
La deuxième difficulté est l'opération elle-même. Dès que le receveur a été identifié sur la liste, il est immédiatement convoqué. C'est le temps zéro de l'opération. A partir de cet instant, une lutte contre la montre est engagée, chaque minute compte, aussi bien du côté du malade qui, pour être opéré, doit arriver d'urgence à l'hôpital, que du côté du donneur qui doit être prélevé dans les meilleurs délais. Une équipe de prélèvement est envoyée à l'hôpital où le donneur a été accueilli. Avant de prélever les organes, elle procède à leur protection par des liquides physiologiques réfrigérés. Le transfert du cSur doit être effectué en moins de trois ou quatre heures par avion ou par ambulance. Pendant ce temps, le malade à opérer est arrivé à l'hôpital et les derniers contrôles biologiques sont pratiqués. La transplantation peut alors avoir lieu. Le chirurgien ouvre largement le thorax et branche un cSur-poumon artificiel sur la circulation pour suppléer la fonction des poumons et du coeur pendant qu'il procèdera à l'ablation du cSur malade et à son remplacement par un cSur sain. C'est une émotion toujours vive de voir le thorax soudain vidé de son organe vital retrouver un cSur tout neuf. Celui-ci est suturé aux vaisseaux du malade. Les vaisseaux sont déclampés. Le cSur ne se remet à battre qu'après une ou deux minutes. Parfois les battements se font attendre plus longtemps, suscitant un nouveau moment d'intense émotion. Il est alors possible d'arrêter le cSur-poumon artificiel.
Un autre défi commence alors, la lutte contre le " rejet ". Qu'est-ce donc que ce rejet dont on parle tant ? Notre corps est défendu contre les agents pathogènes qui nous entourent, virus, microbes ou autres, par un système de défense très élaboré appelé " système immunitaire ". C'est grâce à lui que nous luttons, victorieusement le plus souvent, contre les infections. Le problème est qu'il ne fait pas la différence entre un microbe qui menace la vie et un cSur qui a été transplanté pour la sauver. Dès que le système immunitaire reconnaît un intrus, il mobilise ses armes - des cellules sanguines appelées lymphocytes - pour le détruire. Dans le cas d'une transplantation d'organe, c'est ce que l'on appelle le rejet immunologique. Pour s'opposer à ce rejet, un seul moyen : neutraliser l'action des lymphocytes les plus agressifs par des médicaments. Des boucliers en quelque sorte. Ils s'appellent stéroïdes, azathioprine et ciclosporine. A l'époque de la transplantation du père Boulogne, ce dernier médicament, le plus efficace, n'était pas disponible et les résultats des transplantations n'étaient pas aussi bons qu'aujourd'hui. Mais l'histoire de la découverte de cette ciclosporine vaut une parenthèse car elle est représentative de la manière dont le progrès se fait en sciences.
Les entreprises pharmaceutiques sont sans arrêt à la recherche de nouveaux antibiotiques pour lutter contre les nouvelles infections. Ces antibiotiques, de même que leur ancêtre la pénicilline, sont le plus souvent des champignons ramassés au hasard de collectes systématiquement organisées par ces entreprises dans les forêts, les champs, les ruisseaux et même les dépôts de détritus. L'un de ces limiers, ramasseurs de champignons, s'appele Jean-François Borel. Il est chercheur des laboratoires Sandoz à Bâle. Un jour, il rapporte des forêts de Norvège toute une collection de prélèvements hétéroclites. L'un d'eux contient un champignon qui, bien qu'inefficace contre les bactéries, est en revanche capable de tuer les lymphocytes impliqués dans le rejet immunologique. Tout excité par cette découverte, il en parle à son directeur qui, déçu devant l'inefficacité du champignon contre les bactéries, lui demande d'abandonner ses recherches. Jean-François Borel persiste au contraire de façon semi-clandestine et c'est grâce à son acharnement que nous disposons aujourd'hui d'un médicament merveilleux, la ciclosporine, si efficace dans les transplantations d'organe. C'est ainsi que procède souvent la recherche : une expérience ne donne pas le résultat escompté, la plupart des gens abandonne. Le véritable chercheur au contraire persiste et trouve l'inattendu. C'est le cas de Pasteur, de Fleming et de bien d'autres.
Le principal obstacle à la transplantation du cSur n'est pas tant les difficultés que l'on vient de voir que le manque crucial de donneurs et cela est vrai aussi pour les autres organes, rein, foie, pancréas. En France, un malade sur trois meurt faute de recevoir l'organe dont il aurait besoin. Autre obstacle de taille : il est psychologiquement très pénible pour un malade de fonder ses espoirs de guérison sur la mort de quelqu'un. Le recours à un cSur prélevé sur un animal (ou xénotransplantation) peut seul résoudre ces problèmes. Le porc en la matière est le plus proche par sa taille mais là deux difficultés surgissent. Les réactions immunologiques entre l'animal et l'homme sont précoces, hyperaiguës, foudroyantes. Il faut donc trouver des moyens plus efficaces encore pour les combattre. Seconde difficulté, le risque de transmission de maladies animales à l'homme, ce qu'on appelle les zoonoses. C'est ce risque qui a imposé un moratoire à l'équipe de Cambridge en Angleterre qui était prête à faire les premières xénotransplantations chez l'homme il y a quatre ans.
Les recherches continuent néanmoins pour relever ce double défi. En attendant, d'autres chercheurs travaillent sur le second type de remplacement du cSur, le cSur artificiel.
Le cSur artificiel
Le manque d'organes de transplantation et les difficultés que posent les xénogreffes justifient pleinement les recherches qui visent à réaliser un cSur artificiel. Il s'agit ici du vrai cSur artificiel, le cSur artificiel complet et totalement implantable destiné, comme la greffe cardiaque, à remplacer le cSur du malade. Et non pas ces appareils d'assistances ventriculaires, improprement appelés parfois cSurs artificiels, qui sont utilisés seulement comme assistance d'un cSur malade laissé en place en attendant une greffe cardiaque disponible.
Comme le cSur naturel, un cSur artificiel comporte deux ventricules droit et gauche. Chaque ventricule est cloisonné par une membrane pulsatile en deux chambres. L'une contient le sang, l'autre un liquide alternativement injecté et aspiré par une moto-pompe qui lui est accolée. Ce mouvement de va-et-vient du liquide mobilise la membrane qui tour à tour aspire le sang veineux puis le refoule dans les artères tout comme un ventricule normal.
Si le concept est relativement simple, sa réalisation pose des problèmes considérables. Le premier est la miniaturisation. Le cSur artificiel étant destiné à remplacer le cSur malade, il doit avoir une taille à peu près semblable à celui-ci. Une gageure car il s'agit de concentrer dans un même volume réduit les deux ventricules, les groupes moto-pompes et l'électronique de commande. Pour réussir, il faut faire de nombreuses études par ordinateur des espaces anatomiques disponibles et de nombreuses maquettes de forme exactement adaptée.
Le second problème est la régulation médicale, c'est à dire le pilotage informatique des moteurs et des pompes pour adapter à tout moment la fonction du cSur aux besoins de l'organisme, quelles que soient les conditions, repos, effort, position couchée ou debout. On dispose pour cela de capteurs et d'un système de recueil en continu des données physiologiques: pressions et volumes enregistrées à l'intérieur de chaque ventricule.
L'énergie animant les moteurs est dispensée par des batteries. L'une intra-corporelle permet une autonomie de quelque 15 minutes - le temps de prendre une douche - les autres, plus volumineuses, extra-corporelles, sont connectées à la batterie intra-corporelle et la rechargent en permanence le reste du temps.
Dernier problème et non le moindre, le cSur artificiel doit être hémocompatible, c'est à dire qu'il ne doit pas donner lieu à la formation de caillots sanguins, complication la plus fréquente de tous les appareils médicaux destinés à être en contact avec le sang. Heureusement, il existe des matériaux spéciaux, notamment des matériaux dits " bioprothétiques " développés en France il y a plusieurs années qui remplissent ce rôle.
La mise au point d'un cSur artificiel nécessite un grand nombre d'études et d'essais. Le mode d'expérimentation a beaucoup changé au cours de ces quinze ou vingt dernières années. Jusqu'alors les expérimentations étaient effectuées sur l'animal, le veau généralement. C'est de moins en moins le cas. La relève est prise par des tests sur bancs hémodynamiques et des simulations sur ordinateur. L'ère de l'informatique permet maintenant de simuler des cSurs artificiels et leur comportement dans un réseau artificiel. Des bancs hémodynamiques sophistiqués permettent de construire des réseaux reproduisant toutes les caractéristiques du système vasculaire, un homme artificiel en quelque sorte ! Grâce aux ordinateurs, on peut prévoir les performances d'un cSur artificiel avec plus de précision et à un moindre coût que les expériences sur animaux. On peut même se placer dans des conditions extrêmes telles que le froid, le chaud ou des maladies diverses.
Pour conclure sur une note d'optimisme, soulignons que le progrès le plus remarquable de la cardiologie moderne n'est pas la mise au point d'appareillages complexes aussi utiles soient-ils mais la connaissance des facteurs de risques qui président au développement des maladies du cSur. Il est possible aujourd'hui de dire avec certitude que tel facteur héréditaire, tel comportement, tel mode de vie encourent un risque accru de telle ou telle maladie. Pour la première fois, l'homme peut peser sur son propre destin en déjouant ces risques, par exemple en évitant le tabac, la sédentarité, le surpoids. De son côté, le médecin surveillera et corrigera une tension artérielle trop haute, un diabète débutant, une tendance à l'obésité. De cette alliance entre le médecin et le patient naît la médecine dite préventive, celle qui évite le recours aux solutions ultimes et salvatrices que sont greffes cardiaques et cSurs artificiels.
VIDEO CANAL U LIEN
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